Tribunal de Pontoise : « Mon papa, il donne des coups avec la cravache »
Le tribunal correctionnel de Pontoise juge, ce 15 mai, un quinquagénaire prévenu d’avoir frappé ses enfants à coups de cravache. Il admet des claques.
Abdel a 54 ans, l’air sévère et tombe des nues. Il n’aurait jamais imaginé être accusé de violences sur ses enfants, mais il n’est pas surpris que l’accusatrice initiale soit son ex-femme, « être cynique et malfaisant », dit-il, pour laquelle il n’a pas un regard, elle qui tremble sur un banc du dernier rang. Il prévient d’emblée : c’est elle qui a tout manigancé pour lui nuire.
La juge – unique – qui préside cette audience entame un long résumé des faits et des interrogatoires, qui courent sur une période assez étendue, souligne-t-elle, et touche trois enfants, dont l’aîné, un adolescent en perdition qui « va très mal », témoigne l’administratrice ad hoc, et qui s’adonne probablement, en ce moment même, à la vente de stupéfiant dans les cités de Marseille.
La procédure démarre le 13 juillet 2022, alors que l’ex-conjointe du prévenu est auditionnée car Abdel a déposé plainte pour non-représentation d’enfants. Alors qu’elle évoque son fils aîné Walid avec qui la relation est « très compliquée », elle fait part de violences qu’il aurait subies de la part de son père. Elle remet des photos sur lesquelles son fils présente des blessures, et évoque un épisode, survenu le 16 décembre 2021, au cours duquel le père aurait, de rage, cassé le doigt du fils.
Walid a nié, mais il a ajouté qu’il prenait des claques – qu’il jugeait normales – lorsqu’il faisait des bêtises. Les blessures ? Une bagarre au collège. On préconise une expertise psychologique qui notera : forte réactivité de Walid, agressivité et montée en puissance, troubles du comportement et de la conduite (il souffre d’un TDAH diagnostiqué), discours de déni massif et de mensonge. Le psychologue préconise une prise en charge immédiate.
« Mon papa il punit pas, il tape »
Appelé à réagir, Abdel nie les faits dénoncés par son ex-femme, mais admet les claques (« ma femme en mettait aussi »). Les photos ? « C’est une altercation qu’il a eue quand il était en Bretagne chez ma sœur, il a été frappé à la sortie de l’école par d’autres élèves de 3e. Tout a été manigancé entre Madame et ma sœur. »
Adil, 9 ans, a été entendu le 12 octobre 2022. Il a dit à la policière : « Mon papa il punit pas, il tape. Il donne des tapes fortes, il donne des coups avec la cravache, quand on fait tomber un truc sans faire exprès. » La juge demande à Abdel : « Pourquoi il dit ça ?
— Il vit pas avec moi, il vit avec la maman.
— Ce que vous sous-entendez, c’est que c’est madame qui a dit aux enfants de dire que vous les frappez avec la cravache. Il dit aussi que vous l’avez frappé avec une cravache parce qu’il avait volé une gomme à l’école. Il dit aussi : ‘il m’a sorti de la douche attaché avec une sangle sur le lit, s’est mis sur moi et m’a frappé sur tout le corps avec la cravache.’
— Y’a eu un divorce conflictuel avec ma femme, ça s’est jamais passé.
— Un enfant ça peut mentir on est d’accord, mais votre enfant de neuf ans est précis, sur plusieurs scènes distinctes. Le petit Adil dit aussi que c’était son frère Walid qui était le plus frappé, et que c’est pour ça qu’il est comme ça aujourd’hui. Et quand on lui demande si sa sœur était également frappée, il dit : ‘oui, tout le monde.’
« Les violences sur le comportement d’un enfant c’est délétère
On interroge la petite fille durant la procédure. « Te souviens-tu avec quoi il tapait ton frère aussi ?
— Oui, une cuillère en bois. » Au prévenu : « C’est vrai ça Monsieur ?
— Non. »
Dans la procédure : Mentionnons que la petite fille pleure et se referme.
— Est-ce que tu es heureuse ?
— Pas en ce moment. »
La juge au prévenu : « Alors ?
— …
— Qu’est-ce qu’on doit déduire de votre silence, Monsieur ?
— Je suis choqué. Je reconnais les fessés, les claques, mais pas tout le reste.
— Vous savez quelles conséquences ça a sur les enfants, les violences ?
— Oui et non.
— Les violences sur le comportement d’un enfant c’est délétère, même si ce sont comme vous dites des claques, des gifles. »
L’expertise de la petite fille dit que « le retentissement psychologique a entravé son développement psychoaffectif. »
« Un grand qui part en vrille et deux petits qui ne vont pas très bien »
L’administratrice ad hoc s’avance : Walid, en permanence en fugue, pose de gros problèmes. Les deux autres sont dans la retenue. « Très impactés par leur vécu, ils en disent le moins possible. » Lors de l’audience devant la juge des enfants, entendant l’avocat de son père réfuter les violences, Adil s’est levé spontanément pour dire : « si, les coups de cravache, c’est vrai ! » Elle dit qu’elle n’a pas noté ni entendu de pression de la part de la mère. Son avocat s’attriste : « On a un grand qui part en vrille et deux petits qui ne vont pas très bien. » Il dit que quand il les voit, le grand frappe les petits. « C’est terrible d’inculquer à des enfants la normalité de prendre des coups. » Il demande l’euro symbolique.
Le procureur détache chaque syllabe de son réquisitoire : « Monsieur, vous êtes en charge de la protection des personnes qui sont supposées vous être les plus chères, et malgré tout vous vous retrouvez à cette audience alors qu’on vous reproche d’avoir commis des faits intolérables. Que des enfants puissent être aussi précis sur des faits de violence, cela me laisse penser que c’est la vérité qui sort de la bouche de ces enfants. » Il demande neuf mois de prison avec sursis ainsi qu’un stage parental.
« Les coups de cravache c’est non ! »
L’avocate de la défense est remontée : « Je vais plaider comme je le pense ! Je ne vais pas plaider une relaxe car les gifles et fessées sont reconnues, en revanche il conteste avoir utilisé une cravache. » Il assure avoir un enregistrement dans lequel on entend Adil se faire violenter par sa mère, elle l’évoque non pour rejeter la faute sur elle, mais pour montrer que « les violences éducatives ont été choisies d’un commun accord, et ce qui me dérange c’est qu’on accable monsieur ! » D’ailleurs, elle s’étonne que, durant la procédure pour violences conjugales au terme de laquelle il fut condamné (le 3 mai 2023, NDLR), elle n’a jamais évoqué ces violences contre les enfants. « Les coups de cravache, c’est non ! »
La juge délibère sur le siège et dit : c’est oui. Abdel est condamné aux réquisitions.
Référence : AJU447660