Tribunal de Pontoise : « Vous ne comprenez pas le ‘non’ ? »

Publié le 06/05/2024

Mohamed reconnaît les faits de harcèlement sur son ex-compagne dans leur globalité, mais les conteste dans le détail. Au fil du récit de l’affaire, le ton de la juge se fait plus irrité, tandis que le prévenu, finalement, n’en mène pas large.

Tribunal de Pontoise : « Vous ne comprenez pas le ‘non’ ? »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Le psychiatre qui a examiné Nour a écrit : « Madame semble avoir toutes les caractéristiques en lien avec les violences conjugales », puis lui a prescrit 12 jours d’ITT en conséquence du retentissement psychologique. En plus des faits de harcèlement subis et pour lesquels Mohamed, son ex-compagnon, est jugé ce vendredi 4 avril par le tribunal correctionnel de Pontoise, elle a très mal vécu la confrontation organisée pendant l’enquête, pendant laquelle Mohamed, 34 ans, a nié avec virulence tous les faits qui lui étaient reprochés. Et puis il y a ce stage sur les violences conjugales auquel tous deux avaient été condamnés pour des violences réciproques, au terme d’une précédente affaire. La juge demande : « Vous n’étiez quand même pas dans le même stage ?

— Ah si, si, si, répond Mohamed.

— Ah ! Vous étiez dans le même stage. Bon », répond la magistrate effarée. Et donc c’est pour ces raisons que Madame ne veut plus jamais vous voir. »

Depuis le 5 décembre 2023 et le début du contrôle judiciaire qui l’interdit d’entrer en contact avec Nour, Mohamed a respecté ce choix. Ils travaillaient au même endroit : « J’ai quitté mon travail. » Il a même quitté la région parisienne, et particulièrement la commune de Fosses, dans le Val d’Oise, où ils résidaient tous deux auparavant, et vit désormais à Montpellier.

Un traqueur sous sa voiture

Entre le 12 août et le 12 septembre 2023, Mohamed a contacté Nour entre 20 et 70 fois par jour, mais la période de prévention aurait pu s’étendre jusqu’à fin octobre. À la barre, il reconnaît les faits de harcèlement dans leur globalité, c’est-à-dire de l’avoir appelée et de lui avoir écrit à de très nombreuses reprises alors qu’elle avait dit « stop ». Il reconnaît avoir placé un AirTag (un traqueur) sur sa voiture, mais explique qu’elle était au courant ; il était convenu entre eux de se surveiller, elle fouillant chaque jour à loisir le contenu de son téléphone, par exemple. Réinterrogé plus tard, il admet qu’elle n’était pas au courant pour l’AirTag, mais que c’était « par souci de réciprocité ». Ils se séparent une première fois mi-avril, et … « Vous lui avez expliqué qu’il y a un préavis de trois mois ?

— Ce n’est pas vraiment ça, mais après une séparation, chaque personne doit rester abstinente pendant trois mois », précise-t-il, en vertu de règles religieuses. En fait, c’est elle qui l’a quitté après avoir découvert qu’il avait eu une relation avec une autre femme, ce qui rend cette période d’abstinence obligatoire plutôt ironique.

Puis, ça va crescendo. Nour déclare que, le 30 avril, il a piraté son compte Facebook. Au mois de mai, alors qu’ils sont séparés, elle part chez un cousin à Senlis où il vient chaque soir patienter sous sa fenêtre et toquer au carreau. Elle finit par revenir et ils se remettent ensemble.

C’est le 26 juillet qu’elle découvre le AirTag sous sa voiture et rompt de nouveau. Bien plus tard, le 20 octobre, ils se « croisent » à la station Total de Fosses, puis il la suit jusqu’à chez son père où la jeune femme a tenté de se réfugier – le père est témoin. Mohamed proteste : « La station Total, c’est un pur hasard !

— Comme par hasard ! Surtout quand il y a un AirTag sous la voiture.

