Les élections européennes : bases juridiques et mise en œuvre

Publié le 03/06/2024
Les élections européennes : bases juridiques et mise en œuvre
Pixel-Shot/AdobeStock

Les prochaines élections européennes se dérouleront entre le 6 et le 9 juin 2024. Régies selon des principes communs aux États membres, ces élections supranationales, donnant aux citoyens européens le pouvoir de désigner leurs représentants au Parlement, laissent des marges de manœuvre nationales quant aux modalités de mise en œuvre. En cela, elles sont conformes au principe de subsidiarité qui guide la construction européenne. Les élections de 2024 seront spécifiques en raison des défis renouvelés par les événements.

« Pour la première fois en effet dans lHistoire, dans une Histoire qui les a vus si souvent divisés, opposés, acharnés à se détruire, les Européens ont élu, ensemble, leurs délégués à une Assemblée commune qui représente aujourdhui, dans cette salle, plus de 260 millions de citoyens. Ces élections constituent, à nen pas douter, un événement capital dans la construction de lEurope depuis la signature des traités1 ».

Depuis 1976, le principe de l’élection des membres de l’Assemblée européenne au suffrage universel direct est acquis. Cette innovation juridique, par l’élection directe de représentants des peuples européens, avait alors suscité une vive controverse. Pour autant, le juge constitutionnel avait validé l’acte relatif à l’élection des membres de l’Assemblée européenne au suffrage universel direct2. Se fondant sur une distinction, désormais abandonnée, entre les limitations – autorisées – et les transferts, – interdits – de souveraineté, le Conseil constitutionnel avait ainsi repoussé les griefs d’inconstitutionnalité3. L’argument majeur de sa démonstration était l’absence de pouvoirs portant atteinte à la souveraineté par le Parlement – alors appelé « Assemblée » – européen. Le juge s’était ainsi prononcé : « Que l’engagement international du 20 septembre 1976 ne contient aucune stipulation fixant, pour l’élection des représentants français à l’assemblée des communautés européennes, des modalités de nature à mettre en cause l’indivisibilité de la République, dont le principe est réaffirmé à l’article 2 de la Constitution ; que les termes de “procédure électorale uniforme” dont il est fait mention à l’article 7 de l’acte soumis au Conseil constitutionnel ne sauraient être interprétés comme pouvant permettre qu’il soit porté atteinte à ce principe ; que, de façon générale, les textes d’application de cet acte devront respecter les principes énoncés ci-dessus ainsi que tous autres principes de valeur constitutionnelle »4.

Depuis cet acte fondateur, près de 50 ans se sont écoulés et les tenants et aboutissants de la première élection tenue sur cette base en 1979 sont profondément modifiés. En effet, le Parlement européen est devenu un colégislateur à part entière avec le Conseil de l’Union, les compétences européennes se sont sensiblement étendues à la faveur des révisions successives des traités et une citoyenneté européenne a été créée par le traité de Maastricht. D’ailleurs, le juge constitutionnel, saisi de ce dernier traité, l’avait censuré, notamment sur une partie des dispositions relatives à la citoyenneté de l’Union. Cependant, les dispositions relatives aux droits politiques, notamment celles concernant l’élection européenne n’avaient pas été censurées ; seules celles permettant le vote et l’éligibilité des citoyens de l’Union aux élections municipales avaient été partiellement censurées. La Constitution avait alors été révisée par le pouvoir constituant : les fonctions de souveraineté ne peuvent être exercées par des ressortissants européens non nationaux, ainsi que les traités et le droit dérivé l’autorisent.

Cette citoyenneté est en effet de superposition et non de substitution, et, en cela, le Conseil constitutionnel n’y voit pas d’atteinte au principe de souveraineté nationale. Cette citoyenneté supranationale confère de nouveaux droits aux ressortissants des États membres de l’Union. Outre les traditionnelles libertés de circulation et de séjour, initiées par les premiers traités et les accords de Schengen, une protection diplomatique et consulaire et la protection des droits fondamentaux, la citoyenneté européenne comporte une série de droits de nature politique. Parmi eux se trouvent les droits de vote et d’éligibilité aux élections municipales – sous certaines conditions liées au principe de souveraineté – et européennes. Cela signifie que tout citoyen ayant la nationalité d’un des États membres peut, sous certaines conditions, de durée de résidence, tant se présenter sur une liste que voter lors des élections européennes.

