Mort d’un détenu à Meaux : une faille juridique sur fond de surcharge des audiences

Publié le 27/08/2024

À la suite d’une mention erronée portée sur la feuille de liaison entre le tribunal et la prison de Meaux (Seine-et-Marne), Assane a été maintenu en détention alors qu’il devait être libéré. Le lendemain, en proie à « un grand état d’excitation », selon le parquet, il est mort dans sa cellule. Ce drame met au jour une faille récurrente : l’obligation faite au procureur de remplir la fiche pénale, bien qu’aucun texte légal ne l’y contraigne. Il s’agit « d’un mode de fonctionnement » entré dans les usages que la juge Valérie-Odile Dervieux estime « dangereux ». Surtout dans un contexte de surcharge des audiences.

Mort d’un détenu à Meaux : une faille juridique sur fond de surcharge des audiences
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

« À l’issue de l’étude d’un dossier, explique un ancien parquetier chargé de l’exécution des peines, le personnel pénitentiaire doit savoir quoi faire de la personne ramenée par l’escorte. À ce moment-là, le jugement n’est ni rédigé ni signé par le greffier et le président du tribunal. Il revient donc au ministère public, sur la foi de ce qu’il a entendu quand le délibéré a été prononcé oralement, de remplir la feuille de liaison, une fiche volante qui est imprimée en prison. Face au nom, le procureur indique la peine, coche par oui ou non la case MED [maintien en détention]. Le risque, c’est qu’il comprenne mal… »

Valérie-Odile Dervieux, partage sa conclusion. Ayant exercé des fonctions au parquet avant d’être promue présidente d’une chambre de l’instruction à la cour d’appel de Paris, elle estime que « c’est effectivement l’un des moments les plus sensibles »*.

Sans préjuger des conclusions que livrera l’enquête en cours après le décès d’Assane, un homme de 51 ans réincarcéré à tort le 16 août à la prison de Meaux-Chauconin, il est acquis qu’une incompréhension est à l’origine de l’erreur commise sur le document destiné à l’administration pénitentiaire. Le procureur de la République, Jean-Baptiste Bladier, a admis « la mention erronée » ordonnant un maintien en détention. Lequel a motivé la fureur d’Assane qui, samedi 17 août, s’est rebellé, jusqu’à en mourir (notre encadré ci-dessous).

« La feuille de liaison ne fait l’objet d’aucun texte légal »

 Condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement assortie d’un sursis probatoire d’une durée de deux ans, Assane devait être raccompagné à sa cellule, y récupérer ses affaires, signer sa levée d’écrou et être élargi le soir-même. Mais sur la fiche pénale réceptionnée au greffe de la prison, il était inscrit « 36 mois dont 24 mois avec sursis probatoire pendant deux ans et maintien en détention ». Selon la journaliste du Parisien présente à l’énoncé du jugement, la présidente l’avait « clairement » formulé. Trois avocats l’avaient noté, dont Me Evelyne Janelli qui défendait Assane. Bouleversée, elle n’a pas souhaité s’exprimer. La retranscription inexacte a sans doute été effectuée dans la précipitation.

Car « ces audiences de comparution immédiate, surchargées, se déroulent rarement dans une sérénité idéale », relève Valérie-Odile Dervieux (lire sa tribune du 14 août 2023 ici). « Elles nécessitent des temporalités qui se marchent les unes sur les autres : temporalité de la juridiction, rendu de la décision, l’huissier qui apporte déjà le dossier suivant quand le greffier est toujours occupé, etc. Ainsi le parquetier se retrouve-t-il à remplir la fiche… Ce mode de fonctionnement est une pratique qui n’a aucune valeur juridique, si ce n’est qu’elle porte la signature du procureur ou de son substitut. Il n’y a ni doctrine ni jurisprudence, excepté disciplinaire. C’est en quelque sorte de la cuisine interne qui nécessite beaucoup de rigueur car elle peut conduire à des erreurs ».

Un précédent soumis au CSM en juillet 2017

 « Le seul document probant, c’est la note d’audience que rédige le greffier, que signe le président, insiste son collègue de l’exécution des peines. Nous demandons depuis longtemps que celle-ci soit remise à l’escorte, et non ce bout de papier issu d’aucun article du Code de procédure pénale, que l’on remplit sur un coin de table. On nous objecte que ça ne nous prend que 30 secondes quand le temps du greffier, lui, est compté… » A fortiori dans les grosses juridictions qui manquent de moyens.

Madame Dervieux considère que l’incident à Meaux « sur lequel je ne me prononce évidemment pas, pourrait constituer un argument susceptible d’être mobilisé pour dire : voilà nos conditions de travail ! »

Surtout que l’erreur commise le 16 août connaît un précédent similaire. En juillet 2017, devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet, « une très jeune » substitute « disposant alors d’une faible expérience » avait répondu d’un « manquement au devoir de prudence et de rigueur » pour avoir « ajouté à tort la mention du maintien en détention » sur la fiche de liaison d’un condamné. Il s’était suicidé. Le CSM lui avait reproché de ne pas avoir procédé « aux vérifications qui s’imposaient auprès du greffier d’audience » d’autant qu’elle avait ultérieurement coché la case « MED » après qu’un agent de la pénitentiaire avait pris la peine de vérifier auprès d’elle.

