Tribunal de Pontoise : « Accusé de viol, il ne vit plus depuis 2020 »
Une femme a porté plainte pour viol contre son ex-conjoint. Elle a été classée sans suite et la femme est jugée, ce jour et en son absence, pour dénonciation calomnieuse.

Karim est conducteur de bus dans le Val-d’Oise, algérien, trentenaire, marié « au bled ». Un jour, en 2016, il sympathise avec une jeune fille de 16 ans, Aïcha, qui monte dans son bus tous les matins. Il lui parle de sa situation administrative qu’il ne parvient pas à régler, elle lui donne des conseils. De son côté, elle lui raconte sa famille très pieuse qui l’étouffe, et lui confie que ses copines se prostituent. Aïcha est heureuse d’avoir trouvé auprès de cet homme qui a le double de son âge quelqu’un à qui confier ses soucis.
Début 2020, une relation sentimentale débute entre les deux. « Elle m’envoyait des photos d’elle sur Snapchat en mode charmante, et je suis tombé sous le charme », admet Karim. La présidente de la formation correctionnelle de Pontoise qui résume le dossier ne donne pas la date de début, mais mentionne celle de la rupture : le 20 septembre 2020. À l’initiative d’Aïcha, mais Karim « accepte » la séparation (il est toujours marié, ndlr). Peu après, elle porte plainte contre lui pour viol et agression sexuelle. Il est placé en garde à vue et nie les faits. Ensuite, il reçoit sur Snapchat des menaces de la part de son ex-compagne (pas sa femme, qui est restée en Algérie). Cela le surprend, car ils sont restés en bons termes. Il la contacte par téléphone et elle confirme que ce n’est pas elle qui a écrit ces messages. Elle l’informe qu’une jeune femme – Aïcha – est entrée en contact avec elle pour la « manipuler » : témoigner auprès des policiers pour dire que Karim est un violeur. Karim en informe la police. Peu de temps après, la plainte d’Aïcha est classée sans suite, et Karim porte plainte à son tour, pour dénonciation calomnieuse ; c’est l’affaire qui est jugée ce 24 septembre.
« J’ai envie de laver mon honneur »
Aïcha est absente, mais représentée. Karim, partie civile, remercie la présidente : « Vous avez bien expliqué. À partir du moment où j’ai eu la preuve qu’ils ont essayé de manipuler mon ancienne compagne, j’ai porté plainte. J’ai envie de laver mon honneur, je n’ai jamais eu d’affaires dans ma vie, jamais fait une garde à vue. »
L’avocate de la prévenue lui demande : « qu’est-ce que vous avez ressenti avec le classement sans suite ?
— Ça ne m’a pas soulagé, ça brise des familles ces mensonges.
— Quelle est votre intention avec cette procédure ?
— Que justice soit faite, comme quoi elle a menti.
— N’est-ce pas une volonté de s’acharner contre Madame ?
— Pas du tout, je veux juste laver mon honneur ».
C’est déjà le temps des plaidoiries.
L’avocat de Karim commence par prendre des précautions : « J’ai tout à fait conscience que le fait de saisir votre juridiction vous met dans une mauvaise position. Que ça pourrait décourager d’autres femmes de porter plainte et de dénoncer les violences sexuelles. Mais ce dossier, c’est tout le contraire. C’est une juxtaposition de messages éhontés ! C’est ce genre de déclarations qui portent atteinte aux vraies victimes de viol, c’est ça qui fait du mal à l’autorité judiciaire », proclame-t-il.
Il revient sur les éléments du dossier qui prouveraient, selon-lui, qu’Aïcha a menti, la « subornation de témoin » auprès de l’ex de Karim, qui est le socle de son argumentation – puisque l’ex-compagne en question est formelle : elle n’a rien subi de la part de Karim. Il assène : « Savoir qu’il a été accusé de viol, pour ça, il ne vit plus depuis 2020 ».
« Une procédure pour la faire taire »
En défense d’Aïcha, son avocate débute fort : « C’est toujours un peu particulier de voir que des procédures sont engagées contre des personnes qui dénoncent des faits de viol. C’est bien l’illustration d’une procédure pour la faire taire, comme on le voit avec les procédures bâillons, qui vise à empêcher la libération de la parole de la femme contre les violences sexuelles. »
Elle explique au tribunal qu’un classement sans suite n’est pas une décision de relaxe ou d’acquittement, que cela ne signifie pas qu’elle l’a calomnié. « La fausseté d’un fait dénoncé ne peut pas se déduire d’un classement sans suite », plaide-t-elle. « L’absence de contestation d’un classement sans suite ne signifie en rien qu’elle reconnait la fausseté des faits dénoncés. Puis, elle prend de la hauteur : « Comment on fait dans un contexte conjugal pour rapporter la preuve qu’on a été violé par son concubin ? Un classement sans suite peut très bien intervenir pour absence de preuve, et c’est précisément ce qui a été fait. »
« Condamner Madame, c’est condamner les femmes victimes de violences sexuelles »
Elle revient sur le contexte : la vulnérabilité de cette jeune fille, l’âge de Karim qui lui donnait naturellement un ascendant. Son contexte familial qui rendait impossible toute dénonciation de faits de violences sexuelles : « Mesurez-vous à quel point il est difficile de dénoncer des viols quand elle ne peut même pas dire qu’elle a eu des relations sexuelles ? » L’avocate dit que sa cliente est absente car elle a peur d’être confrontée à Karim. Quant à l’ex-compagne, elle affirme que son témoignage n’est pas fiable, dans la mesure où elle et Karim tentaient à la même époque de se remettre ensemble – elle aurait très bien pu lui fournir un témoignage de complaisance.
Elle conclut : « Madame est passée à autre chose, contrairement à Monsieur. » Pour « laver son honneur », dit-elle, un classement sans suite est suffisant. « On n’apporte pas la preuve du moindre préjudice ! Si votre tribunal vient condamner Madame, c’est condamner les femmes victimes de violences sexuelles qui n’arriveraient pas à apporter la preuve de ce qui leur arrive dans leur intimité. »
Le tribunal décide de relaxer Aïcha.
Référence : AJU475299
