Tribunal de Pontoise : « Une claque ? Ce n’est pas une violence »

Publié le 28/06/2024

Sofiane est prévenu de violences sur sa conjointe, en récidive. Jessica, une jeune femme très vulnérable, tente de le protéger car elle n’a que lui et est en profonde détresse. En vain…

Tribunal de Pontoise : « Une claque ? Ce n’est pas une violence »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

En arrivant au tribunal, Jessica a appelé sa curatrice pour savoir si elle serait là au procès, et elle lui a répondu que non, car son rôle se limitait à gérer son argent. Quelques jours avant, elle avait informé le tribunal qu’elle ne se présenterait pas pour représenter Jessica, car elle l’estimait « totalement sous l’emprise » de son compagnon et « prête à nier la survenance des faits » de violence pour lesquels Sofiane, 28 ans, est jugé mardi 14 mai par le tribunal de Pontoise.

En fait, le tribunal ne savait même pas que Jessica était présente à l’audience. C’est l’huissière qui l’a susurré à l’oreille de la présidente alors qu’elle était en train de lire ses droits à Sofiane. S’est alors engagé un débat sur le fait de savoir si l’on pouvait juger Sofiane alors que la victime, sous curatelle renforcée, n’était représentée ni par une curatrice, ni par un avocat. L’avocat du prévenu s’est offusqué que la curatrice se permette de juger de l’état d’emprise sous lequel Jessica serait, et la procureure était plutôt d’accord, estimant que le tribunal allait se faire son opinion, et qu’on n’a pas besoin d’une curatrice qui de toute façon était absente au moment des faits.

Sofiane observe ces prolégomènes d’un œil attentif et Jessica d’un air tendre. Les deux se regardent beaucoup. Jessica paraît excessivement stressée et perdue. La présidente décide que l’affaire peut être jugée, et entame un complexe résumé des faits.

Sofiane rentre tard dans la nuit du 26 au 27 avril 2024 dans leur appartement d’Éragny, ils se disputent et il la pousse. Elle heurte un meuble et se blesse au bas du dos. Les policiers sont appelés et constatent une marque. Jessica refuse de voir les pompiers, car la dernière fois, alors qu’elle était enceinte, cela avait eu pour conséquences (dit-elle) que son enfant avait été placé (leur fils a été placé peu après sa naissance, ndlr).

« Ce matin il a cassé ma porte et m’a étranglée »

Ces faits n’entraînent pas de garde à vue, mais le 12 mai, les policiers sont rappelés au domicile du couple suite à une nouvelle dispute avec Sofiane. Il s’est enfui chez son voisin d’en face dès qu’elle lui a crié dessus, puis elle l’a accusé de lui avoir pris ses papiers. Elle a hurlé dans le couloir et tambouriné sur la porte du voisin, ce qui a rameuté ceux du dessus, qui détestent Sofiane. Les policiers arrivent, Jessica dit qu’elle a retrouvé ses papiers mais pas son téléphone. Il ne l’a pas, alors elle se tourne vers les policiers et dit : « Je vais tout vous avouer ce matin il a cassé ma porte et m’a étranglée ». Les voisins du dessus disent que Sofiane est un élément perturbateur de l’immeuble et qu’il frappe régulièrement sa compagne, Jessica s’énerve sur eux et dit que ce n’est pas vrai, elle ajoute qu’elle a menti, mais qu’il l’a quand même un peu étranglée. Il dit que c’est faux. Jessica n’a pas de trace. Les policiers embarquent Sofiane et réinterrogent Jessica, qui dit qu’il n’y a pas eu de violence, et les faits sont classés. On revient alors sur ceux du 27 avril. Ils lui demandent de préciser : « On s’est disputés et bagarrés mais je ne considère pas qu’il y a eu violences. » Les policiers demandent ce que c’est qu’une bagarre sans violence, elle dit : « une bagarre douce, je le pousse, il me pousse. Une claque ? Ce n’est pas une violence. » Puis elle dit qu’elle a menti aux voisins « parce que je suis hystérique et quand je suis triste, je mens sur tout ».

« Elle a tellement pleuré et hurlé qu’ils croyaient qu’elle était morte. »

La présidente respire fort. « Tout cela est un peu confus. » Elle regarde Sofiane : Monsieur est-ce que vous reconnaissez ces faits du 27 avril ?

— Je l’ai jamais touchée, à part une fois et j’ai été condamné (le 16 novembre 2023, ndlr).

— À part une fois …

— Et je l’ai avoué.

