Tribunal d’Évry : « Elle se rend compte de l’horreur infligée aux enfants »
Une mère comparaît pour des violences habituelles sur ses trois enfants. Elle reconnait et s’excuse à la barre et explique qu’elle a « perdu pied », mais pour la procureure, ces faits doivent l’envoyer en prison.

Le 18 octobre 2023, Ahmed et ses deux fils franchissent la porte du commissariat de Grigny pour dénoncer les violences que la mère inflige non seulement aux deux garçons, mais également à leur petite sœur qui n’a même pas trois ans. Aidé d’un interprète et sous le regard encore mouillé de l’aîné, 10 ans, le père raconte la scène qui l’a décidé à prendre ses enfants sous le bras.
Ahmed et sa femme Ouarda se disputent souvent, des algarades terribles qui virent au pugilat si Ahmed ne fuit pas la colère de sa femme et, ce jour-là, Ahmed a terminé sur le trottoir, prêt à rejoindre sa voiture où il comptait passer la nuit – il commence à avoir l’habitude. Mais après la dispute, Ouarda n’est pas redescendue. L’aîné est sur le canapé où il fait semblant de se concentrer sur son activité tout en gardant un œil sur sa mère furibonde qui crie partout, s’approche de lui et, en le saisissant par le bras, lui hurle : « Viens, on va sauter du balcon ». Le petit garçon lui répond : « vas-y toi, moi j’ai pas envie », elle tente de le tirer vers le balcon (il n’est pas précisé à quel étage ils résident, ndlr), il résiste, elle tente de l’attraper par le col et lui griffe le cou.
C’est ce que raconte Ahmed aux policiers. Il leur montre aussi une vidéo terrible que le tribunal va projeter à l’audience et dans laquelle on voit la mère à genoux en train de hurler sur son fils cadet, âgé de 5 ans à l’époque. Le petit est recroquevillé au fond de la couchette du bas d’un lit superposé, elle l’attrape, le tire sans ménagement et l’assoit pendant qu’il pleure. Elle lui place les mains dans le dos et le ligote avec un câble électrique en le houspillant. Alors la vidéo s’arrête, car le père décide – enfin – d’aider son fils. Cette vidéo date de 2021.
« Pourquoi ne pas demander de l’aide aux services sociaux ? »
Les coups de câble sont fréquents, ainsi que les fessées, les gifles, les coups de pied aux fesses. Un jour que le cadet avait « filmé son zizi » et en rigolait avec son frère ainé, la mère a saisi le téléphone et est entrée dans une colère noire, lui a crié qu’il « commençait à devenir pédé » et l’a frappé avec un câble. La petite dernière, un bébé, reçoit des gifles régulièrement. Les deux garçons ont des traces dans le cou et dans le dos, et leur ITT s’élève à deux jours pour l’aîné, un jour pour le cadet.
Elle s’avance à la barre avec un tissu qui lui couvre le haut du crâne, une longue doudoune noire sans manches sur une ample tenue blanche, le regard triste et la tête basse ; Ouarda, 35 ans et assistée d’une interprète en langue arabe, « tient à présenter ses excuses ». « Je voulais protéger mes enfants.
– Les protéger de quoi ou de qui ?
— De l’extérieur, de la drogue.
— Ils sont un peu petits pour la drogue. En quoi ces violences pourraient les empêcher qu’ils tombent dans la drogue ?
— (La prévenue pleure) C’est vrai, j’ai fait une erreur impardonnable. Je m’occupais des enfants, je les amenais à l’école et je travaillais. J’avais des problèmes. On a passé des moments très difficiles avec mon mari.
