Le juge administratif entend les plaintes des détenus de la prison de Perpignan
Alors que le taux d’occupation au Centre pénitentiaire de Perpignan dépasse les 230%, le juge administratif de Montpellier a refusé dans son ordonnance du 22 août d’ordonner une mesure de « Stop-écrou ». En revanche, il a prononcé plusieurs injonctions pour corriger les conditions indignes de traitement des détenus dans l’établissement.
Ici les murs sont moisis, la literie infestée de punaises de lit, les toilettes sans lunette ni couvercle et parfois sans séparation avec la pièce à vivre, les fenêtres sont brisées ou absentes, les lits superposés sans échelle, les placards sans étagères, les matelas posés au sol faute de pièces en nombre suffisant, la place réservée à chaque occupant se limite à 84 cm2, les cours sont sans abris, ni bancs, les WC collectifs immondes, la sécurité électrique défaillante, le nombre de douches limité à trois par semaine et le personnel d’encadrement accusé de mauvais traitement. Nous sommes au centre pénitentiaire de Perpignan (333 places). La description est celle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, au terme de ses visites de mars et avril dernier, dont le rapport à été publié le 6 juin.
On est loin, très loin de la légende selon laquelle les prisons françaises seraient aussi accueillantes que des centres de vacances du Club Med’.
Ce mercredi 23 août, le thermomètre affiche 40 degrés à Perpignan, le département est en vigilance orange en raison du dôme de chaleur qui pèse sur toute la région.
Le taux de surpopulation de l’établissement s’élève à 204,1% et atteint même 236,4% dans le quartier des hommes, cela signifie concrètement que 315 personnes occupent 132 places. L’OIP évoque même un taux d’occupation de 279% au quartier hommes à la date du 1er juillet. « Nous retraitons les chiffres publiés par la chancellerie car celle-ci tient compte dans ses calculs des places d’isolement, de quartier disciplinaire, de semi-liberté, voire de mineurs, nous ne retenons quant à nous que les places effectives au quartier homme, ce qui rend mieux compte à notre avis de la réalité du taux de suroccupation » explique Matthieu Quinquis, président de l’OIP section française.
Une température de 50° en cellule
En pleine canicule, les détenus du centre pénitentiaire de Perpignan sont donc enfermés à trois dans une pièce de 9m2, étant précisé qu’une fois l’emprise des lits, meubles, WC enlevée, il reste environ 4,5m2 d’espace libre. « Dans ce genre de configuration, cela signifie qu’il fait 50 degrés dans la cellule, nous avons déjà eu l’occasion de relever ce type de température en cas de grosse chaleur dans d’autres établissements » commente Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL). « En prison tout est minéral, donc il y fait vite plus chaud qu’ailleurs. Faute de personnel, à Perpignan, les douches sont limitées à deux, trois maximum par semaine. En ce moment, ce doit être l’enfer pour les détenus ».
Jugeant la situation intolérable, l’Observatoire international des prisons section France (OIP) et l’association des avocats pour la défense des droits des détenus, rejointes par le CNB (Conseil national des Barreaux) la FNUJA (Fédération nationale des jeunes avocats) et le Syndicat des avocats de France sont allées plaider le 16 août dernier devant le juge administratif pour obtenir :
*la résolution des multiples problèmes exposés en introduction afin de rendre dignes les conditions générales de détention,
*mais aussi, compte-tenu du taux de surpopulation de l’établissement, la suspension de toute nouvelle admission.
L’OIP espérait obtenir du juge le prononcé d’une mesure dite de « stop-écrou ». L’idée ? Geler les entrées en prison, le temps que des places se libèrent. C’est ce qui a été mis en place à la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan en mai dernier (partiellement levé depuis). Au terme d’une négociation entre l’autorité judiciaire et l’établissement pénitentiaire, il a été décidé qu’au-delà d’un taux de suroccupation de 190%, toute nouvelle entrée devrait s’accompagner d’une sortie. « Ils ont finalement eu l’autorisation à 230% alors que 190%, c’est déjà énorme » précise Dominique Simonnot. « Ce mécanisme de régulation a été utilisé pendant la covid, avec les ordonnances de libération prises par la garde des Sceaux, et aussi lorsqu’un cluster apparaissait, l’établissement pouvait décider d’un »stop écrou » et refuser toute nouvelle entrée, ce qui engendrait des bras de fer entre le parquet et la direction de l’établissement. Mais hors contexte d’épidémie, ce n’est pas une décision que l’administration pénitentiaire peut prendre seule, une prison n’est pas un hôtel qui refuse les clients quand il est complet. Il faut un accord avec la justice, comme ça a été le cas à Bordeaux, même si son ambition semble dérisoire ».
