Coopération internationale : le bilan

Publié le 27/03/2017

Élément décisif de la lutte contre la fraude fiscale, la coopération internationale progresse. Le point sur ses résultats et sur les améliorations à mettre en place.

De nombreux dossiers de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière se caractérisent par leur dimension transfrontalière. Dès lors, la coopération internationale représente un instrument particulièrement précieux, pour l’administration fiscale, les services d’enquêtes et les magistrats. Or, d’après un récent rapport parlementaire d’information sur l’évaluation de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale1, « La coopération internationale, même si elle a fait des progrès, reste encore inaboutie et doit être renforcée et systématisée. Au sein de l’Union européenne, la France pourrait également soutenir les initiatives permettant de mieux coordonner la lutte contre les différentes formes de fraude ». Pour les rapporteurs, « si la coopération administrative a nettement progressé, le bilan de la coopération judiciaire est en revanche plus contrasté. Un certain nombre d’évolutions sont envisageables pour la renforcer ».

Assistance administrative : de nets progrès

L’assistance administrative internationale entre la direction française des finances publiques et ses homologues étrangers a progressé. Ainsi, les demandes formulées par la France, les réponses reçues par la France et les réponses envoyées par la France ont nettement augmenté entre 2012 et 2015. Seules les demandes reçues par la France ont régressé. Les obstacles de nature juridique rencontrés dans le cadre de la coopération administrative résultent principalement des limitations du droit interne des partenaires de la France. Certains de ces obstacles commencent à être levés. Ainsi, alors que l’administration suisse avait pendant longtemps refusé, pour des motifs juridiques, de satisfaire aux demandes d’assistance portant sur le patrimoine des personnes décédées, afin de permettre le contrôle des droits de succession, le traitement de ces demandes ne pose plus aujourd’hui de difficultés dès lors que les héritiers de la personne sont également visés dans la demande. En revanche, bien que les échanges avec Panama se soient améliorés, la législation de ce pays prévoit toujours l’absence d’obligation comptable pour les sociétés offshore, c’est-à-dire les sociétés n’ayant pas d’activités économiques à Panama. Or la majorité des demandes de renseignements françaises visent à obtenir des informations, y compris comptables, sur ce type de sociétés. En ce qui concerne les informations bancaires, quelques pays maintiennent un secret bancaire dans leur législation, parmi lesquels le Liban. Cependant, le Liban s’est engagé en mai 2016 à échanger automatiquement des informations bancaires en application du standard international de l’OCDE (CRS). Cet État devrait donc amender prochainement sa législation en vue de procéder aux échanges de renseignements bancaires.

L’impact de la liste des ETNC

L’article 238-0 A du Code général des impôts (CGI) prévoit le principe d’une liste des États et territoires non coopératifs (ETNC), définis comme « les États et territoires non membres de la Communauté européenne dont la situation au regard de la transparence et de l’échange d’informations en matière fiscale a fait l’objet d’un examen par l’Organisation de coopération et de développement économiques et qui, à cette date, n’ont pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins douze États ou territoires une telle convention ». La liste des États et territoires non coopératifs est fixée par un arrêté des ministres chargés de l’Économie et du Budget après avis du ministre des Affaires étrangères. Elle est mise à jour chaque année. En pratique, sont inscrits sur cette liste les États ou territoires figurant sur la dernière liste grise publiée par l’OCDE et ceux n’ayant pas signé avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins douze États ou territoires une telle convention. « Elle permet d’exercer une pression sur les États et territoires n’assurant pas une mise en œuvre effective des outils internationaux d’échange de renseignements, commente le rapport parlementaire. Ainsi, Jersey, les Bermudes et les îles Vierges britanniques ont été inscrites sur la liste des ETNC en 2013, eu égard aux lacunes dans leur pratique de la coopération administrative. D’après la DGFiP, des progrès significatifs ont alors été constatés très rapidement après cette inscription. Les autorités de ces pays ont pris contact immédiatement avec les autorités françaises pour identifier les difficultés et un suivi rapproché des demandes pendantes a permis à la France d’obtenir finalement les renseignements demandés. En conséquence, les Bermudes et Jersey ont été retirées de la liste au 1er janvier 2014 et les Îles Vierges britanniques ont été retirées au 1er janvier 2015. La coopération administrative avec ces territoires ne pose plus de difficultés. Panama a en revanche été ajouté à cette liste le 26 avril 2016 en raison de sa législation interne qui limite la coopération administrative fiscale. Cette liste compte aujourd’hui sept États et territoires.

