« On peut parfaitement conjuguer croissance et écologie »
C’est une femme qui a commencé sa carrière dans le secteur des énergies fossiles, avant de devenir une des plus enthousiastes ambassadrices de l’économie durable. Très engagée dans la lutte contre le changement climatique, Myriam Maestroni est fondatrice et dirigeante de la société Économie d’énergie. Elle est aussi coprésidente, avec Corinne Lepage, du Mouvement des entrepreneurs de la nouvelle économie (MENE). Elle nous a présenté ce réseau d’entreprises pionnières du développement durable.
Les Petites Affiches
Vous n’avez pas toujours été dans l’écologie durable, comment y êtes-vous venue… Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Myriam Maestroni
J’ai en effet commencé ma carrière dans le pétrole et le gaz et je ne m’en cache pas ! Au début des années 2000, j’ai eu un sursaut, une prise de conscience brutale. J’ai pris conscience à la fois de la réalité du changement climatique – et encore, je ne pensais pas, à l’époque, que ça irait aussi vite et que l’on parlerait aujourd’hui d’urgence et de choc climatique –, et du pouvoir du consommateur citoyen, qui commençait à s’exprimer grâce à internet. En 2011, après avoir beaucoup travaillé pour transformer l’entreprise dans laquelle j’œuvrais, j’ai créé de toutes pièces Économie d’énergie, une société digitale native qui propose de rationaliser l’énergie en proposant de la sobriété et de la rénovation énergétique, et quand c’est possible, de l’autoconsommation. Comme tout le monde prend conscience de la transformation du monde, cette société travaille aujourd’hui aux côtés de très grandes entreprises qui elles-mêmes se retrouvent à faire leur révolution. Aujourd’hui, Économie d’énergie, c’est 200 personnes, des jeunes de 14 nationalités à parité homme-femme.
LPA
Vous avez opéré un virage à 360 degrés…
M. M.
Ça peut donner cette impression, mais je dois dire que quand j’ai choisi de travailler pour l’industrie pétrolière et gazière, je pensais œuvrer pour le bien du monde ! Rappelons-nous qu’on est tous, dans notre monde moderne, tributaire de l’énergie qui nous permet de nous déplacer. Or on n’avait pas d’autre énergie. Travailler dans le pétrole, pour moi, c’était une manière de garantir les approvisionnements pour nous permettre de bien vivre.
LPA
Qu’est-ce que le Mouvement des entrepreneurs de la nouvelle économie (MENE) ?
M. M.
C’est un regroupement d’entreprises et d’organisations professionnelles qui ont fait le choix d’être dans ce que l’on appelle une « nouvelle économie » : une économie dans laquelle on utilise moins d’énergie fossile et d’énergie fissile. Ces entreprises produisent et commercialisent en prenant en compte la totalité de l’impact de leurs actions, y compris les externalités dites négatives, celles qui nuisent à l’environnement. Ce sont tout simplement des entreprises qui ont déjà fait le choix d’une croissance durable. Et conjuguent une envie de répondre à des ambitions environnementales, économiques et sociétales. Ce réseau regroupe plus de 5 000 entreprises dans différents secteurs : la cosmétique, l’agriculture durable, la consommation des produits bio, les énergies renouvelables et les économies d’énergie, le recyclage. On a un conseil d’administration représentatif à la fois des différents secteurs et des différents territoires de ces entreprises.
LPA
Comment est né ce mouvement ?
M. M.
Il résulte d’un rapport qui avait été demandé par l’ancien gouvernement à Corinne Lepage, qui a une sensibilité environnementale plus que démontrée. L’ambition de cette étude était de comprendre les freins qui nous empêchent de passer à une économie plus durable. On ne voulait pas que ce rapport reste lettre morte, même si un certain nombre de mesures avaient été prises en compte. On a transformé ce travail en un document qui a préfiguré la création de ce mouvement qui se réunit régulièrement. Tous secteurs confondus, des personnes qui ont une expérience de terrain et un vécu de chef d’entreprise réfléchissent ensemble, identifient des freins, des limites, des paradoxes, qui entravent l’économie durable.