Le juge administratif constate « l’ampleur » de la surpopulation à Perpignan
Dans sa décision du 22 août, le juge des référés rejette la demande en relevant que les établissements de Perpignan et Toulouse ont alerté sur leur situation de suroccupation et que les autorités judiciaires procèdent en conséquence à des aménagements de peine. Ce qui semble suffisant aux yeux du tribunal. De toute façon, note encore le juge, « l’intervention de mesures mettant fin à la surpopulation carcérale ne peut, compte tenu de l’ampleur de ce phénomène au sein du centre pénitentiaire de Perpignan, que s’inscrire dans le cadre de mesures structurelles ». En clair, c’est tellement grave que ça dépasse les pouvoirs du juge des référés qui ne peut que prononcer des mesures d’urgence. L’OIP a bien l’intention d’attraper la balle au bond. Car la reconnaissance de l’ampleur du phénomène peut lui servir. « Nous allons saisir le Conseil d’Etat, notamment sur ce point, dans les jours qui viennent. Le dispositif de « stop-écrou » pour nous ne relève pas du structurel, sauf à considérer qu’il y aurait une politique publique délibérée de suroccupation des établissements pénitentiaires. Il s’agit au contraire d’une mesure de régulation d’urgence pour corriger les conséquences désastreuses de la surpopulation », analyse Matthieu Quinquis.
Il faut inscrire un dispositif de régulation dans la loi, estime D. Simonnot
De son côté, la CGLPL travaille sur une possibilité de solution de fond, générale, qui évite à l’avenir de saisir le tribunal administratif à chaque fois qu’un établissement est surpeuplé. « Il faut parvenir à inscrire un dispositif de régulation dans la loi prévoyant par exemple des sorties encadrées de détenus 15 jours ou un mois avant la fin de la peine pour permettre une entrée » confie-t-elle « l’idée fait son chemin, certains parlementaires trouvent la solution intéressante ».
L’établissement est infesté de punaises de lit
La deuxième demande des requérants portait sur les travaux à réaliser pour mettre fin à l’état indigne de l’établissement. L’administration s’est défendue en expliquant que, suite à la visite de la CGLPL, elle avait pris des mesures, par exemple commander des échelles et faire appel à une société spécialisée pour combattre les insectes. Plusieurs demandes sont donc rejetées au motif que les travaux sont en cours, voire déjà réalisés, comme le nettoyage des espaces extérieurs entourant l’établissement. « La décision est néanmoins une victoire car le tribunal reconnait et sanctionne les conditions de détention dégradantes mettant en danger la vie des détenus » se félicite le président de l’OIP.
Les requérants obtiennent satisfaction sur quatre points :
*Le traitement des moisissures.
*La poursuite de la désinsectisation encore trop partielle. « C’est un travail titanesque, toutes les canalisations sont infectées, quand nous avons visité l’établissement ça sortait de partout » se souvient Dominique Simonnot. « Le problème a débuté en 2013, précise Matthieu Quinquis, ce qui montre les carences de l’administration ».
*La vérification de la sécurité électrique. « Le ministère s’est défendu en produisant des rapports de conformité. Le problème c’est qu’ils se fondent sur une occupation théorique et non sur l’occupation réelle, près de trois fois plus importante, de l’établissement, par conséquent ils ne correspondent pas à la réalité » précise Matthieu Quinquis.
Le tribunal entend les prévenus qui dénoncent des mauvais traitements
*L’établissement d’un rapport sur les mauvais traitements dans le quartier disciplinaire. Le CGLP notait à ce sujet dans son rapport : « Les contrôleurs ont recueilli de multiples témoignages faisant état de propos déplacés voire insultants et de brimades : privation de douche ou de promenade, non remise de papier toilette, privation de nourriture (délivrance d’un repas sur deux), impossibilité d’accéder à des vêtements de rechange, fouilles intégrales réalisées avec violence, etc ».
« Les débats sur ce point ont été tendus à l’audience, l’administration nous opposant l’absence de preuve. En effet, mais comment prouver qu’un détenu a été privé de repas il y a plusieurs semaines ? Le tribunal a donné du crédit à la parole des détenus, c’est très important. On aurait aimé des mesures conservatoires, dont la suspension de l’équipe mise en cause, nous ne l’avons pas obtenue. Nous serons vigilants sur les suites du rapport » précise Matthieu Quinquis.
Le recours devant le Conseil d’Etat continue de s’inscrire dans la procédure d’urgence, une audience est envisageable en septembre pour une décision espérée début octobre.
Référence : AJU386401