Prison : l’OIP dénonce la double peine infligée aux détenus malades

Publié le 26/08/2022

Si l’on voulait résumer la situation de l’accès aux soins spécialisés en prison, on pourrait dire que c’est là qu’il y a les plus grands besoins et que l’on se heurte à la plus importante pénurie. Un rapport de l’Observatoire international des prisons (OIP) publié début juillet dénonce la double peine des détenus malades. Les explications de Matthieu Quinquis, président de l’OIP.

Prison : l'OIP dénonce la double peine infligée aux détenus malades
Photo : ©AdobeStock/Piotr

 

Actu-Juridique : Avant d’aborder le rapport sur les soins spécialisés en détention, que pensez-vous de l’annonce faite par Éric Dupond-Moretti sur le renforcement de la validation des organisations d’activités en prison suite à l’affaire du karting à Fresnes ?

Matthieu Quinquis : Les établissements connaissent déjà beaucoup de difficultés pour organiser ces activités, trouver des organisateurs, des financements, si le garde des Sceaux y ajoute l’obstacle de procédures d’autorisation et de validation renforcées sur fond de défiance, il crée les conditions pour que ce type d’activité devienne de plus en plus rare. Cela prive les détenus d’occupation et donc ça contribue à l’isolement et à la rupture des liens avec l’extérieur et ça entrave aussi l’élaboration des projets de réinsertion.

En outre, à partir du 1er janvier 2023, les réductions supplémentaires de peines seront exclusivement conditionnées aux activités effectuées par les détenus. Si on réduit celles-ci, on empêche les personnes d’apporter des gages au juge d’application des peines, donc cela éloignera d’autant la date de libération. En termes de perspectives numériques en détention, aujourd’hui on estime que les réductions supplémentaires de peines sont accordées à hauteur de 45 % (étude d’impact de la loi Confiance). Si on réduit ce taux, on va accroître la population carcérale. Autrement dit, la réaction apparemment anecdotique du ministre à un bad buzz médiatique va avoir un effet direct sur l’allongement des détentions, donc l’augmentation de la population carcérale et donc l’accroissement de la surpopulation.

Actu-Juridique : Venons-en à la question de la santé. Comment pourrait-on résumer la problématique de l’accès aux soins spécialisés en prison ?

 Matthieu Quinquis : La santé est une grande préoccupation pour les personnes détenues, ce sujet représente 900 sollicitations sur les 5000 que nous recevons chaque année. Les personnes sont déjà souvent dans un état de santé dégradé quand elles arrivent en prison, car elles sont généralement vulnérables, éloignées du soin depuis longtemps, sujettes à une ou plusieurs addictions. Leur situation est ensuite aggravée par la détention, et notamment la promiscuité, le manque d’hygiène, les nuisibles, les maladies infectieuses… S’y ajoute une prise en charge sanitaire souvent défaillante, en particulier pour les soins spécialisés. Avec des conséquences parfois dramatiques pour les personnes atteintes de pathologies lourdes.

Actu-Juridique : Une loi du 18 janvier 1994 a transféré la santé en prison au ministère de la santé, le bénéfice de la réforme ne semble toutefois pas au rendez-vous…

 MQ : Il y a des difficultés, mais ça ne remet pas en cause l’évolution qu’a constituée la réforme qui a été réalisée au nom de l’égalité d’accès aux soins et aux traitements, dans l’objectif de traiter les détenus comme des personnes à part entière. Cette reconnaissance d’un droit à la santé a eu un impact important sur l’organisation des soins ; auparavant, les médecins étaient rattachés à l’administration pénitentiaire ce qui suscitait des situations de conflit entre sécurité et santé, et ces conflits étaient toujours résolus en faveur de la sécurité. Mais il est vrai qu’en pratique on est loin de l’égalité d’accès aux soins.

 Actu-Juridique : Votre rapport pointe, sans surprise, le manque de moyens…

MQ : On constate une offre de soin insuffisante dans les établissements, mais aussi de très grandes disparités entre eux car la situation dépend de l’intérêt que manifestent les centres hospitaliers pour le soin en milieu carcéral. À cela s’ajoute en effet le manque de moyens tant en personnel qu’en locaux et en équipement. C’est encore une conséquence de la surpopulation dans la mesure où les besoins sont calculés en fonction des capacités théoriques d’accueil. Quand on sait qu’à Fresnes on est à 144 % de taux d’occupation, et 207 % à Nîmes on comprend à quel point le personnel peut être insuffisant. D’autant plus que les besoins sont nettement supérieurs en prison que dans la population générale. On sait par exemple que la moitié des détenus nécessitent des soins dentaires dès leur entrée en prison, en raison d’une mauvaise hygiène de vie. À tout cela viennent s’ajouter des difficultés qu’on rencontre à l’extérieur, assèchement de certaines spécialités et déserts médicaux. Cela rend d’autant plus compliquée l’intervention de spécialistes en détention. C’est un paramètre dont il faut tenir compte quand on choisit le lieu d’implantation d’un nouvel établissement.

Actu-Juridique : La santé en prison est également tributaire des contraintes de sécurité et de l’insuffisance des effectifs en mesure de prendre en charge les extractions.

