Rapport annuel de la CGLPL : 18 recommandations adressées en Seine-et-Marne

Publié le 12/05/2023

Mercredi 10 mai 2023, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) a remis son rapport d’activité à l’exécutif. Comme l’an dernier, elle pointe de graves dysfonctionnements, notamment dans les prisons surpeuplées. Au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, en Seine-et-Marne, le taux d’occupation a atteint 177 % en 2022. La CGLPL a adressé 18 recommandations aux policiers, gendarmes et magistrats de ce département.

Rapport annuel de la CGLPL : 18 recommandations adressées en Seine-et-Marne
Photo : ©Aquatarkus/AdobeStock

 Dominique Simonnot a remis, avant-hier, son rapport annuel au président de la République, au gouvernement et au Parlement. Le 22 juin prochain, il sera en libre accès sur le site du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. La CGLPL a cependant déjà mis en ligne un « avant-propos » effrayant tiré du bilan des 115 contrôles effectués par ses services en 2022. Les visites dans des établissements pénitentiaires, des centres de rétention administrative et d’éducation fermés pour mineurs l’ont particulièrement marquée. Si « quelques progrès » ont été relevés ici ou là, l’État lui apparaît « endormi », ses « alertes incessantes » se heurtant à « un mur d’inertie », entraînant une situation invivable « sans vision ni réalisme, répondant au populisme par des incantations et des roulements de biceps ».

La vie des « enfants enfermés » l’angoisse, « indifféremment dénommés “mineurs” » quand ce terme recouvre « des gamins malades, délinquants, déviant des règles ou venus seuls de pays très lointains ». Mais c’est aux prisons qui « débordent » que Dominique Simonnot consacre sa « lugubre litanie ». Les maisons d’arrêt, accueillant les courtes peines et prévenus, « affichent un surpeuplement jusqu’à 250 % ». Des prisonniers s’entassent « dans moins d’1m2 d’espace vital par personne » et sont « grignotés par les punaises, envahis par les cafards et les rats » (voir notre encadré).

Au centre pénitentiaire de Meaux, de 29 à 47 matelas au sol en 2022

Si, en 2022, la CGLPL ou ses chargés de mission n’ont pas pu se rendre au centre pénitentiaire de Meaux, le bâtonnier Nathalie Baudin-Vervaecke y a délégué, le 23 décembre, les avocates Manon Lebert, Carine Chevalier-Kasprazk et Florence Fredj-Catel, sa successeur en 2023. Et le 15 mars 2023, le vice-bâtonnier Jean-Christophe Ramadier s’y est présenté, accompagné de Me Valérie Lefèvre-Krummenacker. Conformément à l’article 719 du code de procédure pénale, cette prérogative réservée aux parlementaires est accordée aux bâtonniers depuis le 21 décembre 2021. Mes Fredj-Catel et Ramadier, à la tête du barreau de Meaux, ont l’intention de faire valoir leurs droits à constater les conditions d’enfermement, y compris celles des gardés à vue. « A l’issue de nos premiers contrôles, nous révèlent-ils, on a décidé d’organiser cet automne des états généraux de la détention. »

Si leurs rapports, également transmis à la CGLPL, restent confidentiels, il est cependant possible d’en connaître les conclusions. Et, à Meaux, le bilan est mitigé, principalement en raison du taux d’occupation : 902 personnes incarcérées en décembre, dont 799 prévenus, pour 639 places ! « Le jour de notre visite, indique Manon Lebert, il y avait 29 matelas au sol » et leur nombre était monté à 47 en octobre. Les services pénitentiaires situent « le seuil de criticité à 660 détenus »…

Si les cellules sont individuelles au centre de détention, celles de la maison d’arrêt, d’une superficie de 9m2, abritent deux, voire trois prévenus, avec un surveillant pour 50 individus. Autre « surprise désagréable », complète Florence Fredj-Catel, « la cellule pour personne à mobilité réduite que l’on nous dit pourvue d’un lit médicalisé, ce qui ne nous semble pas être le cas, et le prisonnier handicapé, devant assurer son ménage, qui vit dans la saleté ». Un auxiliaire ne lui apporte son aide qu’une fois par semaine. Aveugle, il trie seul ses médicaments, « au risque de faire une overdose ».

