Dutreil : la condition relative à la nature de l’activité doit être vérifiée pendant toute la durée de l’engagement

Publié le 01/09/2022
travail, menuiserie, famille, transmission, atelier, entreprise
JenkoAtaman/AdobeStock

La condition relative à l’activité de la société dont les titres sont transmis sous le bénéfice de l’exonération partielle Dutreil doit être vérifiée pendant toute la durée des engagements, telle est la règle rappelée par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 21 février 2022, au sujet de trois sociétés qui se prévalaient de l’activité de marchands de biens.

Toutes les entreprises ne sont pas éligibles à l’exonération Dutreil, qui permet d’exonérer de droits de mutation à titre gratuit 75 % de la valeur de l’entreprise transmise par donations ou succession (article 787 B du Code général des impôts – CGI). En effet, seules sont susceptibles d’ouvrir droit à l’exonération de l’article 787 B du CGI, les parts ou actions d’une société qui exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion des activités de nature civile. La cour d’appel de Paris vient de le rappeler que la condition relative à l’activité doit être vérifiée pendant toute la durée des engagements (CA Paris, 21 févr. 2022, n° 20/08155).

Deux donations-partages portant sur 3 SARL

Monsieur Y et son épouse, Madame Y, décédés, avaient procédé par un acte notarié du 2 août 2008 enregistré le 27 août 2008 ensemble et, par un acte notarié des 12 et 13 janvier 2010 enregistré le 15 janvier 2010, pour Madame Y seule, à deux donations-partages de la pleine propriété de parts sociales SARL A, B et C en faveur de leurs quatre enfants. Ceux-ci se prévalaient de l’exonération Dutreil de l’article 787 B du CGI. L’administration fiscale a remis en cause l’activité commerciale de marchand de biens des trois sociétés fondant l’exonération partielle dont les parties déclaraient bénéficier, considérant que les 3 exerçaient une activité au caractère exclusivement civile et non pas une activité commerciale de marchand de biens. Pour arriver à cette conclusion, l’administration se fondait sur un faisceau d’indices tel que le financement à long terme et l’absence de revente.

Le tribunal judiciaire de Paris ayant donné raison à l’administration fiscale, les héritiers ont fait appel de la décision. Ils faisaient valoir que la remise en cause du statut de marchand de biens au cours de l’année 2008 est soumise à la prescription abrégée de trois ans et non de six comme le prétendait l’administration fiscale ; et partant le droit de reprise de l’administration fiscale était éteint au 31 décembre 2012. Sur ce point, la cour d’appel de Paris, se fondant sur les dispositions des articles L. 186 et L. 180 du Livre des procédures fiscales a indiqué que l’administration, avait dû procéder à des recherches ultérieures pour vérifier l’exactitude des déclarations faites par les redevables qui ont déclaré pouvoir bénéficier du dispositif précité et que dès lors, la prescription abrégée s’était retrouvée écartée.

La nature de l’activité en question

Les héritiers faisaient valoir également qu’il existe une incohérence de l’administration qui avait admis le statut de marchand de biens lors de précédents contrôles tout en s’appuyant sur l’avis de la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires du 12 novembre 2014. Ils soutenaient que l’administration fiscale avait écarté la qualité de marchands de bien sans tenir compte des pièces qu’ils avaient produites ; et qu’enfin, l’administration ne pouvait se fonder sur le fait que les sociétés n’ont pas eu recours aux dispositions de l’article 1115 du CGI lors de leurs acquisitions (en vertu duquel l’acquisition d’immeuble, de fonds de commerce et d’actions ou de parts de sociétés immobilières par des personnes assujetties à la TVA est exonérée de droits d’enregistrement, dès lors que l’acquéreur prend l’engagement de revendre le bien dans un délai de 5 ans).

En l’espèce, si l’acte mentionne que les sociétés objet de la donation exerçaient une activité commerciale de marchand de biens et de gestion locative, l’exigibilité des droits notifiés au titre de la remise en cause de l’exonération des droits de mutation à titre gratuit à 75 % prévu en matière de transmission de parts sociales ayant une activité commerciale (article 787 B du CGI) n’a pas été établie au vu de l’acte de donation-partage du 2 août 2008.

La cour a considéré que les héritiers n’ont pas démontré que l’administration fiscale avait formellement admis la qualification de marchand de biens concernant les sociétés lors de précédents contrôles. D’une part parce que les contrôles ont été réalisés, dans le cadre de vérifications de la comptabilité et les rectifications en matière de BIC et d’impôt sur les sociétés concernaient des provisions non justifiées. D’autre part, la cour indique, si l’administration a mentionné l’activité de marchand de biens cette mention ne peut constituer une prise de position formelle sur ladite qualification.

Des opérations à caractère patrimonial

Surtout, sur l’analyse des faits conduisant à écarter l’activité de marchand de biens, la cour a repris les arguments de l’administration. Elle a fait valoir que sur les dix-neuf opérations revendiquées seules cinq ont été réalisées entre 2004 et 2013, dont quatre au profit des membres de la famille. La cinquième opération a porté sur un bien ayant toujours figuré à l’actif immobilisé d’une des sociétés, et acheté 14 ans avant la vente. Pour la cour, ces cinq opérations démontrent leur caractère patrimonial ; elles ne peuvent être prises en compte pour apprécier la notion d’habitude qui concerne les opérations à caractère commercial. Par ailleurs, de nombreuses ventes réalisées par une des sociétés de 1999 à 2003 ont été réalisées au profit d’une société sœur qui a aussitôt inscrit les immeubles acquis à son actif immobilisé, ce qui relève encore d’une activité patrimoniale.

La doctrine administrative sur les activités « dutreillables »

Les derniers commentaires administratifs du dispositif Dutreil, font un renvoi aux indications données dans la documentation afférente à la détermination de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) (BOI-PAT-IFI-20-20-20-30). Ainsi, ils considèrent comme activités commerciales les activités mentionnées aux articles 34 et 35 du CGI, à l’exclusion des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier.

L’administration indique que les activités de construction-vente d’immeubles ou de marchand de biens sont par exemple éligibles. En revanche, elle exclut expressément les activités de location de locaux nus, quelle que soit l’affectation des locaux ; les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation ; les activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation ; et les activités de promotion en restauration de son patrimoine immobilier, consistant à faire effectuer des travaux sur ses immeubles. Sont également exclues les activités de gestion par une société de son portefeuille de valeurs mobilières (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-1, paragraphe 15).

Enfin, sur la doctrine administrative indique que « la société doit vérifier la condition d’activité (…) pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation. L’abandon d’activités et l’exercice d’activités nouvelles pendant cette durée sont possibles, pourvu que la règle rappelée à la phrase précédente soit respectée » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-1, paragraphe 25).

X