Tribunal de Meaux : la prison de Meaux-Chauconin, passoire ouverte aux trafics

Publié le 09/11/2022

Durant un an, des détenus du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne) se sont procuré ce qu’ils souhaitaient : douze kilos de cannabis, de la viande, 400 téléphones, des consoles de jeux et même un placard à chaussures ! Principale suspecte de la combine : la buandière.

Tribunal de Meaux : la prison de Meaux-Chauconin, passoire ouverte aux trafics
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 

Il y a des maisons d’arrêt où des avocates doivent ôter leur soutien-gorge pour accéder au parloir afin de s’y entretenir avec leur client. Et puis il y a la prison de Meaux-Chauconin, semblable à une auberge espagnole. Entre le 10 juin 2021 et le 24 septembre 2022, six personnes sont soupçonnées d’y avoir organisé un trafic d’une envergure telle que l’on s’interroge : pour quelle raison les juger en comparution immédiate si ce n’est la logique du chiffre, du « rendement », pour seule boussole ? Du moins cinq d’entre elles, la 6e ayant choisi, ce 4 novembre, la procédure de « plaider-coupable ».

Tandis qu’elle repart libre et plutôt guillerette du tribunal, contournant la chambre correctionnelle où ses amis s’entassent dans le box, la présidente Cornelia Vecchio énumère les préventions. La palme des charges revient à Linda, ancienne lavandière de 50 ans : corruption active, remise ou sortie d’argent et objets en faveur de détenus, détention et transport de drogue. En 2e position, Abdelkader, 45 ans : corruption en récidive, achat et cession de cannabis, complicité de remise ou sortie des produits du trafic. Lequel a été facilité par trois seconds couteaux : Manuel, 35 ans ; Julien, 39 ans ; Fatima, 28 ans.

Les objets lourds transportés dans les paniers à linge

 À l’exception d’Abdelkader, condamné à dix ans de prison pour violences sur sa femme et transféré dès la découverte des faits au centre de Réau, où la surveillance est autrement plus efficiente, personne n’en mène large. L’ancienne chef de buanderie, licenciée le 3 juin, pleure même à chaudes larmes. Sweat blanc Levi’s, lunettes rectangulaires et queue-de-cheval, c’est Madame Tout-le-monde à qui l’on confierait ses enfants. Elle en a deux, adultes, et un mari pas plus que cela étonné par l’odeur persévérante de cannabis dans leur maison qui servait d’entrepôt, y compris à quartiers de viande.

Comme la loi l’y oblige, la juge propose à chacun le renvoi du dossier afin de préparer sa défense. Abdelkader et Manuel choisissent cette option. Les trois autres préféreraient en finir aujourd’hui. Le procureur Marc Lifchitz s’opposant à la disjonction de l’affaire, qu’il suit depuis le 2 juin, le procès est reporté au 2 décembre. Il faut déterminer si les prévenus seront libérés ou écroués d’ici là.

Les faits ne sont pas abordés. Toutefois, des 600 pages de procès-verbaux, on apprend l’essentiel : le trafic rapportait environ 25 000 € par mois grâce à l’introduction de cannabis (douze kilos en un an), denrées alimentaires, 400 à 500 téléphones, consoles Xbox, jusqu’à un placard à chaussures. Les objets lourds étaient cachés dans les paniers à linge de la buandière, ce qui en dit long sur la faiblesse des contrôles. En échange de son transfert, un prisonnier a balancé la bande au directeur de l’établissement. Assis parmi le public, ce dernier semble heureux du dénouement expéditif. Si un juge d’instruction avait été désigné, qu’aurait-il mis au jour ?