Contrôles au commissariat de Meaux et à la gendarmerie de Crécy

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Mes Florence Fredj-Catel, bâtonnier, et Jean-Christophe Ramadier, vice-bâtonnier, le 5 janvier 2023.

 Les avocates ont aussi relevé que la promiscuité entraîne « de nombreuses tensions », notamment lorsque, de nuit, il faut enjamber celui qui dort par terre pour aller aux toilettes, par ailleurs mal isolées. Enfin, elles espèrent voir les délais de consultation d’un médecin « raccourcis » et que cesse la distribution des traitements au sein des ateliers, afin de respecter le secret médical.

De son côté, Dominique Simonnot a demandé à trois chargées de mission d’effectuer « des visites inopinées » en juillet 2022 dans les locaux de garde à vue du commissariat de Meaux, sur le site des Sablons bouillants situé à deux kilomètres, et à la gendarmerie de Crécy-la-Chapelle. Elles ont aussi étudié le parcours des personnes déférées au tribunal. Il ressort du rapport que les punaises de lit ont disparu des geôles policières mais « les mineurs sont exposés à la vue de tous les interpellés » et « ne disposent pas de point d’eau, de toilettes ou de bouton d’appel ». Les adultes ne sont guère mieux lotis : un seul lavabo, pas de douche, un gobelet d’eau, des couvertures de survie pour se protéger du froid. Autre écueil, l’absence de table d’examen et de lavabo dans le local de 3,7m2 réservé aux fouilles et entretiens avec le médecin ou l’avocat, pas de kits d’hygiène. Les Sablons bouillants sont mieux équipés.

A la gendarmerie, si les cellules sont propres, « il n’y a qu’un point d’eau sommaire au fond d’un placard ». Ni salle de consultation ni bureau pour les avocats, qui peuvent être obligés d’occuper celui des enquêteurs. Les gardés à vue bénéficient de couvertures et de deux choix de repas à table.

« Les fouilles à corps » doivent « préserver l’intimité »

 Les contrôleuses recommandent à la police de ne pas confondre palpation et fouille à corps : « Le contrôle de la personne torse nue et vêtue d’un seul sous-vêtement » doit être effectué dans un local spécifique qui « préserve son intimité », ce qui ne semble pas être toujours le cas à Meaux. Quant au soutien-gorge, « il doit être restitué le temps des auditions et présentations aux autorités judiciaires » (recommandation n°8). A la gendarmerie, il faut que « les cellules de sûreté soient équipées d’un bouton d’appel d’urgence ou que les retenus soient transférés vers un autre établissement ». A noter : la notification des droits y est « plus rigoureuse » qu’au commissariat. Les étrangers retenus « doivent pouvoir disposer de leur téléphone portable », précision n°13. Il convient de prêter assistance vestimentaire aux démunis afin qu’ils ne soient pas humiliés devant les enquêteurs ou les magistrats. S’agissant des transferts vers le tribunal de Meaux, ils se déroulent bien et les casiers abritent correctement les biens personnels. Si la juridiction fait face à une lourde charge, elle « a respecté son contrat d’objectif », le retard est résorbé. La durée des audiences collégiales a « diminué de 2h30 » et se terminent « très rarement après minuit ». Les contrôleuses se souviennent d’une audience qui s’était achevée le matin « à 6h45 après avoir débuté la veille à 13h30 ».