Le poids de la responsabilité pèse sur plusieurs personnes

« À l’origine d’une forte remise en cause personnelle et professionnelle », ces faits ont « durablement affecté » la jeune femme. Tenant compte de ses qualités et de l’absence d’antécédents, le CSM ne l’a pas sanctionnée. Autre motif souligné par la formation dans son avis, et justifiant le non-lieu, « les difficultés suscitées par la pratique de la feuille de liaison, dont le statut et le régime ne sont précisés par aucun texte légal ou réglementaire ».

Le Conseil était déjà parfaitement édifié de cette lacune juridique. On peut supposer que la Chancellerie l’est aussi. La juge Dervieux n’admet pas que l’on fasse porter « une responsabilité aussi lourde », souvent collective, car « ce peut être celle du président, du greffier, du substitut qui signe la fiche, de l’avocat ». Quoi qu’il en soit, poursuit-elle, « c’est un sujet récurrent qui donne lieu à des négociations avec le greffe, qui supporte déjà une charge énorme. Difficile d’en ajouter. On continue donc de confier au parquet une tâche qui nécessite de l’énergie, de l’attention, des précautions. Mais à un moment, il faudra reposer la question de l’organisation des audiences. Ou que ce soit automatisé afin de ne plus s’appuyer sur le facteur humain », conclut la magistrate.

Son collègue du parquet autrefois chargé de l’exécution des peines va plus loin : « Si on se plante, que l’on envoie par erreur quelqu’un en prison, on relève du pénal. Qu’un parquetier maintienne en détention une personne est déjà problématique en termes de libertés publiques car c’est au juge de prendre cette décision. On n’a pas tiré de leçon procédurale de l’affaire de 2017 ! Cette pratique n’apparaît même pas dans les fascicules de l’ENM ! Donc, il faut soit imprimer les feuilles d’audience que signent le greffier et le président, cela prendra cinq minutes de plus mais on aura un document authentique, soit que le ministère définisse un processus dans le Code ou par circulaire. »

Le procureur de Meaux, « en lien avec le ministère de la Justice, veillera naturellement à informer les proches du défunt des droits qui sont les leurs et des recours à leur disposition ».

 

*Valérie-Odile Dervieux est également déléguée régionale CA Paris du syndicat Unité Magistrats – Membre du Conseil National.

 

 

La police judiciaire saisie, une autopsie ordonnée

 Seuls les résultats de l’autopsie, des analyses anatomopathologiques et toxicologiques détermineront les causes de la mort d’Assane, maintenu en prison par erreur. La police judiciaire est chargée des investigations au centre pénitentiaire de Meaux.

 Assane avait été arrêté chez lui, à Noisiel, dans la nuit du 12 au 13 août. Il était accusé par une femme d’agression sexuelle, de violence aggravée par son taux d’alcool, notamment, et de séquestration. À l’issue de sa garde à vue, le 15 août, le juge des libertés et de la détention l’avait fait incarcérer jusqu’à son procès en comparution immédiate. Le JLD avait noté que le prévenu souffrait de diabète. Le Parisien, qui a rendu compte des débats à la chambre correctionnelle, rapporte qu’Assane a nié les faits reprochés.

Emprisonné de nouveau à la suite de l’erreur du parquet, il a mal vécu la méprise. Selon le procureur, il a montré « un grand état d’excitation et [tenu] des propos incohérents » samedi 17, il a « dégradé toute sa cellule ». Les surveillants sont intervenus avec un bouclier. Le Parisien précise qu’il portait « un morceau de tissu autour du cou ». Souhaitait-il se suicider ?

« En hypoglycémie, on n’est pas en état de se jeter contre un bouclier »

 Assane a fini par chuter et n’a pu être réanimé. Le médecin légiste a évoqué une « hypoglycémie sévère » et a prononcé un « obstacle médico-légal » : « C’est toujours le cas quand la mort n’apparaît pas “naturelle”, autrement dit qu’elle peut être violente, explique un juge. Le corps n’est restitué à la famille qu’après accord du parquet. » M. Bladier a ordonné une autopsie, des analyses anatomopathologiques et toxicologiques dont les résultats ne sont pas connus à ce jour. « Si l’on veut établir la responsabilité du diabète, savoir s’il a bénéficié de son traitement entre l’arrestation et le décès, il faut prélever plusieurs organes, déclare un expert. Mais pour qu’un diabétique meure d’hypoglycémie, il faut une surdose de médicaments et cela semble impossible en prison car le traitement est distribué au jour le jour. Il n’est pas envisageable que le médecin de l’Unité des consultations et soins ait administré une surdose. »

Autre remarque, « une glycémie trop basse provoque des symptômes qui ne correspondent pas à la surexcitation décrite. On est au bord du malaise, la tête tourne, on transpire, les jambes flageolent. On n’est pas en état de se jeter contre un bouclier ». Les investigations de la police judiciaire, qui doit interroger chaque personne qu’Assane a croisée, résoudront peut-être le mystère de la mort subite d’un homme âgé de seulement 51 ans.

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