Cécile de Saint-Michel, présidente de l’ordre des experts-comptables : « Notre profession vit un moment très enthousiasmant »

Publié le 09/10/2024

Le Congrès des experts-comptables se tient actuellement à Marseille. Après avoir abordé la question des mutations, le congrès 2024 donnera des clés pour repenser la stratégie des cabinets, aborder les nouvelles missions et trouver sa place dans un monde concurrentiel. Entretien avec la présidente nationale de l’Ordre, Cécile de Saint-Michel.

Actu-Juridique : En 2023, le thème du Congrès portait sur les mutations au sein de la profession. Cette année, vous voulez donner des outils pratico-pratiques à vos confrères et consœurs pour y faire face. De façon générale, la profession est-elle un peu perdue ?

Cécile de Saint-Michel : Des défis importants se présentent à notre profession avec la révolution du numérique. En effet, la filière comptable est l’une des filières qui va être le plus impactée par cette révolution. La profession est-elle perdue pour autant ? Non, elle a confiance et se prépare. Après tout, ce n’est pas la première fois que nous faisons face à l’arrivée de défis technologiques. Après l’informatique, internet, c’est l’IA qui débarque. Nous avons toujours su nous adapter et nous le ferons encore. Mon message est le suivant : nous allons y arriver mais cela va nous demander des efforts notamment de formation en associant impérativement nos collaborateurs dans tous ces changements.

AJ : S’emparer de ces nouvelles missions, est-ce une question de survie ?

Cécile de Saint-Michel : Pour une grande partie de ces nouvelles missions, nous avons déjà les compétences. Par exemple, nous avons les outils pour remplir la mission d’accompagnement à la gestion des clients, en élaborant des tableaux de bord. Idem avec le full service pour nos clients, c’est-à-dire les aider dans l’établissement de leur devis, de leurs factures, les règlements fournisseurs, les encaissements clients. Dans ces deux cas, nous savons faire mais malheureusement nous manquons de temps pour les déployer. Nous sommes aujourd’hui très accaparés par la partie purement saisie comptable et par la partie déclarative sociale et fiscale. Avec l’IA, couplée à la signature électronique, nous allons gagner et dégager du temps sur ces tâches purement mécaniques, sans beaucoup de valeur ajoutée, ni pour les cabinets ni pour les clients. Nous allons pouvoir, enfin, déporter notre plus-value sur d’autres tâches beaucoup valorisables, ce sont nos nouvelles missions.

AJ : Il y a aussi des missions pour lesquelles il faut vous former davantage, comme la durabilité ?

Cécile de Saint-Michel : La durabilité ce n’est pas nouveau pour l’expertise-comptable. Avant que cela ne devienne une obligation pour les entreprises, certaines d’entre elles s’y intéressaient déjà et des confrères travaillaient sur la partie extra-financière et le développement durable. Aujourd’hui, c’est une obligation légale mais aussi morale. Les entreprises sont de plus en plus sensibilisées à cette question et veulent l’intégrer dans leur stratégie. C’est pourquoi nous devons acquérir de nouvelles compétences. Je prends l’exemple de la cybersécurité. Nous voyons tous les jours des systèmes de sécurité qui se font attaquer, créant des dégâts très importants. Personne n’est à l’abri, grands ou petits. Nos clients, les TPE et PME, sont ceux qui sont le moins armés et sensibilisés à la cybersécurité. Il est de notre responsabilité de les accompagner, de les sensibiliser dans ce domaine et de les aider à mettre en place des actions pour se protéger. Au Congrès de Marseille seront présentées des solutions « pratico-pratiques » pour apporter aux cabinets tous les outils nécessaires à la mise en place de ces changements.

AJ : Se repositionner, c’est enthousiasmant et angoissant ?

Cécile de Saint-Michel : Oui ! Mais tout ce que je viens d’évoquer ne pourra pas se mettre en place sans formation. À l’Ordre, nous sommes en train de mettre en place un plan de formation jamais vu. Grâce à une subvention de 3 millions d’euros du Haut-commissariat aux compétences et d’un autofinancement de 1,5 million d’euros, nous investissons massivement dans un plan de formation déployé sur 5 ans, à destination principalement des collaborateurs, mais aussi des experts-comptables. Il s’agit de « Profession comptable 2030 ». Nous créons ainsi 50 parcours de formation, qui seront déployés dans tous les domaines et adaptés à nos besoins. En effet, nous sommes maîtres de nos formations grâce à notre propre institut. Bien sûr, cela nous aidera à remplir les nouvelles missions, mais permettra de repenser nos missions traditionnelles, au vu des bouleversements actuels.

Une chose est sûre : la première des choses à faire est de dresser un état des lieux du cabinet. Quelle typologie de clients, quelles compétences ? Rome ne s’est pas faite en un jour. On ne peut pas tout changer d’un coup mais il faut vraiment que les cabinets repensent leur stratégie et développent de nouvelles missions. Tout cela doit se faire en lien avec les compétences déjà présentes dans le cabinet. Pas un cabinet n’aura la même stratégie qu’un autre, en fonction des experts-comptables, des collaborateurs et des clients.

AJ : Cette période de défi rend-elle la profession attractive ?

Cécile de Saint-Michel : Ce moment est hyper enthousiasmant, tout est possible ! Notre métier va changer, de nouvelles missions vont apparaître. En plus de la comptabilité, demain, nous aurons de la data à gérer, de la stratégie, nous allons parler de cybersécurité, de durabilité. Cette période charnière va donner une nouvelle perspective de développement à nos cabinets.

AJ : Est-ce aussi l’occasion de s’ancrer encore plus dans les questions sociétales ?

Cécile de Saint-Michel : Nous avons déjà ce rôle auprès des 4 millions de TPE/PME que nous accompagnons. Nous sommes en prise directe avec le tissu économique de notre pays. Je ne connais pas de métier comme le nôtre où nous sommes au quotidien avec les chefs d’entreprise pour les aiguiller et les coacher. Nous serons sans doute de plus en plus incontournables au vu des missions que nous nous apprêtons à remplir, au-delà des aspects déclaratifs de notre profession.

AJ : Est-ce que la redéfinition de vos périmètres (comme la durabilité) vous met en concurrence avec d’autres professions ?

Cécile de Saint-Michel : Il y a de la place pour tout le monde. Nous avons une prérogative sur la comptabilité et la fiscalité, mais nous n’en avons pas sur la durabilité. Nous allons rentrer sur un marché concurrentiel, face à des consultants. À nous de faire notre place sur ce nouveau marché et nous en sommes capables.

AJ : Voyez-vous des risques liés à l’IA ?

Cécile de Saint-Michel : Les garde-fous, c’est nous qui allons les mettre en place. L’IA peut être un outil extraordinaire comme un danger extraordinaire. À nous d’être vigilants, de garder notre libre arbitre et de nous poser les bonnes questions. C’est pourquoi il faut se former et apprendre à s’en servir. Les mêmes questions se sont posées quand internet et l’informatique sont arrivés. Nous avons pu développer des compétences et un champ des possibles différents. Par exemple, la facture électronique, que nous cherchons à développer, malgré les freins culturels de certaines entreprises qui ne connaissent pas bien son fonctionnement, nous permettra de dynamiser le volet durabilité.

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