Malgré la dimension juridiquement supranationale de ces élections, l’organisation demeure nationale, alors même que les textes prévoyaient la perspective d’une procédure électorale uniforme. De plus, les enjeux sont souvent autant nationaux qu’européens et la participation souvent faible. Cependant, les événements qui se sont produits depuis les dernières élections en 2019, de la crise sanitaire à la guerre persistante en Ukraine, des terribles attentats terroristes du 7 octobre 2023 et à l’embrasement qu’ils ont suscités, font de l’Union européenne (UE) un acteur majeur. Dès lors, les citoyens perçoivent sans doute davantage la dimension européenne de nombre de suites ; qu’il s’agisse d’équipements de protection, comme les masques dont l’Union manquait en 2020, de commandes groupées de vaccins, facteur d’efficacité, ou encore d’enjeux énergétiques ou d’approvisionnement en matières premières, ce sont autant de sujets facteurs de prise de conscience et de sentiment d’appartenance renforcée. Sur ces bases, l’idée de souveraineté européenne devient plus présente dans les réflexions et les discussions et peut ainsi susciter un intérêt renforcé des citoyens pour les élections de juin 2024.

Les élections européennes de 2024, si elles ont des principes communs, conservent une forte dimension nationale (I) alors même que les enjeux juridiques sont éminemment liés à la souveraineté européenne en construction (II).

I – L’organisation des élections européennes : des principes communs mais une forte dimension nationale

Conformément à la philosophie de la construction européenne, l’organisation des élections des députés mêle des dispositions européennes, communes à tous les États membres (A), laissant une grande partie des modalités d’organisation à la main des États (B).

A – Des dispositions communes à l’ensemble des États membres

Plusieurs articles des traités portent sur les règles relatives à l’élection des députés européens. Il en est ainsi de l’article 14 du traité sur l’UE (TUE), des articles 20, 22 et 223 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), et de l’article 39 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

Selon l’article 14 du TUE, le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l’Union. Leur nombre ne dépasse pas 750, plus le président. La représentation des citoyens est assurée de façon dégressivement proportionnelle, avec un seuil minimum de six membres par État membre. Aucun État membre ne se voit attribuer plus de 96 sièges. Le Conseil européen adopte à l’unanimité, sur initiative du Parlement européen et avec son approbation, une décision fixant la composition du Parlement européen, dans le respect des principes visés au premier alinéa. Les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret, pour un mandat de cinq ans.

Selon l’article 22, paragraphe 2, du TFUE, « tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside ». Les modalités d’exercice de ce droit ont été arrêtées par la directive 93/109/CE du Conseil, modifiée en dernier lieu par la directive 2013/1/UE du Conseil. Selon son article 6, « tout citoyen de l’Union qui réside dans un État membre sans en avoir la nationalité et qui, par l’effet d’une décision de justice individuelle ou d’une décision administrative, pour autant que cette dernière puisse faire l’objet d’un recours juridictionnel, est déchu du droit d’éligibilité en vertu soit du droit de l’État membre de résidence, soit du droit de son État membre d’origine, est exclu de l’exercice de ce droit dans l’État membre de résidence lors des élections au Parlement européen ».

Selon l’article 224 du TFUE, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, fixent par voie de règlements le statut des partis politiques au niveau européen visés à l’article 10, paragraphe 4, du TUE, et notamment les règles relatives à leur financement.

Selon le traité de Maastricht, entré en vigueur en 1993, les élections devaient suivre une procédure uniforme, qui devait être adoptée à l’unanimité par le Conseil sur la base d’une proposition du Parlement européen. Cependant, en l’absence d’accord en ce sens, le traité d’Amsterdam a instauré la possibilité d’adopter des « principes communs ». La décision des 25 juin 2002 et 23 septembre 20025 a modifié en conséquence l’acte électoral de 1976, en introduisant le principe de représentation proportionnelle ainsi qu’un certain nombre d’incompatibilités entre les mandats nationaux et le mandat européen.

