Tribunal de Pontoise : « Votre fille a déclaré qu’elle aurait préféré ne pas venir au monde »
Vendredi 5 juillet, Idriss est jugé, après un renvoi de comparution immédiate, pour des violences commises sur sa femme et ses enfants. Il admet les premières et réfute les secondes. Présente à l’audience, sa femme tente de se dédire et supplie qu’on le libère.
L’interprète a dit qu’elle allait se déplacer du prévenu à la victime pour traduire leurs propos : elle doit se tenir au côté d’Idriss pour l’entendre parler depuis son box, et au côté de Hawa qui s’exprime à la barre. Quand c’est le juge qui parle, elle doit traduire en langue turque pour les deux à la fois, ce qui l’oblige à parler assez fort. Elle préfère le plus souvent rester près du box où est détenu Idriss, car derrière sa vitre en Plexiglas, c’est lui qui entend le moins bien ce qu’il se dit à l’audience. Et c’est lui qui est jugé.
Cela fait un mois qu’il est en détention, en attente d’être jugé pour des violences qu’il aurait commis sur sa femme et ses trois enfants. Il y a exactement un mois, le 5 juin 2024 à 15 h 10, une femme appelle la police parce que sa voisine est venue, tremblante et paniquée. À leur arrivée, les policiers découvrent Hawa qui, par l’intermédiaire d’une interprète au téléphone, leur décrit les violences qu’elle vient de subir, qu’elle subit régulièrement depuis longtemps et que ses enfants aussi subissent.
Ce jour-là, c’est la disparition d’un papier administratif important qui provoque la colère d’Idriss. Après lui avoir donné des coups de pied et étranglé Hawa en présence des deux plus jeunes enfants (9 et 12 ans), il aurait quitté l’appartement en menaçant de la tuer si elle ne retrouvait pas le papier. Elle explique aux policiers que ça dure depuis qu’ils sont ensemble, c’est-à-dire 16 ans, il y a une éternité, alors qu’ils vivaient en Turquie et n’avaient pas encore d’enfants. Ils sont arrivés en octobre 2023 en tant que réfugiés politiques (ils sont Kurdes) et les violences n’ont pas cessé, mais Hawa a fini par le dénoncer. Elle a raconté les insultes, les menaces et les gifles sur ses enfants. Puis le fils de 14 ans a témoigné, et il a dit que son petit frère de 9 ans lui avait rapporté avoir vu papa frapper maman, et le fils de 14 ans a lui-même été témoin des menaces et des insultes. Il a dit que sa mère avait souvent des bosses et qu’elle était régulièrement frappée.
« Je vais te couper en morceau et te donner à manger aux chiens »
La fille de 11 ans a elle aussi entendu les menaces de morts, les insultes régulières : je vais divorcer, te couper en morceau et te donner à manger aux chiens et puis les mettre (les morceaux) dans le cul de tes parents, aurait-il dit à sa femme, témoigne la petite fille. Les policiers notent que la petite fille de 11 ans se met à pleurer. Elle ravale ses sanglots et explique qu’elle a essayé de s’interposer, mais que son père l’a repoussée. Il aurait même poussé et fait tomber le petit dernier, un garçon de 3 ans qui court partout dans la salle d’audience et que la présidente a gentiment demandé de faire sortir.
La mère, Hawa, est restée au premier rang avec ses autres enfants. Quelle sera sa position un mois après les faits ? Aucune ITT n’a pu être établie en l’absence d’interprète, mais aux urgences, des médecins ont observé des ecchymoses et des écorchures sur son visage.
En garde à vue, Idriss a dit : les ecchymoses, c’est une tache de naissance et le témoignage des enfants, ce sont des mensonges que leur mère leur a dit de répéter.
Mais ce qui compte avant tout, c’est l’audience. « Avez-vous déjà frappé votre femme ?
— J’ai tapé ma femme une fois, juste donné une claque. Et donc je veux présenter mes excuses pour ça, au tribunal et à ma femme, et si elle ne veut plus de moi j’irai dormir chez des amis. Les enfants ? Non ils n’étaient pas là.
— Comment vous expliquez que les deux enfants qui rentrent le soir disent qu’ils vous ont vu frapper leur mère.
— Parce qu’ils aiment leur mère et sont fâchés.
— Ils ont donc tout inventé ?
— Ils soutiennent leur mère, s’ils ne veulent pas de moi j’irai chez un ami. Je regrette beaucoup, j’ai reçu ma leçon, traduit l’interprète.
