Fiscalité du patrimoine : les propositions de réforme des députés Mattei et Sansu

Publié le 30/11/2023
Fiscalité du patrimoine : les propositions de réforme des députés Mattei et Sansu
Angelina Bambina/AdobeStock

Rechercher le point d’équilibre actuel entre les exigences de justice fiscale et celles d’efficacité économique : c’est à cet exercice que se sont livrés Jean-Paul Mattei et Nicolas Sansu, membres de la commission des finances de l’Assemblée nationale, dans une trentaine de propositions de réforme rendues publiques le 27 septembre dernier.

Sans proposer « un grand soir fiscal », le rapport des députés Jean-Paul Mattei (Modem) et Nicolas Sansu (PCF) de la commission des finances de l’Assemblée nationale interroge le cadre actuel de la fiscalité du patrimoine (Rapport d’information n° 1678 relative à la fiscalité du patrimoine, 27 septembre 2023).

Dans l’ensemble, les députés préconisent d’assurer la progressivité d’ensemble du système fiscal, en garantissant une juste prise en compte des capacités contributives afin de réduire les inégalités.

État des lieux du patrimoine en France

Le constat est sans appel : ces dernières décennies ont connu une hausse des inégalités. Si sa croissance reste modérée en comparaison d’autres pays développés comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, elle est toutefois importante. Au début de l’année 2021, 92 % de la masse de patrimoine brut est ainsi détenue par la moitié la mieux dotée des ménages ; les 5 % les mieux dotés détiennent un tiers des avoirs patrimoniaux et les 1 % les mieux dotés en concentrent 15 %. Parmi les causes de l’accroissement des inégalités : la place de l’héritage. Alors que la fortune héritée représentait 35 % du patrimoine total des ménages dans les années 1970, elle compose aujourd’hui 60 % de ce patrimoine. L’accumulation et la concentration des patrimoines ont pour effet de s’alimenter l’une l’autre, par un effet « boule de neige » qui est renforcé par la hausse du poids du patrimoine hérité dans le patrimoine total. Le détenteur d’un patrimoine important aujourd’hui, le plus souvent, a pu le constituer ou l’accroître en raison d’un héritage ou de donations, alors que l’absence de transmission patrimoniale rend au contraire difficile la constitution d’un patrimoine important, même pour des personnes disposant de revenus confortables. Enfin, l’héritage moyen des 0,1 % plus gros héritiers représente donc environ 180 fois l’héritage médian. Cet écart est bien plus important que les écarts de revenus du travail : le revenu du travail moyen des 0,1 % des ménages aux revenus les plus élevés n’est en effet que 10 fois supérieur au revenu du travail médian.

Composition du patrimoine des Français

Début 2018, le montant moyen du patrimoine brut des ménages atteint 276 000 euros, et celui du patrimoine net 239 900 euros. Les 10 % les mieux dotés en patrimoine brut, dits « ménages à haut patrimoine », possèdent au minimum 607 700 euros d’actifs, les 5 % les mieux dotés 878 900 euros et les 1 % plus de 1,94 million d’euros.

80 % du patrimoine brut se compose d’actifs réels – biens immobiliers, biens durables (véhicules, bijoux, œuvres d’art) – et d’actifs professionnels. La résidence principale est la principale composante du patrimoine immobilier, à hauteur de 83 %. Les 20 % restants sont constitués de patrimoine financier, d’un montant moyen de 56 200 euros. Le patrimoine financier est principalement composé d’actifs non risqués (deux tiers). Il a crû de 78 %, entre 2002 et 2022, principalement du fait de la hausse de l’assurance-vie (+ 90 %) et des dépôts (+ 71 %). Quant au patrimoine professionnel, il est concentré dans le haut de la distribution. Il se définit comme l’ensemble des actifs professionnels détenus par un ménage (terres, machines, bâtiments, cheptel, stocks, etc.), que ce dernier les exploite dans le cadre de son activité professionnelle ou non. Il constitue 28 % du patrimoine des 1 % les mieux dotés, contre 9 à 21 % pour les autres ménages du décile supérieur de patrimoines.