Les dernières modifications apportées à l’acte électoral de 1976 ont été adoptées par la décision du Conseil du 13 juillet 20186, qui contient des dispositions sur la possibilité de recourir à différentes méthodes de vote (vote électronique, par anticipation, par internet et par correspondance), les seuils, la protection des données à caractère personnel, la pénalisation du « double vote » par la législation nationale, le vote dans les pays tiers et la possibilité de faire figurer les partis politiques européens sur les bulletins de vote7.

Le seuil minimal obligatoire est compris entre 2 % et 5 % pour les circonscriptions, y compris les États membres à circonscription unique, comptant plus de 35 sièges dans les États membres où le scrutin de liste est utilisé. Les États membres devaient se conformer à cette exigence pour les élections de 2024 au plus tard.

Les incompatibilités sont définies au niveau européen. Le mandat de député au Parlement européen est incompatible avec la qualité de membre du gouvernement d’un État membre, de membre de la Commission, de juge, d’avocat général ou de greffier de la Cour de justice, de membre de la Cour des comptes, de membre du Comité économique et social européen, de membre de comités ou d’organismes créés en vertu des traités pour gérer des fonds de l’Union ou réaliser des tâches administratives permanentes et directes, de membre du conseil d’administration, du comité de direction ou du personnel de la Banque européenne d’investissement, et de fonctionnaire ou d’agent en activité des institutions de l’UE ou des organismes spécialisés qui leur sont rattachés. Le mandat est également incompatible avec les fonctions de membre du comité des régions (depuis 1997), de membre du directoire de la Banque centrale européenne, de médiateur européen et, surtout, de membre d’un Parlement national (depuis 2002)8.

De nombreuses autres dispositions non négligeables continuent à relever du champ national.

B – Une forte dimension nationale

La mise en œuvre de l’organisation des élections européennes relève de la responsabilité de chaque État membre. Plusieurs modalités apparaissent ainsi différentes.

De fait, le système électoral précis et le nombre de circonscriptions sont régis par le droit national. La plupart des États membres forment une circonscription unique. Seuls quatre États membres (Belgique, Irlande, Italie et Pologne) ont divisé leur territoire national en plusieurs circonscriptions régionales.

S’agissant du droit de vote, la majorité électorale est fixée à 18 ans dans la plupart des États membres, sauf en Allemagne, en Autriche, en Belgique, à Malte (16 ans) et en Grèce (17 ans). Le vote est obligatoire dans cinq États membres (Belgique, Bulgarie, Luxembourg, Chypre et Grèce). Cette obligation s’applique tant aux ressortissants qu’aux citoyens européens non ressortissants inscrits sur les listes.

S’agissant de l’organisation du vote des Européens non ressortissants de leur pays de résidence, il existe des variations selon les États membres. Selon l’article 22 du TFUE, tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de voter lors des élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, et ce, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Cependant, la notion de « résidence » diffère selon les États membres. Certains pays, comme l’Estonie, la France, l’Allemagne, la Pologne, la Roumanie et la Slovénie, exigent que l’électeur ait établi son domicile ou sa résidence habituelle sur le territoire électoral, d’autres, comme Chypre, le Danemark, la Grèce, l’Irlande, le Luxembourg, la Slovaquie et la Suède, qu’il y séjourne de manière habituelle, d’autres encore, comme la Belgique et la République tchèque, qu’il figure au registre de la population. Dans tous les États membres, les ressortissants d’autres pays de l’Union sont tenus de s’inscrire sur la liste électorale avant le jour du scrutin. Les dates limites d’inscription varient d’un État membre à l’autre.