— Le voisin dit qu’elle a des marques. Les voisins indiquent qu’ils ont très peur de vous, ils sont terrorisés par vos réactions possibles, ils se sentent en insécurité et harcelés compte tenu des insultes et du tapage ». Ils disent qu’ils entendent des bruits. « Elle a tellement pleuré et hurlé qu’ils croyaient qu’elle était morte. » Comment vous expliquez ça ?

— Madame : après avoir été condamné je ne l’ai plus jamais touchée.

— Je répète : comment vous expliquez ça ?

— C’est des voisins qui m’aiment pas, et elle va parler avec eux quand elle n’est pas bien.

— Manifestement y’a des problèmes avec vous quand même. Le propriétaire a porté plainte contre vous pour la dégradation de la porte. La curatrice dit que Madame est totalement sous la coupe de Monsieur (elle parle de lui à la 3e personne en le regardant).

— J’ai fait une seule fois cette erreur, je suis passé devant le juge et je n’ai plus jamais commis de violence », insiste-t-il.

« Les voisins sont racistes »

Jessica s’avance à la barre : « Qu’est-ce que vous souhaitez dire ?

— En fait les voisins ne l’aiment pas, ils sont racistes, ils m’ont dit qu’ils veulent tout faire pour qu’il ne revienne pas. On entend tout à travers les parois, et moi je suis très hystérique. Le 27 avril, moi je l’ai frappé. En fait, après être rentré, il est allé chez le voisin, et j’en peux plus qu’il y soit tout le temps, alors j’ai tapé très fort parce que je voulais régler le problème. » Elle explique qu’ils se sont bousculés et qu’elle est tombée en trébuchant sur les bouteilles.

Jessica est submergée par ses propres paroles et s’accable sous le regard attendri de Sofiane. « Quand je m’énerve je casse tout, je pète extrêmement des câbles. » La présidente essaie de la jouer fine et prend un ton de recherche de confidence :  « Vous nous dites qu’il n’a rien fait ? D’accord, mais il a fait quoi ?

— Ce jour-là il n’a rien fait. Je l’aime, je sais de quelle galère il vient et il sait de quelle galère je viens.

— Vous voulez quoi de cette audience ?

— Je veux qu’il ait une interdiction de venir dans le bâtiment.

— Votre curatrice dit que vous êtes totalement sous emprise ?

— En fait, je l’aime donc je lui donnerais tout, mais c’est à lui de changer

— Elle dit que vous refusez de déposer plainte alors que vous êtes victime de violence.

— Je suis pas victime de violence, c’est qu’en fait quand je me sens pas bien j’ai besoin qu’on me soutienne, j’ai besoin d’affection. » Elle ajoute : « ma curatrice, elle ne fait rien pour moi. »

« On va se battre chacun de notre côté pour récupérer notre enfant »

Jessica vient d’un milieu défavorisé et a subi des violences dans son enfance, Il y a 4 ans, elle a été enlevée et séquestrée. La procédure est en cours d’instruction criminelle, la procureure confirme qu’elle a le statut de victime. Elle est sous curatelle renforcée depuis, mais dit à la présidente qu’elle n’a jamais vu d’expert pour ses troubles. « Vous ne savez pas ce que vous avez ? Vous n’êtes pas suivie ? » Jessica dit que non.

Présidente. « Vous le voyez comment, votre avenir ?

— On va se battre chacun de notre côté pour récupérer notre enfant. » Jessica pleure, ça dure un petit moment. Elle n’arrive pas à s’arrêter de pleurer. La présidente demande tout doucement : « De qui êtes-vous proche ?

— Mon père. Mais il est plus là.

— Et lui (elle désigne Sofiane) ?

— Oui »

« Lui » a 17 mentions à son casier (stupéfiants et atteintes aux biens principalement) ; la dernière, donc, pour des violences sur Jessica.

La procureure, point de vue surplombant : « C’est difficile d’assurer la protection des gens malgré eux, et je crois qu’aujourd’hui madame a démontré sa vulnérabilité. » Vous avez parfaitement compris qu’elle ne veut pas perdre le lien avec monsieur et se retrouver isolée. Elle est dans une dépendance affective évidente. » C’est pourquoi elle requiert 4 mois de prison avec mandat de dépôt contre Sofiane.

C’est le stagiaire avocat du conseil de Sofiane qui plaide : la relaxe, au prétexte qu’il n’existerait aucun élément matériel, mais le tribunal non seulement entre en voie de condamnation, mais il va au-delà des réquisitions : 6 mois de prison, mandat de dépôt, interdiction d’entrer en contact avec la victime et de se présenter à son domicile.

 

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