Crime de viol : et si l’on parlait de volonté plutôt que de consentement ?
Julien Brochot, avocat pénaliste, suit depuis un an avec assiduité les débats sur la redéfinition du crime de viol. Considérant qu’une telle entreprise n’est pas exempte de risque, notamment à la lueur des grands principes, il reconnait que les questionnements actuels sont pertinents. Dans un contexte dans lequel une nouvelle proposition de loi va être discutée, il propose de réfléchir la notion de volonté.

Depuis début 2024 s’est engagée une réflexion profonde quant à la redéfinition du crime de viol. Cette réflexion a été induite par la discussion de la directive européenne « lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique », le dépôt de la proposition de loi dite « Vogel », puis par une nouvelle proposition émanant du parti La France Insoumise (LFI).
Alors que la dissolution de l’Assemblée nationale avait interrompu ces débats, le procès Mazan a fait ressurgir la question et plus particulièrement celle de l’introduction de la notion de consentement dans la définition du crime viol. Le 27 septembre 2024, l’ancien Garde des Sceaux, Didier Migaud, s’y était montré favorable.
Le 21 janvier 2025, Mesdames les députées Riotton et Gaarin ont déposé leur rapport d’information sur la définition du viol après plusieurs mois d’auditions.
Selon elles, il faudrait insérer dans la loi la notion de « non-consentement ». Cette idée a été reprise aux termes de la proposition de loi n° 842 déposée le 21 janvier 2025.
Disons-le d’emblée : cette référence au consentement, bien qu’elle puisse séduire, bien qu’elle soit au cœur des débats judiciaires actuels, semble juridiquement inopportune, et philosophiquement inadéquate.
Pour s’en convaincre, il convient de revenir aux racines de la problématique qui est soumise au monde judiciaire, mais également à la société dans son ensemble.
En premier lieu, faut-il revenir sur la définition du viol ?
Si l’on se penche sur les statistiques concernant le viol, au-delà des sondages qui demeurent soumis à caution, force est de constater que 70 à 80 % des plaintes sont classées sans suite. Ces classements peuvent intervenir sans qu’une enquête judiciaire digne de ce nom ait été diligentée.
De ce fait, le traitement du crime viol – et plus généralement des atteintes sexuelles – suscite légitimement l’émotion, voire la révolte.
Toutefois, ces maux ne sont pas directement liés à la définition du viol en tant que telle, mais relèvent davantage d’une insuffisance de moyens et de prise en charge.
La jurisprudence a, de son côté, su développer une conception adaptée des quatre éléments constitutifs de cette infraction : violence, contrainte, menace ou surprise. Les juges – et les jurés – prennent désormais en compte l’état d’ébriété, de sidération, de dépendance économique ou d’emprise.
Les procès Tron et Mazan en furent une parfaite illustration.
Partant, plusieurs voix s’élèvent, à juste titre, pour dire qu’une redéfinition n’est pas nécessaire. Pire, une telle réforme pourrait apporter son lot d’incertitudes, ce qui serait préjudiciable tant aux plaignantes qu’aux mis en cause.
Néanmoins, les travaux des députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin n’ont pas seulement mis en lumière les déficiences de la prise en charge des plaignantes – même si l’on doit souligner des progrès ces dernières années. Elles ont également relevé la nécessité d’harmoniser les interprétations jurisprudentielles, notamment au regard de nos engagements internationaux. Elles ont surtout rappelé la fonction expressive de la loi pénale.
Ainsi, la proposition de réformer sensiblement les textes n’est-elle pas dénuée de pertinence.
À cet argument s’ajoute celui de l’évolution de notre société qui doit être prise en considération.
Il convient de souligner que c’est aux revendications des collectifs féministes du début des années 1970, puis au combat de Gisèle Halimi lors du « procès d’Aix », que nous devons la définition actuelle du viol qui fut consacrée par la loi de 1980 – enrichie en 1994.
Dès lors, bien que l’on entende et valide les réserves émises par le Conseil National des Barreaux et de nombreux professionnels de la justice quant à la redéfinition du crime de viol, il faut reconnaître qu’il existe aussi des arguments sérieux au soutien d’une révision de notre législation – sous réserve, bien sûr, que ne soient pas occultés le caractère intentionnel de l’infraction et l’exigence probatoire à la charge de l’accusation.
Reste la question de l’introduction du terme « consentement »
En droit, le spectre de la contractualisation comme risque de confusion et d’insécurité juridique. Pour n’importe quel juriste, cette notion, bien que régulièrement employée au sein des cours d’assises ou criminelles et dans la presse, renvoie à celle de contrat et ne peut que faire émerger le spectre de la contractualisation des relations sexuelles.
En droit, le consentement oblige, son expression soumet à la loi des parties, sa rétractation peut obéir à des règles.
Une telle conception semble incompatible avec ce que l’on peut se figurer d’une relation charnelle voulue, désirée et/ou spontanée. De même, il doit être acquis qu’un acte sexuel peut être interrompu à tout moment, sans la moindre condition ou exigence de forme.
En ce sens, la référence au consentement parait inadéquate dans un contexte dans lequel il semble nécessaire de faire montre de pédagogie. On notera que lors du colloque organisé au Sénat le 21 novembre dernier, certains parlementaires ont parlé de « vices du consentement », conception empruntée au droit… des obligations ! Les prémices de confusions juridiques se dessinent donc déjà, à contre-courant de la volonté de clarté exprimée.
