Focus sur le parquet national financier

Publié le 08/07/2016

Le point sur deux ans d’activité du parquet national financier : ses moyens, ses obstacles, les procédures en cours et le traitement de l’affaire des Panama Papers.

Éliane Houlette, avocat général à la Cour de cassation, procureur de la République financier près le tribunal de grande instance de Paris a fait l’objet d’une audition par la commission des finances du Sénat, le 18 mai dernier, dans le cadre de la politique de lutte contre l’évasion fiscale internationale, et plus particulièrement à la suite de l’affaire des Panama Papers, l’occasion pour elle de dresser un bilan de l’activité du parquet national financier (PNF)1.

Le parquet national financier (PNF), créé par la loi du 6 décembre 2013 et mis en place le 1er février 2014, est entré en fonction le 3 mars de la même année. Il a pour but de lutter plus efficacement contre la fraude fiscale, le blanchiment, mais aussi contre un champ très large d’infractions incluant la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, les délits boursiers, etc. Sa spécificité : une compétence territoriale nationale et une compétence matérielle réduite à trois types d’infraction : les délits boursiers, les atteintes à la probité et la fraude fiscale complexe. Pour le premier type d’infraction, sa compétence est exclusive, tandis que pour les deux derniers, il intervient en concurrence avec les autres parquets, et notamment ceux des juridictions interrégionales spécialisées. Il comporte un effectif de quinze magistrats, quatre assistants spécialisés – dont deux administrateurs des finances publiques, un expert-comptable et un spécialiste en matière boursière –, un greffier en chef, cinq greffiers et une assistante administrative. Il est organisé en trois groupes, chacun dirigé par un procureur adjoint.

Un manque de moyens humains

Pour Éliane Houlette, les moyens du parquet national financier sont sous-dimensionnés. « Les dossiers dont nous sommes saisis sont extrêmement complexes. Nous faisons un travail de bénédictins, qui demande un investissement considérable, explique-t-elle. Les enquêtes préliminaires sont complexes et engagent des questions de droit épineuses. Je regrette de n’avoir pas su convaincre nos autorités sur notre manque de moyens, car il est réel. Nous manquons de magistrats, nous manquons d’assistants ». Elle a en outre souligné les insuffisances en matière de ressources humaines des services d’enquête avec lesquels le PNF travaille le plus habituellement : l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), qui comptait 93 agents en 2013 à sa création mais n’en compte plus que 81 ainsi que la brigade financière et la brigade de répression de la délinquance économique de la préfecture de Paris qui travaillent en sous-effectif.

Les freins à l’action du PNF

Parmi les difficultés récurrentes auxquelles cette très jeune institution est confrontée, Éliane Houlette souligne le déficit d’informations sur les affaires de fraude fiscale aggravée. « Certaines affaires sont portées à la connaissance des services d’enquête et des parquets locaux tandis que le parquet national financier n’en est pas informé. Les signalements de Tracfin, portées directement à la connaissance des parquets locaux, ne nous sont pas envoyés en copie, ce qui est pour nous dommageable ». Elle cite notamment l’affaire Mulliez, conduite par la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille en coordination avec l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. Une enquête a été ouverte pour soupçon de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale depuis plusieurs mois et début mai un certain nombre de perquisitions ont eu lieu en France, en Belgique et au Luxembourg. Pour Éliane Houlette il s’agit typiquement d’une affaire d’importance, qui appelle une forte coopération internationale. Or le parquet national financier n’en a pas été informé. Le procureur de la République financier en a profité pour appeler à une transmission systématique au PNF de tous les dossiers de fraude fiscale ou de blanchiment de fraude fiscale présentant une dimension internationale ou des éléments d’extranéité afin d’établir une véritable politique pénale, centralisée.

Une paralysie des procédures ?