Le PFU

La recommandation n°5 propose d’accroître la contribution des revenus du capital au redressement des finances publiques, et de prévoir une hausse modérée, par exemple de trois points, du taux du prélèvement forfaitaire unique (PFU) à l’impôt sur le revenu. Selon les auteurs, une réforme de la fiscalité du capital financier ne doit pas se limiter aux revenus financiers des personnes physiques. C’est pourquoi, ils proposent de l’élargir aux bénéfices des sociétés. Leur recommandation n°8 vise à relever les différentes quotes-parts pour frais et charges (QPFC) applicables aux remontées de dividendes ou aux plus-values de cessions de participations, et ce, pour faire mieux contribuer le patrimoine financier conservé dans des holdings patrimoniales. Pour mémoire, les produits de participation peuvent, sur option, bénéficier du régime des sociétés mères qui permet, sous conditions, l’exonération des produits distribués par une filiale à sa mère. À cette exonération est néanmoins appliquée une QPFC égale à 5 %, voire à 1 % du produit total des participations. Pour les plus-values nettes à long terme, la QPFC s’élève à 12 % (niche « Copé »).

Assurance-vie et PER

Parmi les recommandations du rapport, deux visent à réformer la fiscalité de l’assurance-vie. La première (recommandation n° 3) reprend la préconisation du Conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport de janvier 2018 de déterminer la fiscalité applicable aux revenus d’assurance-vie en fonction de l’ancienneté réelle des versements et non de la date d’ouverture du contrat. Selon les auteurs, ce régime « inciterait ainsi réellement à la détention longue, alors que ces incitations sont aujourd’hui détournées par la possibilité de « prendre date » en ouvrant un contrat sans pour autant y verser des sommes importantes dans un premier temps et de se servir seulement dans un second temps de ce support devenu fiscalement avantageux ». Telle était d’ailleurs la règle applicable jusqu’à la loi de finances pour 1990.

L’autre recommandation (n° 13) porte sur la fiscalité de l’assurance-vie en cas de décès. Elle propose de « normaliser » la fiscalité des transmissions hors successions par l’alignement du taux marginal supérieur du prélèvement applicable aux transmissions d’assurance-vie (31,25 %) sur le taux marginal supérieur applicable aux successions en ligne directe (45 %).

Quant au PER, la recommandation n°4 vise à « repenser le régime fiscal de l’épargne retraite afin que ses avantages ne soient pas concentrés sur les contribuables à hauts revenus ». En effet, la déductibilité des versements pendant la phase d’épargne s’avère faiblement attractive pour les ménages disposant de petits revenus. Il a donc été suggéré d’accorder aux épargnants ne bénéficiant pas de la déductibilité des versements à l’IR une exonération des plus-values à l’impôt sur le revenu (hors prélèvements sociaux) comme pour le plan d’épargne en actions (PEA). Autre piste : améliorer le traitement fiscal des sorties en rente viagère en doublant l’abattement de 10 % applicable aux revenus de remplacement, en le portant à 20 %.

Le régime de la taxation du PER en cas de décès est également analysé par le rapport sans toutefois faire l’objet d’une recommandation. « Alors que le mécanisme de déduction des versements initiaux est conçu comme un sursis à imposition, l’assujettissement à l’IR étant différé à la liquidation du plan, ce « rattrapage fiscal » peut en effet être mis en échec si le contribuable fait le choix de ne pas liquider le plan mais de le conserver, à la retraite, dans le but de le transmettre à ses héritiers. L’avantage fiscal procuré au souscripteur lors de la constitution du plan n’est, dès lors, jamais récupéré et peut être assimilé, dans ce cas, à une subvention à la transmission d’un capital ».

Patrimoine et IFI

La recommandation n°6 reprendre l’idée d’un ISF vert, à l’échelle européenne, pour financer les nécessaires investissements dans la transition climatique. Il s’agirait de mettre en place un prélèvement dédié, explicitement temporaire et calibré ex ante en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques serait ainsi assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés.

« À titre d’exemple, un prélèvement de 5 % étalé sur 30 années, assis sur l’actif financier net des 10 % les mieux dotés (3 000 milliards d’euros), procurerait 150 milliards d’euros soit 5 points de PIB »,indique le rapport. Il propose également de lancer une réflexion sur un impôt mondial sur le patrimoine détenu par les ménages les plus riches, afin de financer des aides aux pays les plus pauvres.

En matière d’IFI, le rapport préconise :

• d’indexer le seuil d’assujettissement à l’IFI sur l’inflation (recommandation n° 17) ;

• de plafonner l’abattement de 30 % sur résidence principale existant dans l’assiette de l’IFI à 600 000 euros (recommandation n° 18) ;

• de mettre en place un système de pré-remplissage des déclarations IFI par la DGFiP, et examiner la possibilité de mettre en place un système de tiers déclarants, qui serait sécurisant pour le contribuable et une garantie sur la qualité de la déclaration (recommandation n° 19).