Un nouveau cadre pour l’échange d’informations

La France a activement contribué à l’élaboration du nouveau standard international d’échange automatique d’informations sur les comptes financiers en matière fiscale (EAI) adopté par l’OCDE. Ce standard prévoit que les États participants collectent auprès des institutions financières les éléments relatifs aux comptes financiers des personnes physiques non résidentes et les transmettent annuellement à l’État de résidence de celles-ci. À ce jour, 54 États (dont les États de l’Union européenne) se sont engagés à procéder à des échanges automatiques d’informations à compter de 2017 et 47 autres pays procéderont à ces échanges dès 2018. « Cette avancée rapide et de grande ampleur en faveur de l’échange automatique a contraint les pays jusqu’alors peu coopératifs en matière d’échange d’informations bancaires à modifier leur législation, voire leur pratique, afin de se conformer à cette nouvelle norme », précise le rapport parlementaire.

Le rôle du parquet financier

La coopération judiciaire internationale en matière pénale, et notamment en matière de lutte contre la fraude fiscale et contre la grande délinquance économique et financière, repose sur une grande variété d’instruments juridiques, qu’il s’agisse d’instruments bilatéraux liant la France à un autre État, d’instruments multilatéraux adoptés dans le cadre d’enceintes européennes ou internationales. Les demandes d’entraide judiciaire en matière pénale recouvrent un grand nombre d’actes procéduraux spécifiques : commission rogatoire internationale, notification d’actes judiciaires, etc. Les dossiers de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière ont, dès lors qu’ils ont une forte dimension internationale et impliquent la réalisation d’investigations à l’étranger, vocation à être confiés au procureur de la République financier. La coopération internationale représente donc une part importante de l’activité du parquet financier. 145 demandes d’entraide pénale internationale (DEPI) y sont actuellement en cours : 43 demandes en provenance d’autorités judiciaires étrangères et 102 demandes formulées par le procureur de la République financier (demandes d’investigations, demandes d’arrestations ou d’extraditions). En 2015, ce dernier s’est attaché à solliciter l’entraide auprès de pays dont la coopération en matière financière peut s’avérer difficile (Bahamas, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Îles Vierges britanniques, Colombie).

Une coopération judiciaire aux résultats contrastés

Les pays majoritairement requis en matière de fraude fiscale et de délinquance économique et financière sont les États membres de l’Union européenne et, en dehors de celle-ci, le Canada, la Chine, les États-Unis, Hong Kong, Israël, le Maroc et Singapour. « Les réponses des autorités judiciaires étrangères aux demandes françaises d’entraide sont de qualité très inégale, du point de vue tant de la durée d’exécution (de deux mois à plus d’un an) que du contenu. Elles vont du refus de toute exécution à l’exécution complète de tous les actes, en passant par l’exécution partielle et par les demandes répétées et dilatoires de précisions supplémentaires », souligne le rapport parlementaire. Ces résultats inégaux sont tout d’abord le fait d’obstacles juridiques. Ainsi, la Confédération helvétique, qui établit une distinction entre la soustraction fiscale, qui ne constitue pas en droit suisse une infraction pénale, et l’escroquerie fiscale, refuse de coopérer lorsque les demandes portent sur certains délits de fraude fiscale, qu’elle assimile à de la soustraction fiscale et non à de l’escroquerie fiscale. Ces résultats sont également le fait de blocages pratiques, liés par exemple à la surcharge des services étrangers sollicités. Ainsi, la République de Chypre totalise 400 demandes d’entraide pénale internationale, en provenance des pays de l’Union européenne et des États-Unis, en attente de traitement par ses services. Dans certains États, l’absence de fichier centralisé ne permet pas d’identifier rapidement l’ensemble des comptes détenus par une même personne. D’autres obstacles sont liés à la procédure de coopération internationale. C’est le cas notamment lorsqu’il faut passer par la voie diplomatique pour l’envoi et la réception des demandes d’entraide et de leurs réponses avec certains pays en dehors de l’Union européenne, pour lesquels il n’y a pas de possibilité d’appliquer un cadre juridique plus approprié permettant des échanges plus directs. « Les magistrats français se heurtent également à des obstacles liés aux exigences procédurales en termes de formalisme et de garanties à fournir (Singapour, Hong Kong) ou au niveau de preuve requis avant toute perquisition, communication de documents bancaires ou encore saisie ou confiscation d’avoirs criminels (Canada, États-Unis, Israël) », précise le rapport parlementaire. Ainsi, le Canada exige une forte caractérisation des éléments de preuve, y compris au stade de l’enquête, alors même que celle-ci a précisément pour objet de vérifier la réalité des faits dénoncés. En matière d’identification, de saisie et de confiscation d’avoirs criminels, un État comme Israël, est doté d’une législation nationale très complexe qui tend à faire échec aux demandes de saisie. Ces normes juridiques, très différentes des règles françaises, compliquent et alourdissent la tâche des magistrats français.