– Si vous étiez un peu dépassée par la situation, pourquoi ne pas demander de l’aide aux services sociaux ? »
Débarqués à Grigny en 2015 en provenance d’Algérie, le couple se débattait avec des problèmes financiers récurrents. C’est surtout Ouarda qui se débattait avec plusieurs jobs (femme de ménage, auxiliaire de vie, aujourd’hui préparatrice de commandes au drive de Leclerc), tandis qu’Ahmed buvait et, d’après son épouse, la trompait (sur le banc, silencieux et immobile, Ahmed a l’air inquiet qu’on lui reproche quelque chose mais, curieusement, la présidente ne l’interrogera pas). Ouarda a « perdu pied » et a commencé à frapper ses enfants. Les « violences habituelles » auraient duré 5 ans, mais Ouarda est ambiguë dans sa reconnaissance des faits : elle admet la scène filmée et celle du 18 octobre (qu’elle minimise), mais semble renâcler à concéder le reste.
« On n’est plus au bled »
La juge assesseure : « Quand on arrive dans un pays différent, la vie elle n’est pas comme dans votre pays d’origine. On n’est plus au bled, il faut respecter les lois françaises. En France, c’est interdit de taper les enfants, c’est une infraction. En France, quand un enfant joue avec son zizi, c’est à lui, on ne le traite pas de pédé ; ça aussi, c’est une infraction.
– …
– Les coups et les violences, c’est pas quelque chose de naturel. Est-ce que vous avez été élevé comme ça ?
– Oui.
– Ça vous a fait plaisir de prendre des coups, de ne pas pouvoir toucher votre ‘machin’ tranquille ? Non ? Alors, il ne faut pas lui faire subir la même chose, parce que sinon qu’est-ce qu’il va se passer ? Vous allez lui transmettre la violence. C’est bien d’aimer les enfants, mais il faut réfléchir un peu. »
Les deux garçons ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance pendant six mois avant de revenir avec leur père, alors que la petite dernière était partie en Algérie, élevée par une tante paternelle. Elle est aujourd’hui détachée de sa mère. Les deux garçons, eux, ne veulent « plus jamais la voir ». L’administratrice ad hoc a été marquée : « J’ai été assistante sociale pendant 17 ans, j’ai rarement vu des enfants affirmer avec autant de fermeté ne plus vouloir voir leur maman. » Elle décrit des enfants « bien éduqués », et agréables. Sérieux, très sérieux. « Graves », dit leur avocat. Surtout l’aîné, qui a investi un rôle de protecteur de la fratrie. Ces enfants ne sont plus des enfants. Leur mère commente : « Je sais qu’ils sont en colère et je reconnais avoir fait du tort à mes enfants ».
« La détention, qu’est-ce que ça va apporter ? »
La procureure demande : « Vos enfants portent la culpabilité d’avoir causé la séparation, vous en pensez quoi ?
– J’espère qu’ils vont être mieux, qu’ils vont changer. Maintenant qu’ils sont avec leur père, j’espère que cette culpabilité va partir et qu’un jour, ils vont me pardonner. »
L’avocat des enfants demande 1 000 euros de dommages et intérêt par tête, et la procureure, qui considère que le positionnement de la prévenue sur les faits n’est pas satisfaisant, 30 mois de prison dont 10 mois avec sursis probatoire. Cela signifie un mandat de dépôt pour la partie ferme, alors que Ouarda comparaît libre.
Cela galvanise l’avocate de la défense, qui soutient que sa cliente reconnait les faits et les regrette : « Elle se rend compte de l’horreur infligée aux enfants ». « Madame est née en Algérie dans une famille de neuf enfants, une mère battue par son père, qui battait tous ses enfants. Elle s’est construite comme ça ; l’éducation qu’elle a eue, ça a été la violence. » Puis, en réponse à l’assesseure qui mettait en avant le « facteur culturel », elle rappelle « que la loi sur les violences éducatives date de 2019 ; jusqu’alors, des juges admettaient un droit de corrections et de nombreux parents français ont encore la claque facile », euphémise-t-elle. Estimant que la privation de ses enfants est la pire des sanctions pour sa cliente, elle demande un sursis probatoire : « La détention, qu’est-ce que ça va apporter ? »
La détention s’effectuera à domicile : trois ans, dont deux ans avec sursis, aménagement en DDSE* ab initio. Retrait de l’exercice de l’autorité parentale et interdiction d’exercer une activité en contact avec des mineurs pendant une durée de cinq ans.
*Détention à domicile sous surveillance électronique.
Référence : AJU496316