Fiscalité des donations et des successions

En matière de droits de mutation à titre gratuit (DMTG), le rapport souligne la nécessité de procéder à des ajustements à brève échéance pour assurer un réel effet redistributif à ces prélèvements. Toutefois, il impose au préalable de connaître précisément la composition des flux de successions et de donations annuels, et, par niveaux de revenu fiscal des contribuables bénéficiaires, les montants transmis et les niveaux de fiscalité effectivement acquittés, afin d’être en mesure d’établir la concentration de l’impôt. Sa recommandation n°9 plaide pour que la DGFiP soit dotée des moyens nécessaires pour mener à bien de façon prioritaire la modernisation de l’enregistrement des déclarations de donations et successions (e-Enregistrement), et sa recommandation n°10, que soient traitées de façon exhaustive les informations figurant dans les déclarations de donations et successions pour déterminer la progressivité effective des DMTG, et pour connaître l’incidence, à ce titre, du barème, des abattements et des dispositifs successoraux de faveur selon les niveaux de revenus et de patrimoine des bénéficiaires.

En outre, pour faciliter la transmission anticipée des patrimoines vers les jeunes générations (on hérite aujourd’hui à plus de 50 ans en moyenne, contre 42 ans en 1982), le rapport propose d’adapter les bornes d’âge applicables à l’exonération de droits aux titres de dons de sommes d’argent consentis en pleine propriété dans un cadre familial (recommandation n° 12).

Par ailleurs, il préconise de faire évoluer le barème et les abattements des DMTG afin de réduire les écarts de fiscalité selon le degré de parenté pour adapter la fiscalité aux évolutions des schémas familiaux et en particulier réduire les différences de traitement fiscal entre enfants au sein des familles recomposées (recommandation n° 11).

Les pactes Dutreil

Le rapport estime avoir besoin d’objectiver le coût du dispositif afin de mieux en encadrer les avantages. La recommandation n° 14 vise ainsi à rassembler et diffuser des informations exhaustives sur l’utilisation des pactes Dutreil, les catégories d’entreprises bénéficiaires, la distribution des avantages fiscaux qu’il procure et les durées effectives de détention des titres transmis. Le rapport demande également que soit menée une réflexion sur la définition des actifs pouvant être transmis par Dutreil. Enfin, afin de garantir un traitement fiscal plus équitable en cas de cession à titre onéreux des titres transmis sous le régime d’un pacte Dutreil, le rapport propose de « retenir pour le calcul de la plus-value de cession réalisée, comme valeur d’acquisition des titres, la valeur des titres au jour de leur transmission à titre gratuit après application de l’exonération de 75 % » (recommandation n° 16).

Fiscalité immobilière

Le rapport s’est attaqué au grand sujet pointé de toute part : le caractère plus favorable de la fiscalité de la location meublée que celui de la location nue. Il préconise donc un alignement progressif du régime fiscal de la location meublée non professionnelle sur le régime fiscal de la location nue, qui permettrait de supprimer cette distorsion fiscale. Comment ? Par la mise en place d’un régime foncier unique intermédiaire entre les actuels régimes micro-foncier, applicable à la location nue et micro-BIC applicable à la location meublée (recommandation n° 20).

En matière de plus-value immobilière, il propose de remplacer les abattements pour durée de détention par l’actualisation de la valeur d’acquisition du bien en fonction d’un indice statistique (inflation, coût de la construction) pour déterminer la plus-value imposable. L’exonération sur la résidence principale serait maintenue. En raison du côté systémique de la mesure, prévoir un délai de prévenance (recommandation n° 21).

Il réfléchit également à une modalité d’imputation des DMTO déjà payés par un acquéreur lors de l’acquisition de sa résidence principale sur ceux à payer en cas de revente du bien pour assurer l’acquisition d’une nouvelle résidence principale, afin de fluidifier le parcours résidentiel (recommandation n° 27).

Et en matière de taxes foncières, le rapport demande :

– que la révision des valeurs locatives cadastrales soit bien mise en œuvre d’ici 2028 (recommandation n° 22) ;

– que soit défini un critère de revalorisation annuelle des valeurs locatives cadastrales qui reflète davantage l’évolution des marchés immobiliers locaux (recommandation n° 23) ;

– que soit lancée une réflexion sur une évolution de la base d’imposition à la taxe foncière pour remplacer les valeurs locatives cadastrales par une estimation de la valeur vénale (recommandation n° 24) ;

– que les décideurs locaux disposent des informations statistiques précises sur la nature des contribuables assujettis aux taxes foncières dans leur commune – particuliers, entreprises, taille de l’entreprise le cas échéant (recommandation n° 25) ;

– que la perte du pouvoir de taux des départements du fait de la réaffectation de la part départementale de la taxe foncière, soit compensée par l’élargissement de leur pouvoir de taux sur les droits de mutation à titre onéreux (recommandation n° 26).

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