Des pistes d’amélioration

Lors de leur audition, le procureur de la République financier a fait part aux rapporteurs de son souhait de voir adapter les conventions internationales de coopération judiciaire signées par la France, afin d’une part, d’étendre les bénéfices des avancées en matière d’assistance administrative fiscale au réseau de coopération judiciaire, et d’autre part, prévoir que la transmission directe d’autorité judiciaire à autorité judiciaire soit le régime de droit commun en matière de coopération pénale. Cette dernière mesure permettrait de simplifier les circuits de coopération judiciaire. À cet effet, le rapport propose donc de créer une plate-forme d’identification en ligne des autorités judiciaires locales compétentes en fonction des pays et des actes sollicités. Le procureur de la République financier a également recommandé que la France promeuve une évolution de la convention de Budapest sur la cybercriminalité. Cette convention du Conseil de l’Europe, adoptée le 23 novembre 2001 et signée par plus de trente pays, dont la France, constitue la première convention pénale à vocation universelle destinée à lutter contre le cybercrime (infractions portant atteinte aux droits d’auteurs, fraude liée à l’informatique, infractions liées à la sécurité des réseaux, etc.). Elle vise notamment à harmoniser les législations nationales en ce qui concerne les incriminations dans le domaine du cyberespace. En matière de recueil des données informatiques stockées à l’étranger, l’article 57-1, alinéa 3, du Code de procédure pénale renvoie expressément aux engagements internationaux conclus par la France et donc à la convention de Budapest. Or les stipulations de cette convention constituent parfois un obstacle insurmontable pour les investigations des magistrats et des enquêteurs. Les rapporteurs proposent de faire évoluer la convention de Budapest afin de permettre aux enquêteurs d’accéder, sans passer par l’entraide pénale internationale, aux données informatiques stockées à l’étranger, dès lors qu’elles sont consultables depuis la France.

Quel rôle pour l’AGRASC ?