Outre le droit de vote, la citoyenneté de l’Union comporte le principe d’éligibilité de tout ressortissant européen quel que soit son territoire de résidence. Là encore, les modalités diffèrent selon les États. À part l’exigence de citoyenneté d’un État membre, qui est commune à tous les États membres, les conditions d’éligibilité varient d’un État à l’autre. Nul ne peut être candidat dans plus d’un État membre lors d’une même élection (Cons. UE, dir. n° 93/109/CE, 6 déc. 1993, art. 4). L’âge minimal pour se présenter aux élections est de 18 ans dans la plupart des États membres, sauf en Belgique, en Bulgarie, à Chypre, en République tchèque, en Estonie, en Irlande, en Lettonie, en Lituanie, en Pologne et en Slovaquie (21 ans), en Roumanie (23 ans), et en Italie et en Grèce (25 ans)9. S’agissant du moment du vote, les élections ont lieu à une date située au cours d’une même période débutant un jeudi matin et s’achevant le dimanche suivant ; la date et les heures précises sont fixées par chaque État membre.

Sur ces bases, en France, les élections sont ainsi organisées. La loi du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen rétablit une circonscription unique qui était déjà en vigueur avant les élections de 2004 (pour les élections de 2004 et de 2009, le territoire était découpé en huit circonscriptions régionales, sept pour la métropole, une pour l’outre-mer).

Les élections européennes ont lieu au suffrage universel direct à un tour. Les candidats sont élus pour cinq ans selon les règles de la représentation proportionnelle à scrutin de liste à la plus forte moyenne. Les partis ayant obtenu plus de 5 % des suffrages bénéficient d’un nombre de sièges proportionnel à leur nombre de voix10.

Le contentieux des élections relève de la compétence du juge administratif. Tout électeur peut saisir le Conseil d’État dans les dix jours suivant l’élection. Chaque État a en effet la liberté d’organiser les modalités du contentieux de ces élections.

Les règles de respect des temps de parole sont organisées au niveau national afin d’assurer le respect du pluralisme des prises de parole. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)11 a ainsi publié, le mercredi 6 mars 2024, une recommandation pour les élections européennes applicables aux services de radio et de télévision, entrée en vigueur le lundi 15 avril et qui complète la délibération générale du 4 janvier 2011. L’Arcom a en effet adopté, le jeudi 2 mai 2024, une décision relative aux conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions de la campagne électorale. L’Arcom a également publié, le mercredi 6 mars 2024, les préconisations relatives à la lutte contre la manipulation de l’information sur les plateformes en ligne. Cette recommandation s’applique à l’ensemble des services de radio et de télévision, quel que soit leur mode de diffusion par tout procédé de communication électronique, à compter du lundi 15 avril 2024 et jusqu’au jour où l’élection est acquise. Tous les éditeurs de services de radio et de télévision, à l’exception d’Arte et des chaînes parlementaires, sont ainsi tenus de respecter les règles définies par l’Arcom. Toutes les émissions sont concernées (journaux et magazines d’information, autres émissions des programmes). Le principe d’équité s’applique pendant les six semaines précédant le jour du scrutin. Elle ne s’applique pas aux services qui, exclusivement accessibles par voie de communication au public en ligne, sont consacrés à la propagande électorale des candidats ou des partis et groupements politiques qui les soutiennent.

La composition du Parlement est actualisée avant chaque élection sur la base des données démographiques les plus récentes. Le 13 septembre 2023, les eurodéputés ont approuvé la décision du Conseil européen d’augmenter le nombre de sièges de 705 à 720 pour la prochaine législature. La nouvelle répartition des sièges est modifiée pour 12 pays de l’UE, notamment pour la France qui sera représentée par 2 eurodéputés supplémentaires, soit un total de 81 députés12.

II – Les enjeux des élections européennes : des sujets au cœur de la souveraineté européenne en devenir

Les députés qui seront élus en juin 2024 auront à la fois la charge de participer à la mise en place de la nouvelle Commission (A) et de reprendre les dossiers législatifs en cours dans un contexte international troublé. En cela, ce sont des marqueurs de la souveraineté européenne en construction qui vont se mettre en œuvre (B).