Éliane Houlette a souligné l’habileté avec laquelle les conseils des prévenus usent de tous les moyens procéduraux à leur disposition pour ralentir le cours des procédures. « Les recours contre les actes des juges d’instruction sont portés devant la cour d’appel de Paris, qui doit traiter un énorme contentieux ; sans compter que les arrêts qui finissent par être rendus font ensuite l’objet de pourvois en cassation », cite-t-elle en exemple. Autre difficulté identifiée : le jeu des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui ralentit la conduite des instances. Celles-ci sont souvent déposées le premier jour de l’audience, après une instruction déjà très longue. Autre frein : l’absence d’audience de mise en état pour la préparation de nos dossiers en vue de l’audience de jugement. Éliane Houlette cite à cet égard l’affaire Cahuzac, emblématique des délais à rallonge auxquels se confronte l’action du parquet. « Le dossier, pour le parquet national financier, était bouclé en décembre 2014, précise-t-elle. Après une enquête menée fin 2012, une information a été ouverte en 2013. Différentes requêtes en nullité ont été portées devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Le juge de l’instruction a fini par rendre son ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, laquelle a été frappée d’appel, et ce n’est que le 17 décembre 2014 que le réquisitoire définitif du parquet a fini par être prononcé. Le dossier a été porté en janvier devant le tribunal correctionnel de Paris et c’est alors qu’une question prioritaire de constitutionnalité a été déposée. Bref, le cas finira par passer en jugement – je l’espère – en décembre 2016, soit presque deux ans après la fin de notre travail ».

Une coopération nationale qui doit progresser

Cette audition a également été l’occasion de faire le point sur la coopération internationale qui reste « inégale, lente, chaotique » pour le procureur de la République financier, qui a pour l’heure sollicité 53 pays. Au sein de l’Union européenne, la transmission est directe entre autorités judiciaires. Tel est le cas avec l’Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Grande-Bretagne, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède. « Les choses se passent bien et je dois dire que même avec certains pays à fort secret bancaire, comme le Luxembourg, la coopération est excellente. Nous avons obtenu des saisies par l’intermédiaire des autorités judiciaires luxembourgeoises dans un dossier de fraude fiscale aggravée », souligne Éliane Houlette. Pour les autres pays, la transmission se fait par voie diplomatique. Elle souligne à cet égard, la coopération efficace opérée avec des États comme les Bahamas, la Lettonie, le Luxembourg, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, pays pourtant à fort secret bancaire. En revanche, elle met en avant un certain nombre de difficultés rencontrées avec des États comme la Russie, le Qatar, l’Île Maurice et la Suisse. Si la coopération administrative, via l’échange d’informations, fonctionne bien, tel n’est pas le cas de la coopération judiciaire. « Il est vrai que la Suisse ne connaît pas le délit de fraude fiscale. Or une enquête pénale internationale exige que l’infraction concernée soit reconnue dans les deux pays. C’est une des difficultés auxquelles nous nous heurtons ».

Maintenir le verrou de Bercy

Cette audition a également permis d’aborder la question du verrou de Bercy, organisé par le biais de l’article 228 du Livre des procédures fiscales (LPF), qui subordonne les poursuites pour fraude fiscale à une plainte préalable de l’administration fiscale sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales (CIF). Ce monopole de l’administration fiscale est très régulièrement critiqué et remis en cause. Ce n’est pas l’analyse qu’en fait Éliane Houlette, pour qui le parquet ayant la faculté de s’autosaisir sur le fondement de l’infraction connexe de blanchiment de fraude fiscale, les « grosses affaires finissent tôt ou tard devant la justice ». Elle précise en outre avoir constaté depuis 2013, un mouvement de diversification des plaintes déposées par Bercy. « Si j’en juge par la dimension de certaines des personnes morales ou la qualité de certaines des personnes physiques concernées, je puis dire que rien n’est caché. Les types d’impôts visés se diversifient également : tant la fiscalité personnelle que la fiscalité professionnelle sont concernées, puisque nous avons aussi à connaître de questions touchant aux prix de transfert ou à la notion d’établissement physique stable en France ». Enfin, elle juge positif le rôle de « filtre » assuré par la Commission des infractions fiscales (CIF), dans la mesure où il serait impossible matériellement de traiter l’ensemble des plaintes. Elle regrette cependant que le PNF ne puisse être associé en amont de la saisine de la CIF, car sa participation aiguiserait peut-être la pertinence des choix opérés.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Sénat, compte rendu de la commission des finances, séance du 18 mai 2016, audition d’Éliane Houlette.
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