— J’entends votre réaction mais y’a une photo d’elle prise par les policiers et un certificat à propos de traces sur son visage, et ce n’est pas compatible avec ce que vous racontez.
— Peut-être que vous me croyez pas mais je l’ai juste frappée comme ça (il mime une claque du revers de la main)
— Quelle partie de son visage ?
— Sur son front, pas son visage.
Hawa s’avance à la barre, l’air méfiant. Au fil de son audition, son ton oscille entre le suppliant (« s’il vous plaît, libérez-le » et le vindicatif « libérez-le ! »). Elle prend la défense de son mari et elle dit pourquoi : sans lui, ils n’ont aucun revenu.
« Votre fille a déclaré qu’elle aurait préféré ne pas venir au monde »
« La première fois que je suis venu, il est possible qu’il y a certaines choses que j’ai exagérées. Je ne me rappelle pas ce que j’ai dit.
— Est-ce que le 5 juin, Monsieur vous a frappée ?
— On s’est disputés.
— Est-ce que pendant la dispute il vous a frappée ?
— Il m’a donné une claque et je suis tombée par terre. Je peux pas dire que je n’ai pas subi de violence, mais c’était réciproque. Elle ajoute : « On n’avait pas demandé qu’il reste enfermé, il faut qu’il aille travailler et qu’il s’occupe de ses enfants. » Elle dit encore : « Il n’a jamais violenté les enfants.
— Ce n’est pas ce que vous aviez dit. Vous aviez même donné des précisions. (Elle lit les précisions). Vous vous en souvenez ?
— Je ne me rappelle plus, mais c’était sous le coup de la colère.
— Pourquoi étiez tant en colère ?
— J’étais fatigué, j’étais pas bien dans ma tête.
— Pourquoi avoir donné autant de précisions ?
— J’étais pas moi-même.
— C’est vous qui avez dit ça de manière spontanée, et vos trois enfants de 14, 11 et 9 ans, entendus 4 heures après les faits, dénoncent exactement les mêmes faits, qui se déroulaient déjà en Turquie.
— Contre moi il y a eu des violences, mais pas contre les enfants.
— Donc l’histoire a été montée en 4 heures par vos trois enfants ?
— Non, j’ai pas dit ça.
— (Juge Assesseur) Votre fille et votre fils sont apparus très affectés lorsqu’ils décrivent les violences que votre mari a exercées sur eux. Votre fille a déclaré qu’elle aurait préféré ne pas venir au monde. Et aujourd’hui vous déclarez qu’il y a eu une claque et que le reste c’est faux ?
— Y’a eu des disputes.
— Je ne parle pas de disputes, je parle de violences sur les enfants.
— Il n’y en a jamais eu.
— (Autre Assesseure) Comment ça se fait qu’ils dénoncent tous les mêmes choses quatre heures après ?
— Ils s’inventent des histoires dans leur tête.
— Une seule question, répondez par oui ou par non : ce que vous avez raconté aux policiers, vous l’avez inventé ?
— J’ai pu exagérer.
— Y’avait-il un fond de vérité ?
— Bien sûr.
— (Présidente) Moi je comprends que c’est compliqué pour vous et que ce n’était pas ce à quoi vous vous attendiez, mais à votre avis, ça a quoi comme conséquences sur les enfants de subir des violences ? Vous avez peur que Monsieur ne soit plus à même de subvenir aux besoins de la famille ?
— On voulait juste qu’il soit éloigné.
— La question n’est pas de savoir ce que vous voulez ,mais de connaître la vérité sur ce qu’il s’est passé, et s’il y’a un danger pour vous ou vos enfants ce n’est pas à vous de décider de la situation de votre mari. »
« Les violences sur la mère, il n’y a pas de débat »
Quand la procureure requiert contre Idriss, aucune condamnation à son casier, une peine de 18 mois de prison dont 10 mois assortis d’un sursis probatoire, ainsi que le retrait de l’exercice de l’autorité parentale, Hawa a un mouvement de recul horrifié. L’avocate de la défense tente de semer le doute : « mentir, c’est humain, exagérer, c’est humain. » Elle insiste sur le contexte « d’énervement et de dispute » dans lequel les déclarations ont été recueillies. Elle dit : « Les violences sur la mère, il n’y a pas de débat. Sur les enfants : il n’y a pas assez d’éléments », et insiste sur la violence qu’a représentée un mois de détention pour son client.
Le tribunal décide finalement de ramener la peine à 12 mois de prison intégralement assortis d’un sursis probatoire, avec une interdiction de contact, et prononce également le retrait de l’exercice de l’autorité parentale.
Référence : AJU455371