D’ores et déjà, de premières mésinterprétations se font jour.
Lors de la « non-affaire » Mbappé, des voix ont fait savoir que des décharges ou clauses de consentement étaient soumises aux personnes qui rencontraient les joueurs ou les célébrités, en écho avec la création d’applications utilisant la blockchain ou des documents stéréotypés diffusés sur des campus par exemple.
Les spécialistes auront beau s’époumoner à dire que ce type de contrat ne vaut rien, il n’en demeure pas moins que la loi aura raté son effet en introduisant une ambiguïté du fait du recours à une notion issue du droit des contrats.
De même, un juge pourrait-il rester indifférent à la production d’un acte de consentement formalisé ?
De progrès, la référence au consentement pourrait bien apparaitre comme un piège.
L’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 23 janvier 2025 sur le « devoir conjugal » illustre la cohabitation difficile entre la notion de consentement et le crime de viol.
Les juges de Strasbourg affirment qu’on ne peut consentir, par anticipation, à des relations sexuelles futures. Autrement dit, les relations sexuelles doivent sortir du champ contractuel.
Si l’on approuve cette affirmation, il faut alors admettre que le recours à la notion de consentement dans la définition du viol est un contre-sens : en effet, chasser le consentement aux relations futures dans le cadre du mariage pour intégrer celui-ci dans la définition du viol ne revient-il pas à recontractualiser les relations sexuelles ?
Ce paradoxe sensible conforte dans l’idée que le recours au consentement est dangereux.
En fait, le risque d’un focus renforcé sur la plaignante. Certaines associations ont pu souligner que définir le viol comme « un acte de pénétration sexuelle sans consentement » pourrait revenir à concentrer l’attention sur le comportement de la plaignante. Or, c’est précisément ce que les observateurs cherchent à éviter.
On pourrait rétorquer qu’en pratique, les méthodes d’audition ont évolué et qu’il n’ y a pas lieu de s’inquiéter.
Pour ma part, je m’interroge : pourquoi prendre le risque dans une matière si sensible ?
Si la référence au consentement doit être évitée, en matière d’infractions sexuelles, quel terme lui substituer pour répondre aux défis de notre temps ?
En admettant que le crime de viol doive être redéfini et que le terme « consentement » doive être proscrit, il appartient donc au législateur de lui trouver un substitut ambitieux.
Victoire Tuaillon, journaliste et autrice féministe, rappelle régulièrement que la sexualité est une « conversation ». Cette approche très juste peut être traduite en droit par le recours à la notion de « volonté » en ce qu’elle a d’humaniste et d’intime.
La volonté traduit l’expression de la capacité d’une personne à disposer librement d’elle-même, là où le consentement répond à une démarche d’objectivation d’un engagement plus ou moins réciproque.
Plus juridiquement, il faut souligner que le terme volonté n’est pas ignoré :
*la convention d’Istambul, texte international de référence portant sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, y fait directement référence ;
*la réforme suisse, saluée au même titre que les réformes espagnole, belge ou suédoise, utilise le terme de volonté ;
*notre propre droit pénal, distingue consentement et volonté, rattachant plus ou moins directement la première de ces deux notions au droit des contrats ; autrement dit, le droit pénal n’utilise pas un mot pour l’autre.
La volonté apporte les mêmes bénéfices que le recours au consentement à savoir, pour l’essentiel, une harmonisation de notre législation par rapport à nos engagements internationaux et une vertu expressive.
Elle n’en comporte pas les inconvénients sémantiques et/ou potentiellement juridiques.
Vers une nouvelle définition expressive ?
Si la loi devait changer, démarche à l’égard de laquelle je suis réservé sans y être opposé, voici une proposition de réécriture du texte qui pourra, avec d’autres, animer un débat essentiel.
Article 222-22 du code pénal :
« Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise contre la volonté de la personne, (notamment ?) par violence, contrainte, menace, surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur.
La volonté s’apprécie au regard du contexte des circonstances environnantes. La personne peut, à tout moment, revenir sur sa volonté.
Alinéas 2 et 3, devenant 3 et 4 inchangés ».
Article 222-23 du code pénal :
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis contre la volonté de la personne, (notamment ?) par violence, contrainte, menace, surprise ou en abusant d’un état altérant la capacité de jugement d’autrui est un viol ».
Ces nouvelles définitions ne bousculent pas le droit positif dont on sait qu’il prend parfaitement en considération l’emprise, la sidération, l’état de sujétion médicamenteuse etc… Le recours au terme « volonté » vient expliciter la notion de viol, la rendant plus accessible, plus expressive, sans pour autant donner lieu à des interprétations.
Elles amènent une harmonisation de notre législation par rapport à nos engagements internationaux du fait de la référence à la volonté, aux circonstances environnantes et à la faculté de dire non à tout moment.
Le caractère intentionnel des infractions d’agression sexuelle et de viol est consacré par le recours au mot « contre », qui traduit l’intention de l’auteur, au même titre que les actes de menaces, violences, contrainte ou surprise.
Se pose enfin la question de l’emploi de l’adverbe « notamment ». Il a ceci de rassurant qu’il ouvre la porte à de nouvelles adaptations. Néanmoins, il peut être vecteur d’insécurité juridique. Un tel texte pourrait en outre être exposé à la censure du Conseil constitutionnel, très attaché au principe de légalité et, par extension, d’interprétation stricte de la loi pénale.
Référence : AJU497186
