Inspecteurs des impôts sans frontières (IISF) : une initiative inédite qui porte ses fruits
Le programme IISF entend œuvrer à améliorer la capacité des pays en développement à imposer les entreprises multinationales et ainsi stimuler la mobilisation de leurs recettes intérieures.
Lancée lors de la 3e Conférence internationale sur le financement du développement qui s’est tenue à Addis-Abeba en juillet 2015, l’initiative Inspecteurs des impôts sans frontières (IISF) a pour objectif d’aider les pays en développement à renforcer leurs capacités en matière de vérification fiscale et de veiller au respect de leurs obligations par les entreprises multinationales à l’échelle mondiale. Il s’agit d’un projet conjoint de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Un axe majeur de coopération internationale
L’IISF constitue un axe majeur de l’effort de coopération internationale. En mai dernier, un état des lieux a permis de faire un premier bilan de cette initiative qui n’est encore déployée qu’à titre expérimental. Il a été piloté par Rusudan Kemularia, ancienne vice-ministre des Finances de la Géorgie, actuellement en poste en qualité de conseillère fiscale principale auprès de l’initiative IISF à l’OCDE. Un comité directeur multipartite, co-présidé par le secrétaire général de l’OCDE et l’administrateur du PNUD, a approuvé le 5 mai dernier, le rapport présentant les résultats de cet état des lieux, ainsi qu’un certain nombre de préconisations pour l’avenir.
En avril 2016, lors de sa réunion inaugurale, le Comité directeur de l’initiative IISF s’est fixé comme objectif une centaine de déploiements d’experts à l’horizon 2020. En raison de la pandémie qui sévit actuellement, il se peut que cet objectif ne soit pas atteint d’ici à la fin 2020, en dépit de l’expansion rapide qui a marqué en particulier les années 2017 et 2018, souligne ce rapport.
Des millions de recettes supplémentaires
Le principe du programme repose sur une « idée simple : envoyer des spécialistes de la vérification fiscale auprès d’administrations fiscales de pays en développement intéressés pour œuvrer au renforcement de leurs capacités en travaillant aux côtés des vérificateurs locaux », a expliqué Angel Gurría, secrétaire général de l’OCDE, lors de la présentation du dernier rapport annuel de l’IISR, dans le cadre d’une table ronde ministérielle qui s’est tenue lors de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, en septembre 2019. Les vérificateurs locaux acquièrent ainsi l’expertise qui leur est nécessaire « afin de contribuer à la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) et contre l’évasion fiscale ».
Les experts fiscaux diligentés ont pour mission de dispenser une assistance en situation réelle sur des dossiers en cours et des questions de fiscalité internationale. « Les pays en développement perdent chaque année des centaines de milliards de dollars à cause de l’évasion fiscale et ces ressources perdues empêchent des millions de personnes de s’instruire, d’accéder à des soins de santé ou d’avoir un niveau de vie acceptable, a analysé l’administrateur du programme des Nations unies pour le développement, Achim Steiner, lors de cette présentation. L’initiative IISF aide à mobiliser ces ressources importantes en aidant les pays à éliminer les failles des systèmes fiscaux, à améliorer la transparence et, surtout, à réduire l’évasion fiscale des multinationales. Notre travail avec diverses industries a permis à des pays de disposer de centaines de millions de dollars de recettes fiscales supplémentaires pour faire avancer leurs priorités de développement national et atteindre les objectifs de développement durable », a résumé Achim Steiner. En septembre 2019, cette assistance fiscale internationale avait déjà rapporté, depuis sa création en 2015, près de 500 millions USD de recettes supplémentaires aux pays en développement. Au niveau régional, c’est en Afrique que le développement des recettes fiscales est le plus significatif.
Des transferts de compétence
En septembre 2019, on dénombrait 98 programmes en cours d’exécution, ayant pris fin ou à venir répartis dans 55 pays et juridictions dans le monde. Des programmes IISF sont conduits en Afrique, en Asie, en Europe de l’Est, en Amérique latine et dans les Caraïbes. Pas moins de 23 nouveaux programmes ont été lancés, notamment en Asie, où l’effort s’est concentré plus particulièrement en 2019. L’Initiative IISF offre un excellent retour sur investissement puisque chaque dollar investi dans des programmes IISF permet de recouvrer 100 USD de recettes supplémentaires. Les programmes menés en Afrique ont rapporté en moyenne un surcroît de recettes fiscales de plus 140 USD par dollar décaissé.