— À ce moment-là, il était désactivé.

— Et la fois au centre commercial, c’était aussi un pur hasard ?

— Oui ! » En fait, le AirTag a toujours été actif et, pendant des mois, Mohamed a traqué son ex-compagne.

« C’est pour maintenir un peu la pression »

Un évènement retient particulièrement l’attention de la juge, fin août 2023. Nour est chez sa mère à Perpignan, déjà passablement ébranlée par le harcèlement qu’elle subie, malgré sa volonté clairement exprimée de ne plus avoir de contact avec Mohamed. Celui-ci l’appelle et lui envoie des audios par WhatsApp : « Depuis hier je passe devant chez ta mère et je vois que ta voiture est là. » Ou encore : « Si tu ne me crois pas, t’as qu’à sortir pour aller voir ». Se sentant persécutée, la jeune femme craint pour sa sécurité. Mohamed proteste encore : « Je n’étais pas à Perpignan, j’étais à Montpellier, c’est simple à prouver.

— Donc c’est un mensonge.

— Je n’étais pas à Perpignan, elle le savait très bien.

— Dans quel but lui dire ça, alors ? Et les SMS envoyés à sa mère ? Et quand vous lui dites « je vais attendre devant chez ta mère ? »

— …

— Donc vous avez voulu lui faire croire que vous étiez à Perpignan.

— Oui.

— Et ça, c’est pour maintenir un peu la pression. »

La présidente lit à haute voix les nombreux messages très désagréables envoyés par Mohamed à Nour, avec une irritation et un débit croissants. Mohamed, bien calé à la barre, commence à se tasser et à perdre de son assurance.

La présidente lit : « Elle évoquera des faits de violence dont on n’est pas saisis, et aussi que vous êtes un ancien policier. C’est vrai ?

— Oui.

— Que vous avez été viré pour violences, et que vous savez taper sans laisser de trace. C’est vrai ?

— Non, je suis parti de mon propre chef.

— Qu’elle a développé des kystes et est tombée malade. »

« Ça s’appelle effectivement du harcèlement »

Le 23 octobre, il l’appelle à répétition. Il veut « débattre », « savoir en quoi je t’ai harcelée ? », lit la présidente. « Donc en fait, vous n’arrêtez jamais ?

— C’est notre relation.

— Mais là je parle de vous. En fait, vous ne comprenez pas le ‘non’. Vous dites que vous allez arrêter de l’appeler puis tout de suite vous la rappelez. C’est curieux, non ? Et ça s’appelle effectivement du harcèlement. » La juge tourne les pages et poursuit sa lecture : « Une amie de madame dira que vous l’avez isolée. Un jour, vous l’attendiez sur le parking d’un Mac Do, c’est vrai, ça ?

— Madame, j’étais là avant qu’elle arrive.

— Ohlala, c’est incroyable ! », la juge exaspérée le fusille du regard en jetant la feuille devant elle, Mohamed baisse les yeux. « Une autre amie dit que vous avez essayé de prendre contact avec elle pour avoir des informations, elle dira que vous êtes vous, en fait », et la juge en reste là.

Après une telle instruction, la procureure se contente d’un réquisitoire de principe : « la version du ministère public consiste à dire qu’il s’est conduit en harceleur. Les appels téléphoniques en sont la preuve, et leur contenu en disent beaucoup sur la personnalité de Monsieur. » Elle demande 8 mois de prison avec sursis.

« Emprise réciproque »

La plaidoirie de l’avocate de la défense consiste à insister sur la réciprocité des violences, psychologiques et mêmes physiques, bien que cela ne soit pas versé au dossier. Elle parle « d’emprise réciproque » sans contester les faits de harcèlement, qui sont de toute façon admis depuis le départ.

Finalement, Mohamed repart dans le Sud avec 8 mois de prison avec sursis simple, et une obligation d’indemniser son ex-compagne à hauteur de 1 000 euros.

 

 

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