LPA
Quelle est l’ambition du MENE ?
M. M.
C’est un think tank, un mouvement qui a vocation à réfléchir mais aussi à mobiliser et à contribuer au débat, à réunir, à faire bouger les lignes. Ces entreprises sont souvent isolées. Au sein de notre réseau, elles peuvent échanger, partager leurs expériences pour continuer à construire sur cette cause et ces convictions. Les entreprises de ce mouvement sont essentiellement des PME mais le mouvement est ouvert à toutes les entreprises qui font déjà partie de cette nouvelle économie ou ont des velléités d’y prendre part. On a une fois par an une assemblée générale au cours de laquelle on fait un bilan de l’actualité des différents secteurs auxquels appartiennent nos entrepreneurs. Nous avons également lancé, pour la première fois, une université de la nouvelle économie qui est encore un sujet très nouveau et très mal défini. On s’intéresse aussi aux évolutions de management, et notamment à ses nouvelles formes qui associent davantage les salariés aux orientations de l’entreprise. Nous avons contribué au débat concernant la programmation pluriannuelle de l’énergie en mettant en avant l’importance d’avoir des horizons de visibilité réglementaire sur tout ce qui a trait à la rénovation écologique des bâtiments.
LPA
Qu’appelez-vous les externalités négatives ?
M. M.
Un des problèmes de notre économie est qu’elle ne prend pas en compte tout ce qui est déchet ou ce qui va polluer d’une façon ou d’une autre, et nuire à la biodiversité, à la solidarité, à la société. On se retrouve ainsi face à des paradoxes : on peut avoir des produits recyclés plus chers que les matières premières. Cela car, lorsque l’on extrait des matières premières, on ne prend pas en compte l’ensemble des coûts pour fixer le prix. Le bilan carbone, la pollution de l’environnement, ne sont pas évalués. C’est cela que nous appelons externalités négatives. On travaille avec des entreprises qui, dans leur activité, ont intégré la valeur économique de ces externalités. Elles lui ont donné une valeur suffisamment importante pour travailler dans des modèles économiques qui en produisent le moins possible.
LPA
Comment les prennent-elles en compte ?
M. M.
Je vais vous donner quelques exemples. Des entreprises comme Biocop ne proposent que des produits bios, bons pour la santé des personnes qui les consomment et de l’environnement et font des choix très clairs sur les filières d’approvisionnement. Dans la filière des cosmétiques, des PME commercialisent des produits à base de plantes cultivées grâce à des techniques qui ne vont pas épuiser les sols. On a également des individus qui font partie de Federec, la fédération du recyclage, qui se battent pour utiliser en premier lieu des matières premières recyclées avant d’aller puiser d’autres matières premières. On a eu un grand débat en France atour de la loi Pacte et de la raison d’être des entreprises. Mais dans de nombreux secteurs, tout un tas d’entreprises sont déjà en train de vivre dans cette autre réalité.
LPA
Vous dites que ces entreprises ne sont pas assez connues…
M. M.
Ce ne sont pas en effet des entreprises dont on parle beaucoup alors que nous devrions. On met souvent en avant les start-up et les très grandes entreprises mais pas les PME de nos territoires qui sont pourtant pour certaines intéressantes. On parle par ailleurs souvent des entreprises qui vont se positionner pour demain faire quelque chose ou se mettre dans la mouvance durable en développant quelques indicateurs-clé. On les dit vertueuses car elles commencent à faire des efforts. Pourquoi ne pas mettre en valeur, inviter, écouter, ces PME qui ont engagé ces changements depuis longtemps ? Elles peuvent faire office de modèle. Elles ont déjà trouvé une raison d’être et un positionnement dans cette nouvelle logique économique qui permet la croissance sans qu’elle se fasse au détriment de nos ressources naturelles, de notre environnement et de tout ce qui finalement permet la vie humaine sur la terre.
LPA
Que dites-vous à ceux qui opposent croissance et écologie ?