MQ : La cause principale des impossibilités de faire opposées aux demandes d’extractions tient à l’absence d’escorte disponible et au fait que les considérations médicales passent au second plan en prison. Certains surveillants se permettent par ailleurs d’apprécier la nécessité du rendez-vous. Par exemple, un détenu qui doit faire des analyses à jeun et a pris son petit-déjeuner peut se voir refuser son extraction. Il arrive même que des surveillants décident que l’état de santé du détenu ne justifie pas un rendez-vous à l’hôpital. Ces faits nous ont été confirmés par le personnel médical.

Actu-Juridique : Vous pointez aussi l’inadaptation des établissements aux pathologies chroniques, au handicap et à la vieillesse.

 MQ : En effet, les établissements ne sont pas adaptés à ces populations, ce qui devrait inciter à renoncer aux incarcérations. Mais on incarcère quand même, dans des conditions indignes. Les détenus n’ont pas de soins adaptés, certains qui auraient besoin d’un auxiliaire de vie se contentent de leur codétenu qui évidemment n’est ni formé ni rémunéré pour accomplir cette tâche. Nous citons le cas d’un homme à qui l’on a interdit d’utiliser sa prothèse de jambe en cellule pour des raisons de sécurité et qui en conséquence est condamné à rester allongé sur son lit. Il existe des solutions comme les aménagements de peine, mais elles ne sont quasiment pas utilisées. La suspension pour raison de santé par exemple n’est généralement accordée que lorsque la personne est à l’article de la mort.

Actu-Juridique : On est choqué à la lecture de certains témoignages de découvrir que des coloscopies sont réalisées en présence de surveillants, au mépris de la dignité et du secret médical !

MQ : Il existe une hiérarchie dans le niveau d’encadrement et d’entrave, mais en pratique on constate une absence d’individualisation. On applique le même régime à tous les détenus sans considération de leur profil car la sécurité l’emporte sur tout le reste. Il y a d’autres difficultés comme le refus d’ôter les entraves lors de l’examen ou celui de l’escorte de se retirer. Plus inquiétant encore, la passivité du personnel soignant face à cette situation, il consent voire même parfois sollicite une surveillance renforcée inadaptée. Des détenus rapportent avoir été victimes de chantage après avoir invoqué le secret médical : des soignants leur répondent que soit ils acceptent la présence de l’escorte, soit l’examen est annulé.

Actu-Juridique : Le rapport se conclut par une série de préconisations, sur quoi souhaitez-vous particulièrement attirer l’attention ?

MQ : Nous soulignons au début comme à la fin du rapport le manque de données sur l’état de santé des détenus, il est donc nécessaire de mener des études assez larges pour connaître plus précisément l’état des besoins. Ce qui est sûr en tout état de cause, c’est qu’il faut renforcer les personnels, améliorer les rémunérations et aussi accroître les équipements car beaucoup de professionnels, kinésithérapeutes, dentistes, se plaignent du manque de matériel. Il faut aussi relativiser les impératifs de sécurité face aux impératifs de santé, privilégier les permissions de sortir (qui ne nécessitent pas d’escorte et limitent le risque d’atteinte au secret médical) et puis être plus vigilant sur la continuité des soins une fois que la personne sort. On constate que beaucoup de détenus n’ont pas accès au soin faute de carte Vitale ou de mutuelle, le temps de la détention doit aussi permettre de favoriser la régularisation de ces situations administratives.

 

Des témoignages édifiants

Pour réaliser ce rapport, l’OIP s’est appuyée sur différents documents et entretiens, dont les sollicitations reçues de la part de personnes détenues, de leurs proches ou de divers intervenants en détention concernant la santé. En voici quelques exemples :

« En préventive depuis juillet 2021, je n’ai pas pu emmener mon appareil dentaire, qui de toute façon n’est plus utilisable maintenant que les gencives se sont reformées. Or je n’ai plus de molaires. Appareil ? On ne fait pas ! Alors comme je ne peux pas mâcher, on me prescrit des médicaments contre la mauvaise digestion, les brûlures d’estomac. »

Maison d’arrêt de Dijon, mai 2022`

« Incarcéré depuis mars 2017, je reste depuis le premier jour 24h/24 dans ma cellule, diminué par des douleurs dorsales sans avoir accès au kiné. Il en est de même pour l’accès aux soins ophtalmologiques par manque de convention avec les professionnels. Âgé de 63 ans je me sens rompu, anéanti, déshumanisé, privé de lecture faute de lunettes adaptées. »

Maison d’arrêt de Reims, novembre 2021

« Ma consultation chez le neuro-chirurgien a été annulée à la dernière minute. La direction m’a dit qu’elle ne pouvait pas avoir lieu car d’autres extractions avaient été prévues et qu’il n’y avait pas suffisamment d’escortes. »

Témoignage d’une personne détenue, septembre 2021

« J’avais rendez-vous depuis trois mois avec un neurochirurgien. La consultation a été annulée le matin-même, je ne sais pas pourquoi. »

Témoignage d’une personne détenue, août 2021

« J’avais les menottes aux mains et l’attache à la taille, en laisse comme un chien. »

« Je suis allé à l’hôpital voir un neurologue, les deux surveillants sont restés dans le cabinet, ils n’ont pas enlevé les entraves aux pieds, ils écoutent tout, quelle humiliation. »

Témoignages reçus à l’OIP en mars et avril 2022

« Je ne comprends pas pourquoi le surveillant reste pendant la consultation… pas pu poser de questions, se confier devant un médecin c’est déjà dur, mais devant un surveillant qu’on va croiser tous les jours, c’est humiliant. »

Témoignage reçu à l’OIP en mars 2022

 

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