Tribunal de Paris : « Vous vous mettez nu pour qu’elle ait confiance en vous ?
La 10ᵉ chambre correctionnelle du tribunal de Paris juge un étudiant de 23 ans pour une agression sexuelle qu’il aurait commise sur une autre étudiante, au cours d’une soirée organisée par leur école de commerce. Elle dit son traumatisme, il affirme ne pas avoir perçu le malaise de la jeune femme.

Au cours d’un tournoi de tennis organisé par l’institut supérieur de gestion où il étudie, Axel fait la rencontre de Laura*. Elle lui plaît, ils sympathisent. « Nos pères se connaissaient, ça a facilité le contact. Je lui ai écrit des messages sur Instagram, on a tout de suite parlé de divers sujets, comme la Seconde Guerre mondiale » ou un projet de tour de l’Amérique du Sud en van. Axel plaît aussi à Laura.
Quelques jours plus tard, le 12 septembre 2024, un cocktail « recrutement » est organisé dans les locaux de l’institut – des employeurs font leur marché dans ce vivier de futurs cadres d’entreprises. Laura et Axel ont prévu de s’y retrouver. Avant la soirée, ils ont des conversations écrites dans lesquelles le jeune homme annonce qu’il aimerait bien dépasser le cadre amical, ce à quoi, dit-il à l’audience du 2 juillet 2025, elle répond « positivement ». « Vous lui aviez dit ‘je mords’ ? », relève le président. « Oui, j’aime mordiller », indique le prévenu à la barre.
La soirée venue, il entreprend de lui faire visiter le foyer, et surtout un recoin peu visible des autres invités, où ils s’isolent. « J’ai amorcé le mouvement pour l’embrasser. Je la regarde en souriant, elle me dit ‘ok, mais un bisou’, on s’embrasse, c’est langoureux. Elle me regarde en souriant en me disant : ‘c’était pas qu’un seul bisou ; c’était dit sur le ton du flirt. »
« Vouliez-vous une relation sexuelle au début de cette soirée ? » Axel répond que non, il voulait « prendre son temps », mais tout de même, « passer au stade supérieur ».
Laura se souvient qu’il lui a pris la tête entre ses deux mains, puis qu’il l’a saisie par la gorge avant de l’embrasser. Elle décrit ce mouvement comme brutal, sans compter qu’en effet, elle a pu le constater, Axel mord. Sa lèvre a enflé. Il explique avoir été emporté par la passion du baiser, mais que le geste traduisait une fougue amoureuse et non de la violence.
« Y’a pas de ‘non’ ou de ‘oui’ clair »
Ils sont dans un canapé, deux étudiants passent tour à tour et disent à leur ami « doucement avec les mains », sans qu’on sache si cela est dit sur le ton de la plaisanterie ou de l’avertissement. Il lui touche le corps en divers endroits, mais pas les parties intimes. Le téléphone de Laura sonne, c’est son futur employeur qui l’attend dans la salle de réception. Elle s’extirpe des bras d’Axel pour parler recrutement.
Il la retrouve peu après. Elle pense qu’ils devraient aller dans sa voiture à elle pour être plus tranquille, assure-t-il au tribunal, ce qu’elle a réfuté devant les policiers. Mais il préfère l’emmener aux toilettes, pour s’isoler. Il verrouille la porte, enlève le haut de Laura. « Une envie sensuelle plus que sexuelle. C’était un moment très fluide, il n’y a eu aucune résistance de sa part », soutient-il. « Il poussait des grognements d’excitation en lui touchant les seins », notent les policiers qui entendent Laura. « Je lui propose d’avoir le rapport sexuel. Elle avait l’air hésitante.
— Parlez-nous de cette hésitation.
— Y’a pas de non ou de oui clair, je lui dis qu’on est au sein de l’école, ça pourrait être amusant. Je perçois cette hésitation, je pense à abandonner. »
Le président lit la version de Laura : « Il insiste pour une relation sexuelle. Il met ses mains dans mon pantalon, puis me demande de lui faire une fellation.
— Elle a répondu comment ?
— Négativement.
— (Assesseur) Pourquoi vous êtes-vous mis nu à un moment ?
— Elle m’avait montré son intimité, je me suis dit que c’était normal que je le fasse aussi, pour témoigner ma confiance.
— Je ne comprends pas ce que vous dites. Vous étiez en érection ?
— Non.
— Vous vous mettez nu pour qu’elle ait confiance en vous ? Vous comprenez que ça peut faire peur ?