Seul bémol, les premières analyses donnent à penser qu’il existe un écart non négligeable entre les redressements notifiés et les impôts effectivement recouvrés à la suite de vérifications ayant bénéficié d’un soutien au titre de l’initiative IISF. Mais la réussite de ce programme ne se mesure pas seulement à l’aune des recettes perçues par les administrations fiscales. Elle se concrétise également par des transferts de compétence, des améliorations organisationnelles (amélioration des outils, meilleure hiérarchisation des dossiers, meilleure organisation des vérifications notamment) et un développement du civisme fiscal et de la discipline fiscale spontanée.
L’objectif d’un renforcement des capacités des pays en développement en matière de vérification fiscale reposant sur l’apprentissage en situation réelle a été partiellement atteint, souligne le rapport de mai 2020 qui recommande à cet égard la mise en place d’une méthode plus rigoureuse de mesure de l’impact afin de déterminer dans quelle proportion le renforcement des capacités des administrations fiscales locales résulte de la procédure de vérification fiscale conjointe.
Des partenaires engagés
Ces résultats ont été obtenus grâce au soutien d’un large éventail de partenaires, des organisations régionales et internationales, et des donateurs. Les administrations fiscales de 16 pays ont mis à disposition des agents en poste pour dispenser une assistance pratique en situation réelle à des vérificateurs de pays en développement. Six d’entre elles le font au titre de la coopération Sud-Sud, notamment celles de l’Afrique du Sud, de l’Inde, du Kenya, du Mexique, du Maroc et du Nigéria. Un tiers de ces administrations fiscales partenaires ont participé à plus d’un programme, la France et le Royaume-Uni étant les pays qui ont apporté le soutien le plus généreux à l’initiative IISF puisqu’ils ont chacun pris part à l’exécution de cinq programmes en cours de réalisation et/ou déjà achevés en 2019.
Les programmes IISF bénéficient en outre de l’intervention d’experts issus d’une liste gérée par le PNUD, qui comptait en 2019 plus de 50 noms, dont la moitié sont d’anciens fonctionnaires et l’autre moitié des fonctionnaires des administrations fiscales encore en activité. Il se compose à hauteur de 50 % d’experts issus de cinq pays, à savoir l’Afrique du Sud, l’Australie, le Canada, les États-Unis et l’Inde. Le Ghana, l’Inde, le Kenya, le Nigéria et le Pérou ont également été des pourvoyeurs d’experts figurant sur le vivier. Depuis 2018, le PNUD entreprend de recruter plus spécifiquement des experts francophones et hispanophones. Cependant, le nombre d’experts reste insuffisant, souligne le rapport de mai 2020. L’offre d’experts qualifiés est très restreinte. Le vivier actuel d’experts comprend un réseau de 16 experts issus d’administrations partenaires, les 52 experts figurant sur la liste gérée par le PNUD et les 9 experts du CTPA (OCDE) ne suffisent pas pour satisfaire la demande. Le rapport souligne le nombre insuffisant d’experts hispanophones, francophones et lusophones. Les experts en prix de transfert sont également très recherchés. Le rapport suggère à cet égard d’engager une politique de recrutement plus volontariste, notamment en faisant appel à des fonctionnaires en poste. Il conviendrait d’encourager des femmes et des experts maîtrisant plusieurs langues à se porter candidats pour une inscription sur la liste. Enfin, les administrations d’accueil sont demandeuses d’experts sectoriels et 7 ont déjà été déployés à ce jour. Le rapport de mai 2020 alerte sur les risques de conflits d’intérêts associés à la présence d’experts sectoriels, notamment le risque que le spécialiste d’un secteur ait des liens avec l’entreprise qui fait l’objet d’une vérification fiscale et ne signale pas un conflit d’intérêts.

Des missions très ciblées
Dans le cadre de l’initiative IISF, des experts étrangers travaillent directement en temps réel sur des dossiers confidentiels, le but étant d’œuvrer au renforcement des capacités grâce à l’apprentissage en situation réelle. La philosophie de l’initiative IISF, conduisant au déploiement périodique, pour de courtes durées, d’experts IISF, n’est pas remise en cause, souligne le rapport de mai 2020. La grande majorité des programmes se sont déroulés sur 12 à 18 mois. Néanmoins, il est possible d’assurer une certaine continuité entre des missions de courte durée grâce à des outils de travail à distance, notamment. Il apparaît indispensable d’évaluer l’engagement des administrations d’accueil, qui doit être une des conditions de la poursuite du soutien dispensé au titre de l’initiative IISF, et de veiller, en prévoyant une stratégie de sortie, à ce que les programmes IISF aient des effets qui se prolongent après qu’ils aient pris fin, conclut cet état des lieux.