A – Le Parlement européen, acteur essentiel de l’architecture institutionnelle

Une fois le Parlement européen élu, de nouvelles échéances arrivent, dont celle, majeure, de la nomination de la Commission européenne. Les dispositions des traités font du Parlement un acteur essentiel de l’architecture.

La nomination de la Commission européenne se fait en deux temps. En premier lieu, les États s’accordent sur le nom d’un président ou d’une présidente. La désignation du président de la Commission européenne et du collège de commissaires repose sur une procédure définie à l’article 17 du traité de l’UE : dans un premier temps, le Conseil européen propose au Parlement européen un candidat à la présidence de la Commission. Le Conseil européen désigne son candidat à la majorité qualifiée « en tenant compte du résultat aux élections au Parlement européen ». Dans les faits, cela signifie que le président doit être d’une couleur politique conforme à celle de la majorité au Parlement. Si ce candidat n’est pas approuvé par le Parlement, le Conseil européen en propose un nouveau dans un délai d’un mois, et selon la même procédure. Dans un second temps, le Conseil de l’UE, en accord avec le président élu, adopte une liste de candidats au poste de commissaire.

Sauf opposition du Parlement européen (qui dispose d’un droit de veto), la Commission est nommée par le Conseil européen votant à la majorité qualifiée.

Les autres commissaires sont proposés par le Conseil, en accord avec le président élu de la Commission. Ce dernier se charge également de la répartition des portefeuilles.

La liste des commissaires est ensuite adoptée par le Conseil à la majorité qualifiée. Le collège ainsi constitué fait l’objet d’un vote d’approbation au Parlement européen, après audition des candidats devant les commissions parlementaires concernées.

Les 27 portefeuilles sous la commission Van der Leyen, depuis 2019, sont relatifs aux sujets suivants, outre la présidence de la commission : Lutte contre le changement climatique ; Concurrence ; Commerce ; Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ; Relations interinstitutionnelles et prospective ; Valeurs et transparence ; Promotion de notre mode de vie européen ; Démocratie et démographie ; Budget et administration ; Innovation, recherche, culture, éducation et jeunesse ; Emploi et droits sociaux ; Économie ; Agriculture ; Marché intérieur ; Cohésion et réformes ; Santé et sécurité alimentaire ; Justice ; Égalité ; Affaires intérieures ; Gestion des crises ; Transports ; Voisinage et élargissement ; Partenariats internationaux ; Énergie ; Environnement, océans et pêche ; Services financiers, stabilité financière et union des marchés des capitaux.

L’étape de l’audition parlementaire est un moment démocratique décisif. De nombreux candidats commissaires n’ont ainsi pas été retenus par le Parlement, notamment sur des sujets de risques de conflit d’intérêts. Après approbation du Parlement, le Conseil européen, qui réunit les 27 chefs d’État et de gouvernement, nomme officiellement la Commission en statuant à la majorité qualifiée. Au cœur de la structure institutionnelle, le Parlement l’est aussi au sein de la souveraineté européenne en construction.

B – Le Parlement européen, au cœur de la souveraineté européenne en construction

Les pouvoirs du Parlement européen se sont sensiblement accrus depuis les premiers traités. En cela, la lecture de la décision du Conseil constitutionnel de 1976 citée plus haut est profondément renouvelée. Les traités de révisions du traité de Rome initial n’ont fait que renforcer ses pouvoirs, qu’il s’agisse de l’Acte unique européen, du traité de Maastricht, du traité d’Amsterdam, de Nice ou encore du traité de Lisbonne, adopté après l’échec du traité établissant une Constitution pour l’Europe.

En étant désormais un colégislateur (1), le Parlement européen exerce des fonctions de souveraineté, au nom des peuples européens (2).

1 – Le Parlement européen, colégislateur

Les traités consolidés confèrent des pouvoirs substantiels au Parlement européen en matière législative. Si l’on se reporte aux premiers traités, le chemin parcouru par cette institution est sans doute le plus exponentiel, comparativement aux autres institutions. En effet, il n’avait initialement quasiment aucun pouvoir, si ce n’est un pouvoir consultatif, puis son pouvoir d’amendement s’est accru, jusqu’à ce que le traité de Maastricht crée la notion de « codécision » entre le Parlement et le Conseil et que, finalement, le traité de Lisbonne consacre le principe de procédure législative ordinaire.