— Oui, tout à fait. »
« Tu es allé beaucoup trop loin, je me suis vraiment sentie en danger »
Axel finit par déverrouiller la porte des toilettes. Avant de se séparer, il lui demande si elle pense que c’est allé trop vite, à quoi elle répond « oui ». Il s’en excuse quelques minutes plus tard par texto. Dans le RER qui le conduit chez lui, il reçoit une rafale de messages insultants et menaçants de l’ancien petit ami de Laura, des mots très violents qui lui promettent une vengeance. « C’était très violent, j’étais sous le choc et là, j’ai perdu pied. En rentrant, j’ai réveillé mes parents pour leur montrer les messages. »
Il écrit à Laura : « J’aurais pas dû faire ça, j’ai déconné, je regrette, j’ai fait de la merde à 100%, je suis allé beaucoup trop vite, j’aimerais prendre tout le temps qu’il faut.
— Tu es allé beaucoup trop loin, je me suis vraiment sentie en danger, je me sens vraiment mal. Ce que tu as fait, c’est abusé, c’est horrible, je te l’ai dit 5 fois et tu n’as pas écouté.
— Je suis sincèrement désolé.
— Je n’avais jamais vécu ça de ma vie.
— Pourquoi tu m’as pas dit que c’était pas ok, bordel ? Je me sens comme une merde, ce que je suis d’ailleurs. »
Ce n’est qu’une partie de la conversation dans laquelle la jeune femme se dit vraiment meurtrie. Elle n’est pas là pour l’expliquer à l’audience, mais sa mère, en fin de procès, s’est approchée de la barre pour raconter d’une traite, ne s’interrompant qu’une fois pour pleurer, ce que sa fille, en état de choc, lui a rapporté en rentrant de cette soirée. « Ça a été une des pires soirées de ma vie, elle m’a dit qu’elle était dans un état de choc important et elle m’a dit ‘maman j’ai été agressée’. Elle m’a raconté les faits. Il l’a embrassée très brutalement, il l’a maintenue dans un recoin. Elle était seule, elle ne pouvait pas se dégager. ». Après l’interlude du cocktail, il est venu la reprendre et « l’a entraînée aux toilettes. Elle ne pouvait pas réagir. Il l’a touchée brutalement, l’a embrassée brutalement. Il l’a enfermée, l’a déshabillée. Il lui a caressé les seins avec énormément de brutalité. Elle m’a dit ‘maman j’ai mal’. Comme elle avait ce body qui se dégrafait par l’entrejambe, il n’a pas pu lui enlever. Elle m’a dit ‘c’est ça qui m’a sauvée. Elle lui a dit à plusieurs reprises ‘je veux partir ‘. Il lui a demandé une fellation, elle a refusé. Il l’a retournée contre la cloison des toilettes, s’est plaqué contre elle. Elle lui a demandé d’aller ailleurs. Il l’a libérée et elle s’est enfuie. »
Le président se tourne vers le prévenu : « Est-ce que vous vous sentez en faute ?
— Je ressens de la culpabilité, oui.
— Est-ce que vous reconnaissez les faits ?
— À aucun moment, je n’ai eu l’intention de la forcer.
— Est-ce que vous ne pensez pas que l’intention découle de la matérialité des faits que l’on a évoqués ?
— Mon intention n’a jamais été d’imposer quoi que ce soit. »
« La question est de savoir jusqu’où vous a-t-elle autorisé à aller ? interroge un assesseur.
— Si elle était mal à l’aise, pourquoi elle n’est pas partie plus tôt ?
— Ne pensez-vous pas que la peur, parfois, peut tétaniser les gens, les empêcher d’avoir une réaction plus active ?
« Te dire désolé ça n’excuse pas, tu me dégoûtes. »
Le dernier message qu’elle lui a envoyé disait ceci : « Te dire désolé ça n’excuse pas, tu me dégoûtes. »
Le président demande à Axel : « Qu’est-ce que vous avez à nous dire en plus ?
— Aujourd’hui encore, je ne comprends pas. Depuis cette nuit-là, il n’y a pas une seule journée sans que je me pose des questions. »
La procureure demande six mois de prison avec sursis, compte tenu de son casier vierge et d’un suivi psychiatrique depuis son enfance. Pas d’inscription au fichier des auteurs d’infraction sexuelle, mais une peine d’inéligibilité automatique et une interdiction de contact avec la victime.
L’avocate tente de semer le doute, et s’indigne avec des phrases telles que : « C’est un homme qui a envie, pour qui tous les signaux sont au vert. Il y va. » Ou encore : « Quand on engage une procédure judiciaire, on vient le jour de l’audience. Et puis : « Pourquoi elle appelle l’ex-petit copain ? Est-ce lui qui lui a mis les mots dans la bouche ? »
Ça n’a pas suffi : le tribunal a condamné Axel à 10 mois de prison avec sursis. À la demande des Laura, il prononce le renvoi sur les intérêts civils. La démarche chaloupée et la mine goguenarde, Axel remercie poliment et sort à pas rapides, amis et parents dans son sillage.
Référence : AJU500344
