Application de l’article 155 A du CGI à un non-résident
L’article 155 A du CGI permet d’assujettir à l’impôt français les sommes versées à des entités domiciliées à l’étranger lorsque les services rémunérés par les sommes en question ont été rendus en France ou par une personne domiciliée en France. La cour administrative d’appel de Versailles rappelle que ce dispositif anti-fraude est applicable à un non-résident.
Le dispositif codifié à l’article 155 A du Code général des impôts (CGI) a été créé pour contrer un schéma très prisé des artistes et des sportifs et consistant à créer une société, dite « rent a star company » de préférence dans un État à fiscalité privilégiée. La société se charge de facturer les services rendus par l’artiste et lui verse une rémunération modeste sous la forme d’un salaire. Ce schéma a pour conséquence de soustraire à l’application de l’impôt français la majeure partie des rémunérations en cause. Contrant habilement ce montage, l’article 155 A du CGI permet d’assujettir à l’impôt français les sommes versées à l’entité ad hoc lorsque les services rémunérés par les sommes en question ont été rendus en France ou par une personne domiciliée en France. Dans un arrêt récent1, la cour administrative d’appel de Versailles a appliqué l’article 155 A du CGI dans le cas d’une optimisation fiscale concernant un contribuable domicilié en Belgique qui était gérant d’une SARL française et se faisait rémunérer au travers d’une société établie au Luxembourg.
Mme B, résidente fiscale belge, est, d’une part, la gérante, non rémunérée, de la SARL Verneuil TP, société établie en France et ayant pour activité les travaux de terrassement, d’autre part, la responsable administrative et financière, gérante et associée, à hauteur de 49,32 %, de la SARL KGL Ynvest Mundi, société établie au Luxembourg, dont M. B est directeur technique et associé à hauteur de 50,38 %, et détenant elle-même 50 % de la SARL Verneuil TP. La SARL Verneuil TP a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012. À l’occasion de ce contrôle, l’administration a constaté que la SARL KGL Ynvest Mundi avait facturé à la SARL Verneuil TP, à hauteur respective de 6 192 € au titre de l’exercice clos en 2010, de 7 290 € au titre de l’exercice clos en 2011 et de 7 506 € au titre de l’exercice clos en 2012, diverses prestations de services de gestion et de direction ayant été réalisées pour son compte, en France, par Mme B. L’administration fiscale a estimé que l’interposition de la SARL KGL Ynvest Mundi, qui était contrôlée par cette dernière et qui, au surplus, n’exerçait pas d’activité industrielle ou commerciale autre que les prestations de services susmentionnées, n’avait eu d’autre but que celui de permettre la localisation au Luxembourg des rémunérations correspondantes. En conséquence, l’administration fiscale, à l’issue d’un contrôle sur pièces et suivant la procédure de rectification contradictoire, en a réintégré le montant, sur le fondement de l’article 155 A du CGI, aux revenus imposables de Mme B, dans la catégorie des traitements et salaires, au titre des années 2010, 2011 et 2012.
M. et Mme AB ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de leur accorder la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010, 2011 et 2012. Le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande2. Les époux se sont pourvus en appel afin d’obtenir l’annulation de ce jugement et celle de la décision de l’administration fiscale du 29 septembre 2014 rejetant leur réclamation préalable ainsi que la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d’imposition en litige.
Il résulte de l’instruction et, notamment, des termes des propositions de rectification du 27 juin 2013 que les prestations de services de gestion et de direction que la SARL KGL Ynvest Mundi a facturées à la SARL Verneuil TP ont été réalisées, en France, par Mme B. Par ailleurs, il n’est pas contesté que l’intéressée, au cours des années d’imposition en litige, contrôlait la SARL KGL Ynvest Mundi, ni davantage, au surplus, que cette dernière n’exerçait pas de manière prépondérante, durant la même période, une activité industrielle ou commerciale autre que les prestations de services susmentionnées. L’administration fiscale a, dès lors, pu à bon droit retenir que les rémunérations correspondantes étaient imposables au nom de Mme B en vertu des dispositions précitées de l’article 155 A du CGI, loi fiscale dont les requérants, à l’occasion de la présente instance, ne contestent d’ailleurs pas, en tant que telle, l’application.
Une réserve d’interprétation
Les contribuables avançaient que dans la mesure où ils avaient déjà été imposés, au Luxembourg et en Belgique, sur les revenus correspondant aux honoraires versés par la société française SARL Verneuil TP à la société luxembourgeoise Kglynvest Mundi, au cours des années 2010 à 2012 en litige, leur imposition en France, sur le fondement de l’article 155 A était constitutive d’une double imposition prohibée par la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 20103.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 septembre 2010 par le Conseil d’État, dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 155 A du Code général des impôts (CGI). Le requérant soutenait notamment que l’article 155 A du CGI qui permet, dans certains cas, d’imposer en France des revenus perçus à l’étranger pour des prestations réalisées en France, crée une rupture de l’égalité devant les charges publiques. Le Conseil constitutionnel a relevé que l’article 155 A vise, dans des cas limitativement énumérés, lorsqu’une rémunération a été versée à l’étranger, aux fins d’éluder l’imposition en France, à imposer cette rémunération. Le législateur a entendu mettre en œuvre, par des critères objectifs et rationnels, l’objectif constitutionnel de lutte contre l’évasion fiscale. Dès lors, l’article 155 A est conforme à la Constitution. Le Conseil constitutionnel a cependant affirmé, par une réserve, que l’application de ce dispositif anti-abus ne saurait conduire à ce qu’un contribuable soit soumis en France à une double imposition au titre d’un même impôt4.
