Surpopulation carcérale : reconstruire la dignité ?

Publié le 18/07/2023

Au 1er juin 2023, on dénombrait 73 699 personnes incarcérées pour seulement 60 652 places dans les prisons. Cela signifie, en pratique, que beaucoup de personnes dorment par terre sur un matelas dans des cellules surchargées. Comment en est-on arrivé là et que faut-il faire pour sortir de cette situation ? Voici les réponses de Valérie-Odile Dervieux, magistrate et membre du syndicat Unité Magistrats SNM FO.

Surpopulation carcérale : reconstruire la dignité ?
Maison d’arrêt de Carcassonne (Photo : ©AdobeStock/Tupungato)

Un constat partagé : l’insuffisance systémique de places de prison

En France, on compte 187 établissements dont 108 établissements pour peine et 79 maisons d’arrêt (art D. 211-4 du Code pénitentiaire.)

Au 1er juin 2023, 73 699 personnes sont incarcérées pour 60 562 places opérationnelles dans les établissements pénitentiaires.

La densité carcérale globale est de 121,7 %.

La densité des maisons d’arrêt est de 144,6 %.

Y sont incarcérées :

*19 919 personnes en détention provisoire, c’est-à-dire en attente de jugement définitif (20 % d’entre elles après un jugement de condamnation correctionnel ou criminel dont elles ont interjeté appel).

*les personnes auxquelles il reste une « courte » peine à effectuer (l’interdiction des courtes peines et l’obligation d’aménager les peines inférieures ou égales à un an issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de réforme interrogent ce concept[1]).

Surpopulation carcérale : reconstruire la dignité ?

L’indignité des conditions de détention fait l’objet d’une loi et de mécanismes juridictionnels dédiés.

Les indicateurs clés de la mesure de l’incarcération confirment l’insuffisance systémique de la capacité opérationnelle d’accueil depuis au moins 40 ans [2]&[3] .

Une solution simple portée par 1 explication simple : la jauge carcérale ?

Les promoteurs de la jauge carcérale, estimant que « Toutes les précédentes réformes visant à la limitation de la population carcérale mais se fondant uniquement sur un changement des pratiques des magistrats ont fait la démonstration de leur échec jusqu’à ce jour » et excluant la question bâtimentaire du champ de leur réflexion par une formule assertive : « plus on construit, plus on remplit », proposent une solution mathématique « simple » : 1 détenu entre, 1 détenu sort dès lors que le « seuil de criticité » est atteint

Ils s’appuient sur les mesures prises lors de la crise sanitaire du Covid‑19 et notamment la circulaire de régulation carcérale, publiée le 26 mai 2020 pourtant censurée partiellement par le Conseil d’Etat.

Cependant cette période de baisse du nombre de détenus est-elle « la bonne référence » ?

En effet elle correspond à une situation d’état d’urgence sanitaire, corrélée avec des mesures de confinement, une baisse subséquente de la délinquance et une restriction drastique des capacités de jugement ainsi que l’a déjà rappelé le ministre de la justice. dans une réponse à un parlementaire  du 27 mai 2021.

En outre, il est toujours important de rappeler que si le taux de détention français se situe dans la moyenne européenne[4], le taux de surpopulation carcérale nous place au rang des mauvais élèves.

La pertinence de la question des capacités opérationnelles de détention est ainsi avérée.

Des causes multifactorielles

Comme souvent en justice et malgré le caractère toujours « vendeur » du concept « juge irresponsable/coupable », le taux de détention a en effet des causes multiples :

– une population générale qui augmente,

– les critères du droit positif,

– des sanctions pénales encourues toujours plus lourdes,

– une extension des délais de prescription qui augmente le champ d’action et donc de répression, du pénal,

– une délinquance en forte croissance[5],

– des délais d’audiencement s’accroissant avec le manque de moyens[6].

Plus spécifiquement, les sources de placement en détention provisoire, qui contribuent à la surpopulation constatée, sont :

– les mandats de dépôt décernés dans le cadre d’une instruction : 25 000 en 2021[4].