M. M.
On a été longtemps dans une dualité entre croissance et décroissance, avec aucun modèle au milieu. Cette dualité n’a pas lieu d’être ! Il y a déjà, dans tous les secteurs, des entreprises qui démontrent largement que l’on peut parfaitement conjuguer les enjeux d’une croissance économique, comme le ferait n’importe quelle entreprise, et en même temps créer de la valeur pour l’environnement. Et on ne parle pas de quelques cas isolés, beaucoup y arrivent ! Opposer croissance économique et création d’emplois d’un côté et protection de l’environnement de l’autre est dépassé. Heureusement, la société en est de plus en plus consciente. J’ai, comme beaucoup de tenants du mouvement de la nouvelle économie, l’impression d’avoir eu raison trop tôt. Aujourd’hui les idées du développement durable sont reprises par tout un tas de pays, c’est même parfois surprenant. Par exemple en Chine, je ne vous dis pas que la situation est parfaite, mais il est évident qu’il y a de plus en plus cette compréhension de la croissance durable.
LPA
Vous allez plus loin et dites même que le changement climatique peut favoriser la croissance…
M. M.
La nouvelle économie se fonde sur un nouveau paradigme écoénergétique et celui-ci offre en effet des gisements de croissance très importants dans une économie de l’amélioration, de l’optimisation, de la rénovation… On peut créer de la croissance dans une logique qui non seulement n’abîme pas l’environnement mais peut même être dégénérative. Certaines activités économiques ont un impact positif y compris sur l’environnement : celles, par exemple, qui réduisent le taux de CO2 présent dans l’atmosphère ou dépolluent les sols.
Cette économie dégénérative existe aussi dans les nouvelles énergies, la rénovation énergétique, l’alimentation, les filières de médecine naturelle. Il y a beaucoup à faire avec des enjeux de création de valeur à la fois économique et sociétale ! On est très positifs.
Le terrain a démontré au fil du temps que cette économie fonctionnait. On essaye aujourd’hui d’identifier les leviers pour accélérer cette croissance et lever les freins qui peuvent entraver ce mouvement.
LPA
Qu’est-ce qui freine cette croissance durable ?
M. M.
Les freins sont de diverses natures. En matière fiscale par exemple, il y a des distorsions de concurrence qui peuvent apparaître entre de très grandes sociétés nationales qui vont bénéficier d’avantages et des entreprises locales qui, bien qu’elles créent des emplois non délocalisables, vont devoir supporter une fiscalité sans aucun aménagement. Il peut y avoir également des difficultés de transmission d’entreprises quand on est sur des PME familiales. Un autre frein est la difficulté à faire reconnaître les vertus de la prise en compte des externalités négatives. Il faudrait pouvoir communiquer sur ce point, et les budgets d’une PME ne peuvent pas le permettre. Il y a aussi des freins en termes de compétences disponibles. On a des filières entières qui n’arrivent pas à embaucher le personnel compétent et formé dont elles auraient besoin. Ces freins de plusieurs natures sont insidieux. Tout cela s’agrège et fabrique un contexte qui n’est pas aussi favorable qu’il pourrait être.
LPA
Êtes-vous optimiste ?
M. M.
J’ai une approche très pascalienne sur ce sujet. Ne pas être optimiste, c’est accepter l’échec et donc accepter de prendre le risque de détruire les conditions de la vie humaine sur la terre. On sait dater notre univers qui est vieux de 14 milliards et demi d’années. Notre planète, cela a pris 10 milliards d’année pour la faire. La présence de l’Homme moderne sur la terre n’a, elle, que 100 000 ans. Finalement, l’alchimie qui permet la vie humaine sur la planète est fragile. Que faire face à cela ? Soit on accepte de voir disparaître ce que l’on a de plus précieux. Soit on se bat. J’aimerais bien sûr que l’on fasse mieux, que l’on aille plus vite. Mais je vois que des combats qui étaient autrefois isolés convergent, s’étoffent, se conjuguent. Des mobilisations qui étaient atypiques et marginales sont aujourd’hui consensuelles. Les préoccupations environnementales deviennent centrales, concernent le grand public. Désespérer serait une solution de facilité. Il faut, plus que jamais, du courage, de la mobilisation et des convictions.