Assurance-vie : la fiscalité avant/après 70 ans peut-elle être source de préjudice ?

Publié le 02/01/2025
Assurance-vie : la fiscalité avant/après 70 ans peut-elle être source de préjudice ?
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Un assuré ne peut pas se plaindre d’un préjudice fiscal en raison d’un retard dans l’encaissement des primes encaissées par l’assureur. La Cour de cassation a en effet jugé que, le paiement des droits de mutation dus à la suite du décès du souscripteur d’un contrat d’assurance-vie étant à la charge des seuls bénéficiaires du contrat, il ne peut en résulter aucun préjudice fiscal pour l’assuré.

Dans un arrêt du 11 septembre 2024, la Cour de cassation vient d’écarter la possibilité même d’un préjudice fiscal subi par le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie, en raison de la négligence de son assureur lui faisant perdre le bénéfice d’un régime fiscal favorable.

Les implications de l’âge du souscripteur en matière d’assurance-vie

L’enjeu est purement fiscal. En effet, le fonctionnement du contrat ne varie pas en fonction de l’âge du souscripteur au moment du versement des primes. Ce sont les conséquences sur la fiscalité applicable aux capitaux en cas de décès qui changent. En effet, les primes versées avant ses 70 ans et les primes versées après cette date ne subissent pas le même traitement fiscal. La fraction des primes versées avant les 70 ans du souscripteur est soumise à un régime fiscal spécifique propre à l’assurance-vie (CGI, art. 990 I). Chaque bénéficiaire du contrat bénéficie d’un abattement de 152 500 euros, quel que soit son lien de parenté avec le souscripteur décédé (conjoint concubin, enfant, petit-enfant, etc.). Cela signifie que, jusqu’à ce montant, les sommes sont transmises sans fiscalité. Au-delà de ce seuil, la part taxable de chaque bénéficiaire jusqu’à 700 000 euros est taxée au taux de 20 %. Au-delà de ce plafond, le taux d’imposition s’élève à 31,25 %. Pour les primes qui ont été versées après les 70 ans du souscripteur, ce sont les droits de succession qui s’appliquent, après un abattement unique et commun pour tous les bénéficiaires de 30 500 euros (CGI, art. 757 B). Au-delà, les capitaux versés sont réintégrés dans l’actif successoral. Sauf pour les conjoints et partenaires de pacs qui sont exonérés de droits de succession, le régime fiscal des primes versées avant 70 ans s’avère plus favorable.

Un dépôt tardif des fonds

La question a récemment été posée à la Cour de cassation de savoir si le dépôt tardif des sommes, après le 70e anniversaire de l’assuré, pouvait être à l’origine d’un préjudice fiscal indemnisable (Cass. com., 11 sept. 2024, n° 22-23.014). Quelques jours avant son 70e anniversaire, le 5 mars 2016, Monsieur C. a souscrit, par l’intermédiaire de sa banque, un contrat d’assurance-vie auprès de la société P., désignant ses deux petits-enfants bénéficiaires à parts égales du capital assuré en cas de décès. Monsieur C. a effectué un versement initial de 150 000 euros au moyen d’un chèque tiré sur une autre banque. Ce chèque a été présenté à l’encaissement et son montant crédité sur son compte le 8 mars 2016 ; la banque a transmis les documents à la compagnie d’assurances, laquelle a prélevé la prime le 14 mars 2016, après les 70 ans de Monsieur M. C.

Le souscripteur assuré reprochait donc à sa banque et à son assureur de lui avoir fait perdre, par leur négligence, une chance de transmettre la prime versée sans droit de succession. Il les a donc assignées en responsabilité afin d’obtenir la réparation de son préjudice. Il considérait que l’opération avait été conduite avec le spécialiste du conseil patrimonial et en investissement qui ne pouvait ignorer que le versement devait être réalisé avant ses 70 ans. Il estimait aussi que les fonds auraient pu être crédités dès le 5 mars sur son compte si la banque avait fait le nécessaire et, quand bien même ils ont été crédités sur son compte le 8 mars 2016, ils auraient pu et dû être prélevés le même jour par l’assureur et non pas le 14 mars 2016.

Il justifie d’un préjudice personnel puisque, pour pouvoir transmettre les 150 000 euros qu’il souhaitait transmettre nets de fiscalité à ses petits-enfants, il devra faire un complément de souscription de 122 727 euros, lui-même soumis aux droits de succession, dès lors qu’il a maintenant dépassé l’âge de 70 ans. Enfin, il souligne qu’il a définitivement perdu l’opportunité de faire échapper une partie de son patrimoine financier aux droits de mutation. En première instance et en appel, la justice n’a pas donné suite à sa demande (Trib. jud. Annecy, 28 mai 2020, n° 18/00408, et CA Chambéry, 6 sept. 2022, n° 20/00909).

Pas de préjudice fiscal pour l’assuré

Sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la cour d’appel a reconnu que la banque et la compagnie d’assurances ont commis une faute de négligence en ne se concertant pas pour que le versement intervienne sur le compte de l’assurance le 11 mars 2016 au plus tard. Toutefois, elle a jugé qu’il ne pouvait y avoir de préjudice en l’espèce. Le préjudice invoqué par le demandeur (l’assujettissement aux droits de mutation d’une partie importante de la prime versée sur son contrat d’assurance-vie), « peut être considéré comme personnel à M. C puisque les droits de mutations équivalents à une ponction sur le capital de M. C. En revanche, un préjudice futur ne peut être retenu que s’il est certain qu’il se réalisera dans le délai de forclusion ou de prescription applicable. Or M. C n’est pas en mesure de justifier que le contrat existera au jour de son décès puisqu’il est susceptible de rachat. Il n’est pas non plus établi que l’assurance-vie serait la seule possibilité de transmettre ses biens en exonération de droits de mutation. Le préjudice fiscal ne pourra ainsi être établi d’une manière globale qu’au décès de M. C en fonction des choix faits par ce dernier et de la législation applicable. Il n’est donc pas certain ». En outre, la cour a relevé que M. C calcule son préjudice sur le montant de la prime versée alors que ce versement a été réparti à hauteur de 40 % sur des supports non garantis en capital.

M. C s’est pourvu en cassation mais, là encore, ses revendications n’ont pas été entendues. La Cour de cassation a en effet jugé que « le paiement des droits de mutation dus à la suite du décès du souscripteur d’un contrat d’assurance-vie étant à la charge des seuls bénéficiaires du contrat, il ne peut en résulter aucun préjudice fiscal pour l’assuré ».

Elle ajoute que « Dès lors que le préjudice fiscal allégué résultant de la soumission aux droits de mutation sans l’exonération escomptée d’une partie importante de la prime versée sur le contrat d’assurance-vie ne pourra être établi qu’au jour du décès de l’assuré et que ce sont les bénéficiaires du contrat qui seront redevables des droits à payer, ce préjudice n’est pas personnel à M. C qui conserve l’intégralité des sommes placées sur le contrat souscrit jusqu’à son décès et qui n’est donc pas recevable à s’en prévaloir ».

L’arrêt laisse ouverte la question de savoir si une éventuelle action en responsabilité intentée par les bénéficiaires, après le décès de l’assuré, aurait des chances d’aboutir.

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