Tribunal de Pontoise : « Madame a peur. Il faut que ça cesse ! »
L’homme jugé en comparution immédiate est prévenu d’avoir harcelé son ex-compagne. Il souffre de schizophrénie et répète en boucle qu’il veut voir son enfant, dont son ex-compagne l’a séparé, dit-il. Le président aussi répète ses questions en boucle : comprend-il qu’il ne peut se comporter ainsi ?
Cédric, la trentaine, est prévenu d’avoir harcelé son ex-compagne sur une période courant du 2 février au 28 août, après avoir été condamné à 12 mois dont 6 mois avec sursis probatoire le 31 octobre 2023, ce qui le place en état de récidive. C’était déjà du harcèlement et c’était déjà la même victime : Loubna, de nouveau assise sur un banc du tribunal correctionnel de Pontoise, qui juge Cédric, ce lundi 2 septembre, en comparution immédiate.
Comme cela arrive souvent avec les personnes schizophrènes, Cédric a le regard fixe. Sa schizophrénie est « affective » ou « dysthymique », c’est-à-dire qu’il présente à la fois des troubles bipolaires et des symptômes schizophréniques. « En gros, je suis un peu trop euphorique, et quand je bois de l’alcool et fume du cannabis, je suis dans un monde pas réel, c’est pour ça que j’ai arrêté de boire et de fumer, pour que ma vie soit meilleure », résume Cédric. Mais l’expert psychiatre qui l’a examiné ne pense pas que cela ait aboli ni même altéré son discernement, c’est pour cela qu’il sera jugé comme s’il n’était pas malade, bien qu’il touche une allocation adulte handicapé liée à cette pathologie.
« Face à son mépris la colère elle monte »
C’est donc pour d’innombrables messages envoyés à la mère de son enfant sur la messagerie de Tik Tok que Cédric est jugé. Le président les classe en trois catégories : « Des messages dans lesquels vous déclarez votre flamme à Madame, des messages dans lesquels vous vous inquiétez du sort de votre fils, d’autres à caractère humoristique et pornographique », résume-t-il.
La dernière catégorie, dit-il, c’est « une erreur, elle était encore dans mes envois groupés ». S’agissant des deux autres (non lus à l’audience), dont le contenu le montre passablement énervé, il reconnaît les avoir envoyés. Il s’excuse auprès de « Madame », et dit comprendre son « erreur ». Il l’explique simplement : « Je comprends pas pourquoi on m’a coupé de mon enfant, j’ai jamais été dangereux pour lui, je tiens juste à avoir de ses nouvelles au moins via un médiateur », dit-il une première fois. La mère de l’enfant s’y oppose. Le président tente de le cerner : a-t-il conscience qu’il a une double interdiction de contact ? L’une émane de ses obligations liées à son sursis probatoire prononcé en octobre 2023, l’autre d’une ordonnance de protection prononcée par le juge aux affaires familiales. Cédric répond : « J’ai été très fusionnel avec mon enfant et je ne comprends pas pourquoi elle coupe le lien avec lui. » Il dit aussi : « Face à son mépris, la colère elle monte.
— Est-ce qu’en ne respectant pas cette interdiction de contact, c’est le moyen de revoir votre enfant ?
— Je comprends mon erreur, je veux juste voir mon enfant.
— Vous êtes inquiet pour votre enfant ou pour vous par rapport à votre enfant ?
— Pour mon enfant, et pour mon moral.
— Est-ce que vous avez eu des nouvelles inquiétantes, il vous a paru dénutri sur des photos ?
— Non il était souriant, mais j’aimerais être là quand il sourit. »
« Il s’excusait aussi à l’audience du 31 octobre. »
Voici le discours de Cédric, à la fois immuable et circulaire. Loubna se lève à la demande du président pour éclairer le tribunal : « Je tiens à préciser que j’ai refusé aucune médiation. Quand j’ai vu une médiatrice, il m’a expliqué qu’il n’y aurait pas de médiation du fait de l’ordonnance de protection. Ordonnance qui concerne mon fils aussi, car il l’a menacé de mort aussi.
— Son positionnement d’aujourd’hui, c’est la première fois que vous l’entendez ?
— Il s’excusait aussi à l’audience du 31 octobre.
— Donc c’est un peu la même histoire. Comment vivez-vous cela ?
— Très difficilement.
— Est-ce que vous envisagez d’une manière quelconque un avenir avec Monsieur ?
— Je ne peux pas envisager quelque chose avec quelqu’un qui me fait peur.
— La réponse me paraissait évidente, mais je pose la même question à Monsieur.
— (Prévenu) je comprends qu’elle ne veuille plus de relation, mais c’est la mère de mon enfant. Je n’ai plus d’amour, mais j’aurais toujours du respect. Face à son mépris, la colère elle monte.
— Qu’est-ce qui vous fait dire qu’il y a un mépris de sa part ?
— Déjà la séparation s’est faite sans explication valable. Face à son mépris, c’est dur de rester de marbre.
— Le jour où vous ressortirez, ma crainte c’est que vous refassiez la même chose.
— Non, non, si je suis là aujourd’hui c’est que le manque de mon enfant il est trop intense, et Loubna, elle a coupé le lien.
— Qu’est-ce qui fait que le tribunal serait enclin à vous croire ?
— Bah, déjà je reconnais mon erreur.
— Est-ce qu’il y a une manière autre que le fait de vous enfermer dans une cage pour une très longue période pour vous empêcher de recommencer ? »
« Dans sa cage en verre, il est agité d’un discret tremblement »
À certains moments, Cédric semble ne plus comprendre ce qu’on lui dit. Il répète les questions du président en guise de réponse. Dans sa cage en verre, il est agité d’un discret tremblement. Quand le président lui demande ce qu’il fait dans la vie, il déclare qu’il est malade.
La procureure dans son réquisitoire constate et déroule : « Monsieur avait l’interdiction totale et absolue d’entrer en contact avec Madame, malgré cela monsieur persiste et signe, et envoie pendant plusieurs mois un nombre vertigineux de messages qui restent sans réponse. On a le droit de faire des déclarations d’amour, mais quand ça reste sans réponse et que ça continue ça s’appelle du harcèlement. Madame a peur. Il faut que ça cesse ! » Elle demande 10 mois de prison avec mandat de dépôt.
L’avocate de Cédric s’étonne que la schizophrénie de son client n’ait pas causé au moins une altération de son discernement, car pour elle cette pathologie mentale provoque bien une « altération du déni cognitif ». Elle pense qu’il doit être soigné et non enfermé. Après y avoir réfléchi quelques minutes pendant la suspension d’audience, le tribunal pense qu’il lui faut les deux : 10 mois de prison dont 5 mois avec mandat de dépôt, et 5 mois de sursis probatoire, avec notamment une obligation de soins et une nouvelle interdiction de contact.
Référence : AJU464208