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Summer Task Force : l’heure du bilan

Publié le 18/11/2020

La Grande école du droit (GED) de l’université Paris-Saclay et l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) sont partenaires de longue date. Quand la crise du Covid-19 a condamné les étudiants de la GED à ne pas pouvoir concrétiser leur stage, ils ont vite réagi en proposant de se rendre utiles auprès de l’AFJE. De là est née la Summer Task Force, mission de volontariat organisée par les deux partenaires et qui s’est déroulée pendant les mois de juin et juillet derniers. En cette nouvelle rentrée, placée à nouveau sous le signe des cours en ligne, il est l’heure de dresser un premier bilan.

« À l’annonce de nos stages qui s’annulaient ou qui n’allaient pas pouvoir se réaliser, nous n’avons pas paniqué, car nous savions que la crise allait avoir un impact global, partout. Nous savions que le stage était une réelle plus-value, mais aussi que l’absence de stage serait comprise par les employeurs ». Rayan Ider, 19 ans, était en deuxième année quand la crise sanitaire a sonné le glas des expériences professionnelles se déroulant au cours de l’année universitaire. Mais pour ce presque vingtenaire, motivé et suivant les cours de la Grande école du droit, impossible d’imaginer faire complètement l’impasse sur une expérience professionnalisante.

Comme le précise Véronique Magnier, professeure de droit, agrégée, spécialiste du droit des affaires, la GED qu’elle a créée en 2009, prépare à « intégrer professionnellement les étudiants, avec une orientation privilégiée vers le monde des affaires et des entreprises ». Aussi, au lieu de rester figé dans l’incertitude, Rayan Ider rebondit rapidement pour penser à des options valables. Véronique Magnier confirme le dynamisme de la promotion : le 15 mars dernier, nous avons basculé l’ensemble des cours à distance, mais nous souhaitions assurer la continuité du service public. Au fur et à mesure, les cabinets ou groupes ont décidé d’arrêter les stages. Nos élèves n’ont pas ressenti de sidération, mais ils ont réagi vite et ont montré qu’ils pouvaient s’adapter à un milieu difficile ».

Appliquant ces principes, Rayan Ider, au contact de Coralie Tsatsanis, responsable de la communication à l’AFJE, émet l’idée de mettre en place une solution alternative. « Ensemble nous avons eu l’idée d’intégrer les étudiants en difficultés dans certains projets de l’AFJE. Cela est d’autant plus pertinent que les étudiants en droit d’aujourd’hui sont les juristes d’entreprise de demain. Il nous tient à cœur de les sensibiliser et de favoriser leur intégration professionnelle. Dans ce contexte, il aurait été dommage qu’ils aient un trou sur leur CV », explique Coralie Tsatsanis.

Ce n’est pas un hasard si la Summer Task Force a été lancée conjointement avec cette association. « Ce partenariat a débuté il y a quatre ans, au moment où s’appliquait la loi Sapin II sur la compliance. C’est dans ce cadre que j’ai approché l’AFJE, en estimant qu’il serait intéressant de leur faire rencontrer mes étudiants, et c’est sur cette base qu’on a construit notre partenariat. En général, leurs missions se déroulent lors des éditions du Grenelle du droit où les étudiants tiennent les stands, réalisent l’accueil des invités. Cela les professionnalise », estime avec satisfaction Véronique Magnier. Cette fois-ci, ce sont d’autres missions qui ont été remplies par les étudiants.

Une solution idéale pour « remplacer » un stage conventionné

« C’était la solution parfaite. Au cours de l’été, nous avons pu gérer l’organisation de webinars ou de web-conférences, avec tout le côté “contact humains”, ou encore gérer des données dans des tableaux Excel », explique Rayan Ider. « Nous n’aurons peut-être pas de plus-value aussi importante qu’avec un stage conventionné, mais c’était une solution partielle très intéressante », estime Allan Demarle, 19 ans, étudiant en première année.

Ainsi, pendant deux mois, 15 étudiants ont pu mettre leurs compétences et leur enthousiasme au service de l’AFJE. « Nous avons essayé de trouver des missions qui soient intéressantes pour eux, notamment sur des choses qui sont extrêmement utiles au quotidien, ce que l’on n’apprend pas nécessairement à l’université mais qui font toute la différence », précise Coralie Tsatsanis.

Allan Demarle a participé au projet des webinars. Il s’est impliqué « de la genèse du projet jusqu’à l’organisation en tant que telle, la recherche des questions et des thèmes ainsi que le démarchage des participants », sans oublier la gestion des réseaux sociaux comme de la communication, adressée à tous les étudiants en droit de France. « Je n’ai pas forcément mobilisé des compétences juridiques, mais j’ai amélioré mes capacités relationnelles et professionnelles », se satisfait-il. Et en effet, cela entre en résonance avec les idéaux de la GED. « Un des défis de la Grande école du droit est de faire grandir très vite nos étudiants, en leur prodiguant des enseignements très interactifs, selon la méthode socratique, en complément des cours académiques plus traditionnels. Nous les accompagnons individuellement pendant les années de licence pour qu’ils développent leurs softs skills et perfectionnent un savoir-être et un savoir-faire qui leur sera demandé au sein des structures juridiques les plus exigeantes, tels les grands cabinets d’affaires ou les groupes industriels ou commerciaux à dimension nationale ou internationale », précise Véronique Magnier.