Si un certain nombre de domaines demeurent davantage régis par des principes intergouvernementaux, il est patent que le Parlement européen est devenu un colégislateur. Il incarne en cela la démocratie représentative européenne.

Les étapes de la procédure législature sont décrites à l’article 294 du TFUE. La Commission présente une proposition au Parlement européen et au Conseil. L’article prévoit trois lectures. La première lecture s’organise de la manière suivante. Le Parlement européen arrête sa position en première lecture et la transmet au Conseil. Si le Conseil approuve la position du Parlement européen, l’acte concerné est adopté dans la formulation qui correspond à la position du Parlement européen. Si le Conseil n’approuve pas la position du Parlement européen, il adopte sa position en première lecture et la transmet au Parlement européen. Le Conseil informe pleinement le Parlement européen des raisons qui l’ont conduit à adopter sa position en première lecture. La Commission informe pleinement le Parlement européen de sa position. S’engage alors la deuxième lecture qui s’organise de la manière suivante.

Si, dans un délai de trois mois après cette transmission, le Parlement européen :

a) approuve la position du Conseil en première lecture ou ne s’est pas prononcé, l’acte concerné est réputé adopté dans la formulation qui correspond à la position du Conseil ;

b) rejette, à la majorité des membres qui le composent, la position du Conseil en première lecture, l’acte proposé est réputé non adopté ;

c) propose, à la majorité des membres qui le composent, des amendements à la position du Conseil en première lecture, le texte ainsi amendé est transmis au Conseil et à la Commission, qui émet un avis sur ces amendements.

Si, dans un délai de trois mois après réception des amendements du Parlement européen, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée :

a) approuve tous ces amendements, l’acte concerné est réputé adopté ;

b) n’approuve pas tous les amendements, le président du Conseil, en accord avec le président du Parlement européen, convoque le comité de conciliation dans un délai de six semaines.

Le Conseil statue à l’unanimité sur les amendements ayant fait l’objet d’un avis négatif de la Commission. La procédure dite de conciliation est décrite dans le même article. Le comité de conciliation, qui réunit les membres du Conseil ou leurs représentants et autant de membres représentant le Parlement européen, a pour mission d’aboutir à un accord sur un projet commun à la majorité qualifiée des membres du Conseil ou de leurs représentants et à la majorité des membres représentant le Parlement européen dans un délai de six semaines à partir de sa convocation, sur la base des positions du Parlement européen et du Conseil en deuxième lecture. La Commission participe aux travaux du comité de conciliation et prend toute initiative nécessaire en vue de promouvoir un rapprochement des positions du Parlement européen et du Conseil. Si, dans un délai de six semaines après sa convocation, le comité de conciliation n’approuve pas de projet commun, l’acte proposé est réputé non adopté. S’engage alors la troisième lecture également prévue par l’article 294 du traité : si, dans ce délai, le comité de conciliation approuve un projet commun, le Parlement européen et le Conseil disposent chacun d’un délai de six semaines à compter de cette approbation pour adopter l’acte concerné conformément à ce projet, le Parlement européen statuant à la majorité des suffrages exprimés et le Conseil à la majorité qualifiée. À défaut, l’acte proposé est réputé non adopté. Les délais de trois mois et de six semaines visés au présent article sont prolongés respectivement d’un mois et de deux semaines au maximum à l’initiative du Parlement européen ou du Conseil.

L’article 295 prévoit que le Parlement européen, le Conseil et la Commission procèdent à des consultations réciproques et organisent d’un commun accord les modalités de leur coopération. À cet effet, ils peuvent, dans le respect des traités, conclure des accords interinstitutionnels qui peuvent revêtir un caractère contraignant.