-la comparution immédiate (30 000 personnes incarcérées en 2021[2] le plus souvent pour quelques jours[3], dans l’attente d’une audience ou dans le cadre d’un renvoi (obligatoire s’il est demandé par le prévenu),

-depuis leur création en 2019[5]: la comparution à délai différé[6] qui autorise le procureur – dans les cas où les actes d’enquête ordonnés tardent à produire leurs résultats, faisant obstacle à la comparution immédiate de la personne – à l’incarcérer jusqu’à son jugement, pour une durée qui peut atteindre deux mois[7]. : 4 200 placements en détention provisoire en 2021[8].

Or, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (n° 1346) en cours de discussion devant le Parlement prévoit notamment une extension du domaine de la comparution à délai différé (passage à quatre mois du délai de détention et ouverture des cas) qui pourrait mécaniquement augmenter le nombre de détentions provisoires.

Construire la dignité

Face à un nombre de places en prison qui « ne suit pas », transformant la règle de l’encellulement individuel apparue en juin 1875 (articles D213-1 à D213-4 du Code pénitentiaire) en chimère, la nécessité de construire plus pour détenir mieux s’impose donc.

Le gouvernement a écarté la proposition de loi[7] visant à instaurer une jauge carcérale[8] qui pose des questions de principe, de fondement, d’égalité devant la loi, de mise en œuvre et, disons-le, qui est difficile à « vendre politiquement » dans un contexte d’augmentation de la délinquance.

Le projet gouvernemental de construction de 15 000 places lancé en 2018, a pris du retard et est déjà sous-dimensionné d’après le rapport d’information sur la planification de la construction des prisons « une inexorable procrastination » du 25 mai 2023.

Ce projet, repris dans le projet de loi de programmation justice et complété par les débats parlementaires  (ajout de 3000 places de prison supplémentaires d’ici 2027) , a permis aux députés de rappeler que toute construction de lieu de détention était soumise à une réserve : « la délivrance par les collectivités locales des autorisations d’urbanisme nécessaires ».

Or, le rapport parlementaire du 25 mai 23 (cf. supra) dresse un bilan assez accablant de la politique immobilière pénitentiaire et de son incapacité à répondre aux enjeux de surpopulation pénale en raison notamment de règles d’urbanisme et de financement prévisionnel inadaptées

D’où la question :

Si l’on admet que la question des capacités opérationnelles de détention est une priorité d’ordre public (dignité, sécurité, justice) et que ni la complexité du droit de l’application/exécution des peines, ni la jauge carcérale ne sauraient faire office de baguettes magiques pour résoudre la question de la surpopulation carcérale, n’est-il pas temps, au-delà des vœux chiffrés, d’adapter le droit de l’urbanisme pour faciliter la construction des nouvelles places de détention dont nous avons tant besoin[9] ?

 

 

[1] La loi du 23 mars 2019 supprime la possibilité pour le juge de condamner à une peine ferme inférieure ou égale à un mois, impose au tribunal qui prononce une peine d’emprisonnement ferme comprise entre un et six mois une exécution hors prison (détention à domicile sous surveillance électronique, semi-liberté, placement extérieur au sein d’une structure d’accueil).

[2] Séries statistiques des personnes placées sous main de justice Statistique trimestrielle Direction de l’administration pénitentiaire

Bureau de la donnée 1980 – 2022 (intranet) ; internet 2018-2014 : www.justice.gouv.fr/series-statistiques-personnes-placees-main-justice

[3] .4 500 détenus de plus en 5 ans – 2015-2020 : analyse statistique de l’évolution de la population carcérale, Léa Alcon-Lignereux et Annie Kensey

[4] La France est-elle vraiment malade de la détention provisoire ?, Dalloz actualité Thomas Cassuto, avril 2020,

rapport SPACE 2022 ; –European journalism data network ; –Vie publique 2 aout 22

[5] « insécurité et délinquance : les premiers chiffres 2022 »

[6] Rapport des états généraux de la justice  8 juil 22

[7] http://www.senat.fr/leg/ppl20-362.html

[8]https://fr.linkedin.com/posts/gensdejustice_pourquoi-le-principe-de-la-r%C3%A9gulation-carc%C3%A9rale-activity-6938745612825722880-xfZI

[9] En prenant exemple sur les textes relatifs aux logements sociaux ?

 

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