« Vous avez le dossier depuis juin, et moi depuis 2 h 30 ! »

S’agissant d’Abdelkader, la question de son avenir proche devrait être vite tranchée : le coiffeur algérien à barbe taillée purge jusqu’en 2024 une peine infligée en cour d’assises. « Eu égard à la gravité et à l’ampleur des délits, hors norme », le parquet sollicite pourtant une détention provisoire : elle empêchera d’éventuelles pressions et interactions. Son défenseur, Me Ludovic Beaufils, objecte que « depuis les auditions en juin, il ne s’est strictement rien passé. Quels arguments justifient cette mesure de sûreté ? Et si le dossier est à ce point hors norme, pourquoi l’orienter en comparution immédiate ? »

Contre Linda, qui n’a pas été emprisonnée après la découverte du trafic – comme Fatima, Julien et Manuel, elle a été convoquée le 3 novembre puis placée en garde à vue jusqu’au défèrement –, le ministère public sollicite la détention. Me Jean-Christophe Ramadier s’étrangle : « Elle a tout avoué, elle s’est présentée, son casier est vierge, on marche sur la tête ! Vous avez le dossier depuis juin, et moi depuis 2 h 30 ! Où est l’égalité des chances ? » Il espère que « les juges ne feront pas droit aux réquisitions fantaisistes ».

Pas de mandat de dépôt à l’encontre de Julien dont l’ultime condamnation remonte à 2011 mais il doit s’abstenir de contact avec les autres. Me Sophia Chraibi, du barreau de Paris, promet qu’il sera là le 2 décembre.

Pas de détention « malgré l’antipathie qu’elle m’inspire »

 Place à Manuel, qui part avec un handicap : 15 ans de réclusion criminelle en 2016 et une main tendue, fin 2021, par la justice qui l’a libéré avec un bracelet électronique – elle ignorait alors qu’il avait introduit des stupéfiants dans l’établissement. Le Guadeloupéen en col roulé gris « assume. Je me tiens à carreau. J’ai commis une erreur, je regrette ». « Et vous pensez être crédible ? Vous nous avez roulés ! », tonne Marc Lifchitz. Il ne réclame cependant pas la réincarcération. Venu de Seine-Saint-Denis, Me Loïc Le Quellec précise que son client « a conscience d’avoir trahi ceux qui l’ont soutenu », insiste sur ses diplômes obtenus en cellule, son emploi et son enfant dont il s’occupe.

Les foudres du parquetier s’abattent enfin sur Fatima, mère célibataire et salariée modèle. À ses yeux, elle souffre de deux défauts : être femme d’un prisonnier et avoir introduit 95 grammes de cannabis dans l’unité de vie familiale de la prison. Elle a écopé de cinq mois de sursis en avril 2022. « Je pensais demander la détention, je me contenterai d’un contrôle judiciaire, en dépit de l’antipathie qu’elle m’inspire », lance-t-il.

Sidéré, Me Thomas Pigasse s’emporte : « Depuis quand exprime-t-on ses sentiments lors des réquisitions ? » L’avocat parisien, qui a reçu le dossier à 10 heures le matin même, n’a « pas eu le temps de l’étudier. Néanmoins, je sais qu’elle conteste les faits reprochés. Cette présomption de culpabilité est insupportable ! » L’atmosphère, électrique, augure du tumulte lors des débats du 2 décembre.

Les prévenus ont la parole en dernier. Linda sanglote, implore la clémence d’ici à l’examen au fond. Elle sait qu’à l’issue, il lui sera sans doute loisible de postuler à la blanchisserie de la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis (Essonne). Les autres n’ajoutent rien aux plaidoiries.

Finalement, la présidente Vecchio et ses assesseurs ramènent le calme en leur prétoire après 2 h 45 de vifs échanges : tous sont placés sous contrôle judiciaire sauf Abdelkader qui repart à Réau, en détention provisoire.

La lavandière ne pleure plus. Elle va retrouver son mari.

Tribunal de Meaux : la prison de Meaux-Chauconin, passoire ouverte aux trafics
De gauche à droite : Mes Ramadier, Pigasse, Beaufils, Le Quellec, Chraibi, au tribunal de Meaux le 4 novembre 2022 (Photo : ©I. Horlans)

 

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