La plupart des domaines régis par l’UE relèvent de la procédure législative ordinaire. Ainsi, en relevant les décisions adoptées par les députés en fin de législature, on observe tant l’importance que la variété des domaines régis par l’UE. À titre d’exemple, il est possible de mentionner la directive sur le devoir de vigilance. La Corporate Sustainability Due Diligence Directive13 instaure pour les grandes entreprises européennes ou opérant en Europe une obligation de garantir le respect des droits humains, sociaux et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur, y compris chez leurs fournisseurs. Les textes en matière de migrations, mais aussi sur le volet énergétique sont également adoptés et en appellent de futurs.

Le Parlement européen est ainsi le colégislateur des normes qui s’appliquent aux citoyens. En cela, il est un acteur de fonctions de souveraineté au nom des peuples européens.

2 – Le Parlement européen, acteur de fonctions de souveraineté au nom des peuples européens

Les principes d’effet direct et de primauté, affirmés dès les premiers traités et affermis par la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, par ses célèbres arrêts Van Gend en Loos et Costa contre ENEL, respectivement rendus en 1963 et 1964, sont les premiers jalons de la souveraineté européenne.

En effet, en faisant des normes européennes des règles qui, dans certains cas, s’appliquent directement aux acteurs individuels, comme aux États, et des règles primant sur les lois nationales, ces principes jettent les bases d’un pouvoir renouvelé, au niveau supranational.

L’accroissement progressif des compétences européennes, à la fois à la faveur de la théorie des compétences implicites, sur la base de la jurisprudence comme des traités, eux-mêmes régulièrement révisés dans le sens d’une extension, couplé à ces principes, crée les conditions d’une souveraineté renouvelée.

Si cette notion doit nécessairement être maniée avec précaution, elle ne saurait désormais être éludée. Depuis le discours à la Sorbonne, en 2017, du président de la République, Emmanuel Macron, discours renouvelé en 2024, la souveraineté européenne est entrée dans le langage courant. Pourtant, ce qui pourrait paraître banal aujourd’hui ne l’a pas toujours été, loin de là, et ne fait d’ailleurs pas l’unanimité, tant s’en faut !

La dernière législature, allant de 2019 à 2024, a été un théâtre d’événements qui ont constitué une prise de conscience de la nécessité de souveraineté européenne. En effet, la crise sanitaire, puis la guerre en Ukraine et les attentats du 7 octobre 2023 en Israël ont été autant de facteurs déclencheurs. Dans ce contexte, le Parlement européen, en tant qu’il est élu par les peuples de l’UE, incarne une démocratie.

Cette démocratie est spécifique et tout statomorphisme serait inapproprié. Pour autant, une démocratie représentative est bel et bien instaurée par les traités, comme en témoigne le titre II du TUE, appelé « Dispositions relatives aux principes démocratiques ». Il est significatif que le premier article de ce titre, l’article 9, précise que, dans toutes ses activités, l’Union respecte le principe de l’égalité de ses citoyens, qui bénéficient d’une égale attention de ses institutions, organes et organismes. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. L’article 10 précise les caractéristiques de cette démocratie inédite. En premier lieu, il indique que le fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie représentative. En deuxième lieu, les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen. Les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens. En troisième lieu, le texte précise que tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union. Les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens. Enfin, en quatrième lieu, les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l’expression de la volonté des citoyens de l’Union.

Cette pleine consécration de la démocratie par le traité donne les bases nécessaires à la translation d’un certain nombre de pouvoirs des États vers l’UE. La réflexion sur la souveraineté européenne exige de dépasser la double impasse tendant soit à considérer la souveraineté comme un tout indivisible soit à lier de manière indéfectible nation et souveraineté. En effet, s’il n’existe pas en tant que tel de nation ou de peuple européen, le système politique européen a ceci d’original qu’il innove par la création d’une démocratie supranationale, fondée sur un équilibre des pouvoirs institutionnels. En effet, comme le précise le traité, dans ses dispositions relatives à la démocratie, celle-ci s’exerce à plusieurs niveaux : par les représentants des États membres, eux-mêmes issus de gouvernements démocratiquement élus ou désignés, par la Commission européenne, elle-même désignée avec l’accord du Parlement et, enfin, le Parlement, acteur démocratique par excellence, représentant la communauté des citoyens de l’UE.