Rayan Ider, lui, a pu « participer aux web-conférences », en prenant en charge des sujets aussi divers que le lieu de captation ou l’ensemble de la logistique (mettre en place les lumières, les caméras, etc.) ainsi que la partie échanges avec le public, qui consistait à poser les questions aux intervenants. « Enfin, s’est ajoutée à cela une petite mission de résumé ». Les thèmes ? « La conformité en temps de crise », thématique qui ne pouvait pas être mieux trouvée. « J’ai appris beaucoup de choses », reconnaît-il, heureux d’avoir pu mobiliser une partie des connaissances acquises lors de son cours de business law, donné par Véronique Magnier. « En travaillant sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE), j’ai pu recroiser des thèmes étudiés grâce aux matières abordées dans la GED ». D’autres étudiants ont pu « recevoir une formation en exploitation de données massives (data mining) et ont perfectionné leurs soft skills de façon très concrète », analyse encore Rayan Ider.

Parallèlement à ces missions temporaires, c’est toute une promotion qui s’est mobilisée pour poursuivre son cursus en temps de confinement. Rayan Ider et l’une de ses camarades ont été les deux coordinateurs du projet Summer Task Force, et se sont particulièrement impliqués pour « aller chercher leurs camarades et les motiver à les rejoindre », précise Véronique Magnier. « Pendant la crise, les étudiants ont été beaucoup plus disponibles pour se parler entre eux, ils ont créé des groupes Zoom ou Teams, pour garder le lien social entre eux », détaille leur professeure. Allan Demarle confirme que la recherche de stage était très compliquée pendant cette période, « encore plus en première année et encore plus en temps de Covid », alors quand Rayan Ider lui a proposé d’en être, il n’a pas hésité et il a rejoint les rangs. Les deux camarades ont été tellement emballés par leur expérience qu’ils ont même continué à organiser les webinars après la fin de l’été dernier, courant septembre.

Une formation ambitieuse

Si ce projet estival a été aussi satisfaisant, c’est qu’il correspond aux ambitions que la GED, celle « d’apporter une réponse pédagogique adaptée à cette nouvelle dimension du monde des affaires à laquelle les générations de jeunes juristes allaient nécessairement être confrontées ».

Véronique Magnier détaille volontiers les bases de la GED. « Pour expliquer nos ambitions à la tête de la Grande école du droit de l’université Paris-Saclay, une image vient à l’esprit, celle de “global law”. Ce terme, approximatif car le droit reste national, vise la manière dont les marchés, les entreprises, les consommateurs même, sont parfois malgré eux, désormais inscrits dans une dimension économique globale. Aussi, la première ambition de la Grande école du droit est de former des juristes à appréhender ce monde sans frontière et décloisonné ». Ce qui explique que les étudiants, sélectionnés dès la première année de licence, doivent avoir une excellente base en droit français et un très bon bagage en common law. Apprentissage de l’anglais courant ou des affaires, mais aussi panel d’enseignements inédits, en anglais, des systèmes et des droits de common law, et enfin, en quatrième année, mobilité dans une université étrangère anglophone pour y suivre un programme très prestigieux et renommé partout dans le monde, le LLM (Master of Laws), assurent une volonté d’excellence. « À leur retour, ils obtiennent un double diplôme en droit des affaires, français et anglo-américain », conclut Véronique Magnier, qui ne cache pas sa fierté de voir les étudiants passés par la GED exercer aujourd’hui dans de grands cabinets d’affaires, à l’Autorité des marchés financiers, ou dans de grandes entreprises. Rayan Ider, qui, en entrant, se destinait plutôt à l’« avocature », s’imagine désormais en directeur juridique, en ayant pu mieux définir son projet professionnel.

En attendant le début de leur carrière, les avis sur cette Summer Task Force sont unanimes. « Je pense qu’ils ont beaucoup gagné en maturité. Ils sont certes jeunes en âge mais ils sont très mûrs et ont pris davantage confiance en eux. Ils ont appris à mieux s’affirmer, mais aussi à mieux s’exprimer par mail, à savoir être un appui en puissance à côté de leur n+1. Par rapport à un stage classique, je pense qu’ils ont tiré davantage d’enseignement vu l’environnement contraint dans lequel ils ont évolué », estime Véronique Magnier. Elle ajoute : « Ce genre d’expérience est très formatrice. Face à un recruteur, les étudiants sauront mobiliser le savoir-faire qu’ils ont acquis lors de ces missions, car avec ce genre d’histoires, ils sortent justement du lot ».

Elle estime encore qu’« ils ont décidé de s’impliquer, ce dont, nous professeurs, sommes très fiers, car nous espérons que c’est ce qu’ils feront dans leur future vie professionnelle. Cette expérience a développé leur créativité, leur confiance en soi, leur a donné de la hauteur de vue. Ils se sont montrés comme de futurs juristes accomplis en termes de connaissances, qui savent s’adapter à un monde qui bouge. »

Coralie Tsatsanis estime que l’expérience a été plus que profitable et « l’occasion d’être au côté des étudiants au quotidien, de voir l’évolution des matières de leur cursus et de leur parler de la profession de juriste d’entreprise, un métier pas forcément évoqué lors de la première année de droit ». Elle affirme que les portes sont ouvertes pour une seconde édition. « Cela a tellement bien marché que nous sommes en discussion avec la GED pour créer éventuellement de nouvelles missions, à la demande des étudiants, profitables à leur insertion professionnelle ».

Les étudiants seraient eux aussi ravis de recommencer. Si les conditions sanitaires ne s’améliorent pas, cette initiative « pourrait faire l’objet d’une deuxième édition », envisage Rayan Ider. « Mais pour le moment, nous naviguons à vue ». Nul doute que les étudiants de la GED sauront s’adapter encore à un monde qui bouge ou a contrario, à un monde qui stagne…

LPA 18 Nov. 2020, n° 157s5, p.8

Référence : LPA 18 Nov. 2020, n° 157s5, p.8

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