Pour les juges d’appel il résulte de la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 novembre 2010 que, pour l’application de l’article 155 A du CGI, dans le cas où la personne domiciliée ou établie hors de France au contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, la disposition contestée ne saurait conduire à ce que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d’un même impôt. Contrairement à ce que soutiennent M. et Mme B, cette réserve d’interprétation, qui conditionne l’application de l’article 155 A à l’absence de double imposition des sommes taxées selon ces dispositions, ne peut concerner, en tout état de cause, que les impositions françaises, précisent les juges d’appel. « Les requérants ne peuvent donc utilement faire valoir, pour faire échec à l’application de cet article, qu’ils se sont acquittés, au Luxembourg et en Belgique, de l’impôt dû à raison des rémunérations en litige », conclut la cour administrative d’appel de Versailles.
Une atteinte à la liberté d’établissement ?
M. et Mme B avançaient également comme argument en soutien de leur appel que l’article 155 A du CGI méconnaîtrait les principes de liberté d’établissement et de libre prestation de services garantis aux articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Les dispositions de l’article 155 A du CGI, telles qu’interprétées par le présent arrêt, visent uniquement l’imposition des services rendus en France ne trouvant aucune contrepartie réelle dans une intervention propre d’une personne établie ou domiciliée. En l’absence, en l’espèce, d’une telle contrepartie permettant de regarder les services concernés comme rendus pour le compte de cette dernière personne, les dispositions de l’article 155 A du CGI ne sauraient porter atteinte à la libre prestation de services à l’intérieur de l’Union européenne, ni davantage à la liberté d’établissement, répond la cour administrative d’appel.
Les contribuables précisaient que l’incompatibilité de l’article 155 A du Code général des impôts avec ces principes communautaires a été expressément admise par une instruction administrative 13 L-5-11 du 30 mai 2011. En effet avant que l’arrêt de principe Eurodeal rendu par le Conseil d’État en 2013 juge que l’article 155 A est compatible avec le droit communautaire et les traités internationaux (v. encadré infra « La jurisprudence Eurodeal »), nombre de spécialistes s’accordaient à estimer que l’article 155 A est incompatible avec les principes du droit communautaires. Et des juridictions ont commencé à leur emboîter le pas, notamment la cour administrative d’appel de Douai5 et la cour administrative d’appel de Paris6. La juridiction parisienne a rendu un arrêt sévère pour l’administration fiscale dans une affaire concernant une jeune femme de nationalité française mannequin et comédienne salariée de la société néerlandaise Fintage Talent BV, à qui elle avait concédé ses droits à l’image et au nom, en contrepartie, d’une part, des prestations qu’elle réalisait en France et, d’autre part de l’exploitation de ces droits. La cour relève que l’application à l’égard de Mlle Laetitia A des dispositions de l’article 155 A de l’article 155 A est de nature à restreindre la liberté de circulation dont elle disposait en tant que salariée de la société Fintage Talent BV, société établie aux Pays-Bas, dès lors que, si elle avait été employée par une société établie en France, elle n’aurait pas été imposée, comme elle l’a été, dans la catégorie des traitements et salaires, sur les sommes reçues par son employeur à raison de son travail en France, mais seulement sur les rémunérations, d’un montant inférieur, versées par son employeur. L’application à son égard des mêmes dispositions est également de nature à restreindre la liberté de prestation de services dont elle disposait en tant que personne exerçant une activité indépendante de concession de droits, dès lors que, si elle avait concédé la licence d’exploitation de ses droits à l’image et au nom à une société établie en France, elle n’aurait pas été imposée comme elle l’a été, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, sur le montant des redevances tirées de l’exploitation de ces droits reçues par la société Fintage Talent BV, mais seulement sur les sommes, d’un montant inférieur, reversées par le licencié. L’instruction publiée au Bulletin officiel des impôts 13 L-5-11 du 10 juin 2011, dont se prévalent les contribuables, commente l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai. Selon cette jurisprudence l’article 155 A du CGI est incompatible avec la libre prestation de services et la liberté d’établissement. En l’espèce, le redressement concernait le président du conseil d’administration d’une société française, exploitant un réseau de magasins d’articles de maroquinerie dans le nord de la France. Celui-ci détenait également avec son épouse la quasi-totalité des titres d’une société anonyme de droit belge. Les deux sociétés, dirigées toutes deux par le contribuable, ont conclu un contrat de collaboration, conférant à l’intéressé une fonction de consultant au profit de la société française, rémunérée par la société française, directement au profit de la société belge. En application des dispositions de l’article 155 A du CGI, l’administration a considéré que ces rémunérations constituaient pour le contribuable des honoraires imposables en France. Le juge a conclu à la décharge de l’impôt, précisant que ce dispositif anti-abus instaure une présomption irréfragable d’évasion fiscale à l’encontre de l’ensemble des contribuables français qui devrait être réservé aux seuls montages purement artificiels et donc incompatibles avec les principes du droit communautaire. L’administration fiscale a publié des commentaires prudents sur cet arrêt se contentant de préciser que l’administration ne s’est pas pourvue en cassation contre l’arrêt « pour des raisons tenant aux circonstances particulières de l’espèce ». « Ces énonciations ne comportent ainsi aucune prise de position formelle par laquelle l’administration aurait expressément admis une telle incompatibilité », analyse la cour administrative d’appel. Les requérants ne peuvent, dès lors, utilement se prévaloir de ladite instruction sur le fondement de l’article L. 80 A du LPF. M. et Mme B ne sont donc pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande. En conséquence, ne peuvent qu’être également rejetées les conclusions des requérants tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du 29 septembre 2014 de l’administration fiscale rejetant leur réclamation préalable, conclut la cour administrative de Versailles, dans un arrêt conforme à la jurisprudence du Conseil d’État, Eurodeal.