Ce constat ne saurait faire abstraction d’une série d’insuffisances dans cet exercice démocratique renouvelé de la souveraineté. Les élections de 2024 pourraient être celles d’un changement à plusieurs égards. Le manque d’espace public européen est souvent mis en évidence. Or, justement, au regard des défis qui se dressent face aux peuples européens, les débats s’européanisent tout en conservant une approche nationale. La question de la lisibilité des procédures de décision se pose aussi régulièrement. Là encore, les débats actuels, notamment en matière de souveraineté alimentaire, et en particulier en France, à la lumière des revendications du monde agricole, créent les conditions d’une meilleure compréhension des mécanismes décisionnels. Les enjeux environnementaux sont de plus en plus saisis par les citoyens. La conscience de la nécessité d’agir ensemble, de disposer de règles communes afin de lutter contre les risques de concurrence déloyale est progressivement prise. Les aides financières apportées par l’Union aux agriculteurs constituent un sujet sensible, dont la prise de conscience accroît la connaissance du fonctionnement des politiques européennes. La dimension concrète de la construction européenne se matérialise ainsi de plus en plus. Les financements locaux de services publics, appuyés par des financements européens, commencent à être connus malgré une prise de conscience encore à renforcer.

Le vote aux élections européennes apparaît ainsi au milieu du gué : entre défis nécessairement européens, pour lesquels les prises de position des candidats députés sont essentielles pour l’avenir des politiques et des décisions européennes et réflexe national tendant à utiliser le vote comme un moyen d’évaluer la politique nationale.

Le chemin parcouru est remarquable et, en même temps, les défis restent sans cesse renouvelés, comme en témoignent ces mots de Simone Veil prononcés lors de son discours en 1979, alors qu’elle était la première présidente de l’Assemblée européenne élue au suffrage universel direct : « La novation historique que représente l’élection du Parlement européen au suffrage universel, chacun de nous, quelle que soit son appartenance politique, a conscience qu’elle se produit précisément à un moment crucial pour les peuples de la Communauté. Tous les États de celle-ci sont en effet, aujourd’hui, confrontés à trois défis majeurs, celui de la paix, celui de la liberté, celui du bien-être, et il semble bien que la dimension européenne soit seule en mesure de leur permettre de relever ces défis »14.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Extrait du discours de madame Simone Veil lors de son élection comme présidente de l’Assemblée européenne élue en 1979 (https://lext.so/Prpyia).
  • 2.
    Acte portant élection des représentants à l’Assemblée au suffrage universel direct, JO L 278, 8 oct. 1976, p. 5 à 11, mod., en dernier lieu, par Cons. UE, déc. n° 2018/994, Euratom, 13 juill. 2018 : JO L 178, 16 juill. 2018, p. 1 à 3.
  • 3.
    Cons. des communautés européennes, DC, déc. n° 76-71, 30 déc. 1976.
  • 4.
    Cons. des communautés européennes, DC, déc. n° 76-71, 30 déc. 1976, pt 5.
  • 5.
    Cons. UE, déc. n° 2002/772/CE, Euratom, 25 juin 2002 et 23 sept. 2002.
  • 6.
    Cons. UE, déc. n° 2018/994, Euratom, 13 juill. 2018, modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil du 20 septembre 1976 : JO L 178, 16 juill. 2018, p. 1 à 3.
  • 7.
    https://lext.so/MJTAOU.
  • 8.
    https://lext.so/MJTAOU.
  • 9.
    https://lext.so/MJTAOU.
  • 10.
    https://lext.so/MwGfRQ.
  • 11.
    L’Arcom a pour mission de veiller au respect, par les radios et les télévisions, des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 dont, en particulier, celles relatives au pluralisme politique.
  • 12.
    https://lext.so/j9wHRy.
  • 13.
    https://lext.so/UuE8Tx.
  • 14.
    https://lext.so/Prpyia.
Plan