Violences sexuelles : la valse des chiffres « délirants »
Le sujet des violences sexuelles revient sur le devant de la scène avec la publication mardi dernier de « La tribune des 147 » dont les signataires brandissent le chiffre de 94% de classements sans suite dans les affaires de viol en France pour réclamer une grande loi. Une nouvelle donnée « choc » dont la valeur statistique interroge…
« Peu importe l’exactitude des chiffres, ce qui compte c’est la cause » objectent souvent les militants lorsqu’on demande d’où viennent les données qu’ils brandissent pour justifier leur mobilisation. Étrange raisonnement qui consiste à asseoir une revendication sur une information présentée comme fondatrice lorsqu’elle illustre la nécessité d’agir, mais accessoire quand il s’agit de l’examiner pour poser correctement le diagnostic et décider ensuite du remède. C’est à cette valse des chiffres choc que l’on assiste actuellement s’agissant des violences sexuelles.
Début avril, une doctorante a publié un livret de 8 pages évoquant un taux de 86 % de classement des violences sexuelles. Le chiffre fut immédiatement repris dans tous les médias et imprimé dans tous les esprits. La magistrate Valérie-Odile Dervieux a tenté de comprendre d’où sortait cette statistique. Las ! La source était inaccessible et les raisonnements appliqués éminemment discutables. Elle a exposé dans nos colonnes le 23 avril dernier les raisons pour lesquelles il fallait se défier tant du résultat avancé que de l’ensemble de travail réalisé.
Des statistiques sur les viols qui ne tiennent pas compte des condamnations criminelles
Deux jours plus tard, le très sérieux service de la statistique, des études et de la recherche du ministère de la Justice diffusait en interne une note aux magistrats pour les mettre en garde contre les erreurs méthodologiques de cette fameuse « étude » qui aboutissaient à surestimer largement les taux de classement des dossiers.
Note SSER Article IPP taux de classement sans suite2
Mais déjà un autre chiffre, encore plus impressionnant, est apparu le 14 mai dans la Tribune des 147 publiée dans Le Monde. Des personnalités du spectacle parmi lesquelles Isabelle Adjani, Sandrine Bonnaire ou encore Julie Gayet, y réclament « une loi intégrale contre les violences sexuelles et sexistes » en invoquant le « chiffre délirant de 94 % » de classements sans suite des plaintes pour viol en 2020. Celui-ci est issu de la même étude que les 86% précédemment cités.
Dans l’épisode numéro 8 de l’émission féministe « Les couilles sur la table », il est affirmé que seuls 1% des viols aboutissent à une condamnation. Le raisonnement est le suivant : 90% des victimes ne portent pas plainte, 80% des plaintes sont classées ou débouchent sur un non-lieu, donc seuls 1% des violeurs sont condamnés.
Des données bricolées
En réalité, il n’existe pas de statistiques fiables et consolidées disponibles sur ce sujet. Ce qui conduit à la fabrication de ces données bricolées. Il serait peut-être temps que la Chancellerie se penche sur la question pour couper court à la désinformation en publiant elle-même des statistiques précises et régulièrement actualisées.
D’ici là, si l’on voit bien l’intérêt médiatique d’agiter des chiffres spectaculaires pour faire pression sur l’opinion et, à travers elle, sur le politique, ne faut-il pas s’inquiéter de l’effet sur les victimes ? On sait à quel point déposer plainte est difficile et douloureux. « À quoi bon, s’il y a plus de 9 chances sur 10 que cela n’aboutisse nulle part ? » songeront toutes celles qui liront la fameuse tribune.
Aura-t-on fait avancer la cause ? Pas sûr.
Référence : AJU439188