Tribunal de Pontoise : « Quand je dansais, mes copines ont dit qu’il me fixait sans cesse »
Un homme de 58 ans est prévenu d’agression sexuelle sur une fille de 13 ans, le soir de la fête de la musique. Le dossier présente des carences, admet la procureure, mais le profil de l’homme est très inquiétant.
Le soir de la fête de la musique, Ludivine et ses amies s’amusent dans un parc de Montmorency où des musiciens se succèdent sur une scène. Elles forment un groupe de jeunes adolescentes qui parlent entre-elles, bougent sur la musique, rigolent, tandis que leurs parents passent la soirée dans un restaurant tout près de ce parc.
Il fait encore jour quand Ludivine surprend cet homme qui les regarde bizarrement depuis la pelouse où il est assis. Ses copines aussi le remarquent. L’homme les fixe tellement qu’elles sont mal à l’aise et décident de changer d’endroit. Il les suit et continue à les fixer. Elles se déplacent de nouveau.
Un peu plus tard, Ludivine est devant la scène où les gens dansent, lorsqu’elle sent une main sur son dos. Elle se retourne et voit l’homme qui la fixait. Elle est certaine que c’est lui qui l’a touchée, car il n’y a personne d’autre à côté. Elle quitte l’endroit, prévient immédiatement son père et son amie Sarah.
Entre le 21 juin et le 29 juin, Ludivine et Sarah croiseront trois fois la route du même homme. Une fois, il les suit sur des centaines de mètres, jusqu’à ce qu’elles courent se réfugier chez Sarah. De la fenêtre, elles le voient chercher partout où elles se sont cachées. Une autre fois, Ludivine et son père le croisent dans le parc. Le père prend une photo et file au commissariat. L’homme est interpellé peu après.
Un casier chargé d’agressions sexuelles sur mineures
Lorsqu’ils l’interrogent sur les faits, Dominique, 58 ans, nie. Lorsqu’ils consultent son casier judiciaire, les policiers ont quelques doutes. Dominique a été condamné à cinq reprises pour des infractions à caractère sexuel, essentiellement sur des mineures. Il a aussi une condamnation pour viol devant la cour d’assises de Paris.
C’est ce pédigrée qui amène Dominique en comparution immédiate début juillet. Comme il est sous tutelle, on procède à une expertise. Dominique demande le renvoi et son avocate une deuxième expertise psychiatrique. Le 14 août, l’expertise n’a pas été faite et l’audience est de nouveau renvoyée, à ce jeudi 29 août. « L’expertise a été rendue hier, et elle confirme point par point ce que disait la première », dit la présidente sur un ton agacé.
Dominique a passé deux mois à attendre son procès en détention. La présidente lit la prévention : agression sexuelle sur mineure de moins de 15 ans en caressant le dos et les hanches. Ludivine a 13 ans. Elle précise : « La mineure ne parlera que du dos ». En effet, c’est le père qui a « inventé » le deuxième geste, probablement par confusion. Il n’a pas assisté à la scène et son avis se retrouve dans la prévention, ce qui semble agacer la présidente, tout comme la pauvreté de la procédure. Aucune description de l’ambiance, une seule et courte audition de Ludivine, qui dit notamment de Dominique : « Il se tenait à l’écart de la foule, il nous fixait du regard, il ne dansait pas. Quand je dansais, mes copines ont dit qu’il me fixait sans cesse. » Le père de l’enfant a refusé qu’elle soit entendue une seconde fois. Il a aussi refusé qu’elle rencontre un psychiatre qui aurait pu évaluer un éventuel retentissement psychologique.
Dominique conteste les faits. Il n’a jamais touché Ludivine ou alors ne s’en souvient plus. Il n’a jamais suivi les jeunes filles, ni ce 29 juin, ni les autres jours, comme l’a rapporté Sarah. Il ne comprend pas, mais en même temps, ne se défend pas. Il s’exprime par monosyllabes et en marmonnant.
Il était en prison jusqu’à fin avril. Pendant ses deux mois de liberté, il vivait chez son frère, avec qui ça ne se passait pas très bien. Ce frère, entendu par les policiers, dit l’avoir vu traîner près du collège. Il se méfie beaucoup de lui. Dominique a été marié et a une fille de 28 ans, dont il n’a plus de nouvelles depuis longtemps.
« Pour vous, une femme ça commence à quel âge ? »
« Il ne cache pas sa crainte d’une potentielle récidive », écrit le premier expert psychiatre. « C’est surprenant que vous n’ayez jamais eu de suivi psy alors que vous estimez en avoir besoin, s’exclame la présidente. Quand vous voyez des mineurs de 13-14 ans, vous avez des tentations ?
— Non
— Vous dites êtes attiré seulement par les femmes, pour vous, ça commence à quel âge ?
— 15 ans.
— 13 ans, c’est pas une femme ?
— Non. »
Ce n’est pas ce que dit son casier, puisque plusieurs de ses victimes avaient à peu près l’âge de Ludivine.
«— Vos pulsions, vous arrivez à les gérer ou ça vous déborde ?
— Non, je n’ai aucun problème avec ça », répond Dominique, en parfaite contradiction avec ce qu’il disait au psy la veille.
En fait, il cherche à se faire bien voir en servant deux histoires différentes, ce qui n’a pas échappé au psychiatre. « Il n’a aucune empathie, il est peu authentique et banalise les faits qui lui ont valu des condamnations par le passé. Il n’éprouve ni remords, ni culpabilité. Il tente à tout prix de donner une bonne image de lui-même », note l’expert.
« Ce dossier n’est pas le dossier d’une main dans le dos »
« Ce dossier n’est pas le dossier d’une main dans le dos, proclame la procureure. Il passe en comparution immédiate parce qu’on parle d’une jeune fille de 13 ans qui dit avoir été suivie, touchée par cet homme dont on se rendra compte qu’il n’a au casier que des faits de cette nature. » Cela dit, elle admet des « carences » dans le dossier. Reste à déterminer si la main dans le dos est une caresse, si elle a une connotation sexuelle. En cas de condamnation, la procureure n’envisage qu’une peine de prison ferme (sans préciser ce qu’elle demande), au vu de ses antécédents.
« J’ai le sentiment que c’est le casier qui fait tout et serait le seul élément constitutif de l’infraction », répond l’avocate de Dominique. « Est-ce qu’une autre personne qui toucherait involontairement quelqu’un dans la foule de la fête de la musique serait jugée pour agression sexuelle ? Heureusement que non » Elle demande la relaxe. « Peut-être a-t-il regardé des jeunes filles dans le parc ; est-ce que c’est une infraction pénale ? »
Le délibéré prend un peu de temps. À son retour, la présidente énonce : « Le tribunal pense que vous avez mis votre main sur le dos de la jeune fille, mais il nous faut la démonstration du caractère volontaire et sexuel, et ça ne nous est pas démontré. En conséquence, vous êtes relaxé. » Elle ajoute : « Le tribunal vous recommande d’aller consulter un psy. »
Référence : AJU463666