En 2021, 2 676 personnes y ont été déférées, environ 2 800 l’an dernier « et, précise le rapport, la garde au dépôt a bien évolué depuis la dernière visite en 2015 ». Reste le temps d’attente, jugé « trop important ». Il est l’objet de la 17e recommandation. Exemple : arrivée 10h05, juge des libertés et de la détention vu à 20h30. « Ces données doivent être analysées pour identifier les améliorations possibles. » La 18e et dernière préconisation concerne les véhicules de la police : « Ils doivent permettre une assise suffisante et dans le sens de la marche pour ne pas provoquer de nausées. »

Dominique Simonnot s’inquiète « des conditions intenables des détenus »

Maisons d’arrêt surpeuplées avec un taux d’occupation moyen de 142 %, jamais inférieur à 135 %, « supérieur à 200 % dans trois établissements », population carcérale évaluée à 73 080 détenus, appels à l’aide incessants, prisons se substituant « aux asiles d’antan, enfermant dans ses murs plus de 30 % de détenus atteints de troubles graves », gardiens contraints de se muer en infirmiers. A nouveau, la CGLPL est effarée du constat dressé en 2022. Dans les services psychiatriques, des « locaux miteux », des « soins sans consentement », l’absence de visite ou d’accès à l’air libre. En maison d’arrêt, « seulement 25 % de détenus au travail » (70 % en Allemagne), et « la norme d’un gardien pour 50 prisonniers qui a explosé, passant d’un pour 100, voire 150 ». Elle n’en doute pas : « La France n’échappera pas à de nouvelles condamnations par la CEDH » (Cour européenne des droits de l’homme).

Dominique Simonnot s’alarme également du sort des enfants « ballotés de placements en foyers peu ou mal contrôlés, y retrouvant la violence » alors qu’il faudrait « redoubler d’idées et de lieux adaptés ». En psychiatrie, ont été vus « des gamins mélangés aux adultes » et « placés à l’isolement ou sous contention, c’est-à-dire attachés par des sangles à un lit ou une chaise, parfois sans possibilité d’appeler à l’aide ».

Dans les centres éducatifs fermés, l’enseignement est réduit, il manque du personnel formé, les mineurs sont confrontés à la violence, la drogue, le délaissement. « Avant de créer d’autres CEF [Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, projette d’ouvrir d’autres centres], peut-être faudrait-il mieux y réfléchir ? » s’interroge-t-elle. La pédopsychiatrie est, pour sa part, « en grande difficulté », certains départements ne proposant aucune offre.

« L’espoir demeure », notamment grâce aux bâtonniers

 Durant la pandémie de Covid-19, et « sans drame aucun », la population carcérale était redescendue à 58 800 personnes quand, aujourd’hui, elle est repassée au-dessus de 72 000. « Fulgurante remontée des incarcérations », note l’ancienne journaliste à la tête de l’institution indépendante, et pour remède, « la fameuse promesse fleurant le rance » de construire « 15 000 places d’ici à 2027 » – le nombre annoncé en 2017 à l’horizon… 2022 ! « Il est loin, l’espoir suscité par le beau discours du président de la République en 2018, affirmant sa volonté (…) de “faire sortir de prison ceux qui n’ont rien à y faire” », précise-t-elle, amère.

Elle s’inquiète « des conditions intenables des détenus qui influent sur la manière dont ils mèneront leur vie dehors. Ce qui forcément rejaillit sur nous tous ». Enfin, « très alarmante également », la vie dans les centres de rétention où les étrangers « sont parqués – pas d’autre mot » jusqu’à 90 jours. Cours de promenade « très exiguës », « activités plus que rares », « chambres sales et dégradées », manque d’hygiène et « amaigrissement » au cours du séjour, « information parcellaire sur les droits ».

Dominique Simonnot conclut néanmoins sur une note positive : « L’espoir demeure. Les bâtonniers des ordres d’avocats, qui en ont maintenant le droit, se sont lancés, avec ardeur, dans les visites de prisons, cellules de garde à vue, centres de rétention. » Ainsi, avec les élus, ils constituent un bataillon qui fera voir et savoir ce que dénonce la CGLPL, et « plus vite avanceront les chances de changement ». Dans le cas contraire, « la société tout entière n’a pas fini de le payer très cher ».

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