Créée par la loi n° 2010-768, du 9 juillet 2010, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) a pour objectif de faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, notamment en cas de fraude fiscale et douanière. L’AGRASC est un établissement public administratif placé sous la double tutelle des ministères de la Justice et du Budget. Dirigée par un magistrat de l’ordre judiciaire, dotée d’un conseil d’administration également présidé par un magistrat de l’ordre judiciaire, elle est composée d’agents provenant des ministères de la Justice, de l’Intérieur et du Budget. L’Agence centralise de très nombreuses saisies (de numéraires, de comptes bancaires, d’immeubles, etc.) et s’assure tant de la bonne gestion de ces biens saisis que, une fois ces biens confisqués par une décision définitive, du versement du produit de leur vente au budget général de l’État. La plate-forme d’identification des avoirs criminels (PIAC) a, quant à elle, été créée par une circulaire interministérielle du 15 mai 2007, avec pour mission d’identifier les avoirs financiers et les biens patrimoniaux des délinquants, en vue de leur saisie ou de leur confiscation, et de centraliser les informations relatives à la détection d’avoirs illégaux en tout point du territoire national. Elle est rattachée à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF). La qualité de bureau de recouvrement des avoirs (BRA) lui a été reconnue quelque temps après sa création. L’AGRASC et la PIAC partagent donc la qualité de BRA. Or l’AGRASC a manifesté son souhait de se voir transférer, en matière d’entraide internationale informelle, les attributions actuellement exercées par la plate-forme d’identification des avoirs criminels (PIAC) en qualité de bureau de recouvrement des avoirs (BRA). Ce monopole exercé en matière internationale permettrait à l’AGRASC d’établir un état statistique annuel de l’activité d’entraide et lui donnerait la capacité d’intervenir auprès des autorités judiciaires françaises ou étrangères pour donner l’impulsion nécessaire et passer du stade de l’entraide informelle à la saisie et à la confiscation dans le cadre de l’entraide officielle. Pour les rapporteurs, « la qualité des diligences aujourd’hui effectuées par la PIAC est reconnue, y compris par l’AGRASC elle-même ». Elle est un acteur disposant d’une grande visibilité vis-à-vis de ses homologues étrangers. Dès lors, « réserver à l’AGRASC le monopole de la qualité de bureau de recouvrement des avoirs constitue donc une piste de réflexion qui mérite d’être explorée mais qui ne saurait être introduite dans notre droit de manière précipitée », concluent-ils.

Quel bilan sur le plan communautaire ?

Quel bilan pour les initiatives européennes en matière de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ? En matière de coordination de la lutte contre la fraude fiscale, la directive du 15 février 2011 a renforcé la coopération administrative. Les dispositifs de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ont formellement intégré la dimension fiscale en 2015, la quatrième directive relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme portant la fraude fiscale au rang des infractions sous-jacentes. Toutefois, la définition pénale de la fraude fiscale n’est pas harmonisée dans les États membres. En juillet 2016, la Commission a déposé deux propositions coordonnées visant d’une part à renforcer « les mesures de transparence afin de lutter contre le financement du terrorisme, l’évasion fiscale et le blanchiment de capitaux » et, d’autre part, à « accroître la transparence fiscale et à lutter contre les pratiques fiscales abusives ». Ces propositions concernent à la fois la quatrième directive relative au LCB-FT et la directive de 2011 relative à la coopération administrative. Au plan opérationnel, l’échange d’informations pâtit d’une stricte séparation entre les superviseurs des établissements bancaires et fiscaux et les autorités fiscales. « De ce fait, les autorités ne coopèrent qu’avec leurs homologues et ne disposent pas d’une vision d’ensemble. Les autorités de supervision bancaire n’ont par exemple pas accès à des données fiscales, même si ces éléments pourraient avoir des conséquences sur ce qui relève de leur champ de supervision. Ainsi, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) française ne dispose-t-elle pas d’un cadre de coopération avec les administrations fiscales des autres États », précisent les rapporteurs. Autre obstacle de taille, l’absence de base de données nationale des comptes bancaires dans plusieurs États membres. Le problème concerne également les autres supports comme les assurances-vie. Si, la France fait figure de bon élève en la matière avec le FICOBA et le FICOVI pour les comptes d’assurance-vie, tous les pays ne disposent pas d’un pareil système et, notamment dans les États fédérés, cette mission relève de la compétence des États fédérés et aucune agrégation fédérale n’est assurée. « La création d’un fichier national regroupant au moins des données relatives aux comptes bancaires dans chacun des États membres, associée à un principe d’échange réciproque de toutes les informations par le biais d’un mécanisme d’interconnexion des fichiers, constituerait un élément central de facilitation de l’identification, de la poursuite et de la répression des infractions fiscales et de grande délinquance économique et financière », concluent les rapporteurs.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Rapport d’information sur l’évaluation de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et de la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013, relative au procureur de la République financier, n° 4457, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 8 février 2017.
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