Les experts IISF ont prêté assistance à des responsables d’administrations d’accueil sur plus de 250 dossiers de vérification depuis 2015. La majorité des dossiers de vérification fiscale examinés dans le cadre de programmes IISF concerne en premier lieu des entreprises des secteurs manufacturier et minier, puis des entreprises du secteur bancaire et des secteurs de la vente et de la distribution, et enfin des entreprises du secteur de télécommunications. Environ la moitié des dossiers de vérification pour lesquels une assistance a été dispensée relève de ces cinq secteurs, les autres dossiers se répartissant notamment entre les secteurs suivants : automobile, bâtiment, produits alimentaires et boissons, assurance, pétrole et gaz, autres ressources naturelles (notamment sylviculture et agriculture), produits pétroliers, produits pharmaceutiques, commerce de détail, services techniques, tourisme et hôtellerie, transport et logistique. Certains programmes IISF en matière de vérification ont une orientation purement sectorielle et visent spécifiquement des entreprises exerçant leur activité dans un secteur précis, sylviculture ou exploitation minière, par exemple.
Des programmes pilotes
Le succès rencontré par l’initiative IISF, initialement circonscrite aux vérifications d’entreprises multinationales, suscite une volonté d’élargissement à d’autres champs tels que les enquêtes en matière de délinquance fiscale, les vérifications conjointes, l’échange automatique de renseignements, la négociation de conventions fiscales et le règlement des différends. Des programmes pilotes sont déjà en cours dans certains de ces domaines. Le projet sur l’échange automatique de renseignements a ainsi été lancé en novembre 2019. Ce projet est coordonné avec le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. Ces programmes pilotes sont déployés pour soutenir les efforts des pays en développement et pour garantir l’utilisation effective des données obtenues à la faveur de l’échange automatique de renseignements. Ils intègrent une aide concrète à l’utilisation des données obtenues grâce à l’échange automatique. Ils permettent aussi de développer une expertise dans l’analyse de données, l’évaluation des risques, le développement de mesures d’application dans la législation fiscale, les campagnes de sensibilisation, la théorie et la pratique des contrôles fiscaux et l’établissement d’un redressement fiscal. Les premiers programmes pilotes sont déjà en cours en Égypte et au Pakistan, grâce au soutien de l’administration des douanes et des impôts du Royaume-Uni. Le Pakistan a déjà échangé des renseignements avec 56 pays. Il lui reste cependant des défis à relever pour rapprocher et interpréter les données reçues puis les convertir en une augmentation des revenus collectés. L’assistance technique fournie à l’administration fiscale égyptienne (ETA) par l’IISF lui a permis de construire son programme de traitement des prix de transfert de l’ETA. Fort de ce succès, le ministère des Finances égyptien et l’ETA ont demandé en 2019, l’extension du programme existant en matière de prix de transfert ainsi qu’un nouveau programme IISF sur l’échange de renseignements. Des programmes pilotes sur l’échange automatique de renseignements doivent également débuter en Indonésie et au Pakistan avant la fin de l’année 2020. Le déploiement de programmes à part entière est prévu en 2021. Cinq programmes pilotes concernant la fiscalité et la délinquance sont déjà en cours en Arménie, en Colombie, au Kenya, au Pakistan et en Ouganda. Le premier programme pilote IISF portant sur des enquêtes pénales a été lancé en Namibie en février 2018, sur des dossiers de fraude fiscale avec l’appui d’experts et d’enquêteurs spécialisés dans la délinquance financière. D’autres programmes pilotes devraient être lancés en 2020 afin de faciliter les vérifications conjointes et la négociation de conventions fiscales.
Il existe une forte demande non seulement pour les programmes IISF classiques, mais aussi pour les nouveaux programmes notamment la délinquance fiscale et l’échange de renseignements à des fins fiscales, souligne le rapport de mai 2020. Il est envisagé de mettre en place, à partir de 2021, des programmes pilotes sur la négociation de conventions fiscales, sur les aspects fiscaux des contrats d’exploitation de ressources naturelles, notamment dans les secteurs des pêcheries et de la sylviculture ainsi que sur la fiscalité et le tourisme.
Et demain ?
D’après le rapport de 2020, la demande potentielle des pays d’accueil est forte. Jusqu’ici, elle émanait principalement de pays à faible revenu et de pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, généralement membres du Cadre inclusif sur le BEPS. La fidélisation des administrations d’accueil ayant déjà participé à des programmes IISF a également été un puissant moteur de la demande. Au 1er janvier 2020, 12 pays en développement qui avaient déjà pris part à des programmes IISF se trouvaient engagés dans un processus visant à bénéficier d’un autre programme. On dénombre par ailleurs une quarantaine de pays figurant sur la liste établie par le Comité d’aide au développement (pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure/pays les moins avancés) qui ne prennent pas part actuellement à des programmes IISF. Si la politique suivie actuellement consiste à répondre positivement à la plupart des pays et territoires qui sollicitent une assistance, le rapport recommande cependant de formaliser les critères d’acceptation afin de les rendre plus transparents.