Justice fiscale : encadrer l’utilisation des entités écrans
Pour mettre fin à l’utilisation abusive d’entités écrans à des fins fiscales au sein de l’Union européenne, la Commission propose une nouvelle réglementation visant à décourager leur utilisation abusive à des fins fiscales.
La Commission européenne est à l’origine d’une initiative-clé visant à lutter contre l’utilisation abusive d’entités écrans à des fins fiscales inappropriées. « Cette pratique nuit à l’économie et à la société dans son ensemble, faisant également peser une charge supplémentaire injuste sur les contribuables européens », analyse Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif à la Commission européenne pour une économie au service des personnes. « Aujourd’hui, nous passons au niveau supérieur dans notre lutte de longue haleine pour mettre un terme aux dispositifs fiscaux abusifs et pour favoriser une plus grande transparence au niveau des entreprises. Grâce à de nouvelles exigences en matière de surveillance et de déclaration, les sociétés écrans auront plus de difficultés à bénéficier d’avantages fiscaux déloyaux et les autorités nationales pourront plus facilement détecter les abus résultant de ces sociétés. Il n’y a pas de place en Europe pour ceux qui exploitent les règles à des fins de fraude fiscale, d’évasion fiscale ou de blanchiment de capitaux : chacun devrait payer sa juste part d’impôts » !
Mieux encadrer les sociétés écrans
La proposition présentée en décembre 2021 par la Commission européenne vise à garantir que les sociétés écrans dans l’Union européenne n’exerçant aucune activité économique ou n’exerçant qu’une activité économique minimale ne bénéficieront d’aucun avantage fiscal, afin de décourager leur utilisation. Cette initiative a également pour objectif de préserver des conditions de concurrence équitables pour la grande majorité des entreprises européennes, lesquelles sont essentielles à la relance de l’Union européenne, et de veiller à ce que les contribuables ordinaires n’aient pas à supporter de charge financière supplémentaire à cause de ceux qui tentent d’éviter de payer leur juste part d’impôt. Si des entités écrans ou boîtes aux lettres peuvent remplir des fonctions commerciales ou opérationnelles utiles, les sociétés écrans sont souvent utilisées à des fins de planification fiscale agressive ou de fraude fiscale. Les entreprises peuvent orienter les flux financiers par l’intermédiaire d’entités écrans vers des juridictions qui prévoient une imposition nulle ou très faible ou dans lesquelles les impôts peuvent facilement être contournés. De même, certaines personnes peuvent utiliser des sociétés écrans pour éviter l’imposition de leurs actifs (en particulier les biens immobiliers), que ce soit dans leur pays de résidence ou dans le pays où le bien est situé. Pour Valdis Dombrovskis, « les sociétés écrans constituent encore pour les criminels un moyen facile de contourner les obligations fiscales. Nous avons connu ces dernières années trop de scandales liés à l’utilisation abusive de sociétés écrans ».
Trois critères déterminants
Les nouvelles mesures proposées établiront des normes de transparence concernant le recours aux entités écrans, de sorte que leur utilisation abusive puisse être plus facilement détectée par les autorités fiscales. La proposition introduit un système de filtrage pour les entités concernées, qui doivent respecter un certain nombre d’indicateurs. Ces niveaux d’indicateurs constituent des critères déterminants. Pour Paolo Gentiloni, commissaire européen chargé de l’économie, « cette proposition va renforcer la pression sur les sociétés écrans en établissant des normes de transparence afin de repérer plus facilement l’utilisation abusive de ces entités à des fins fiscales. Notre proposition définit des indicateurs objectifs pour aider les autorités fiscales nationales à reconnaître les entreprises qui n’existent que sur papier : les sociétés écrans ainsi détectées seront soumises à de nouvelles obligations de déclaration fiscale et ne pourront plus bénéficier d’avantages fiscaux. Il s’agit d’une nouvelle étape importante dans notre lutte contre l’évasion et la fraude fiscales dans l’Union européenne ». Si une entreprise remplit les trois critères déterminants, elle devra communiquer chaque année des informations supplémentaires aux autorités fiscales au moyen de sa déclaration fiscale. Le premier niveau d’indicateurs examine les activités des entités sur la base des revenus qu’elles perçoivent. Le critère déterminant est rempli si plus de 75 % des recettes totales d’une entité au cours des deux exercices fiscaux précédents ne proviennent pas de son activité commerciale ou si plus de 75 % de ses actifs sont des biens immobiliers ou d’autres biens privés d’une valeur particulièrement élevée. Le deuxième critère déterminant requiert un élément transfrontière. Si la société perçoit la majorité de ses revenus pertinents au travers de transactions liées à une autre juridiction ou transfère ces revenus pertinents à d’autres sociétés situées à l’étranger, elle remplit alors le deuxième critère. Le troisième critère déterminant concerne le traitement en interne ou en sous-traitance extérieure des services de gestion et d’administration. Une entité remplissant les trois critères sera tenue d’indiquer dans sa déclaration fiscale des informations relatives, par exemple, aux locaux de la société, à ses comptes bancaires, à la résidence fiscale de ses dirigeants et à celle de ses employés. Ces informations constitueront des indicateurs de substance. Toutes les déclarations doivent être accompagnées de pièces justificatives. Si une entité ne respecte pas l’un des indicateurs de substance, elle sera présumée constituer une société écran. Pour la Commission, ces nouvelles règles ne feront pas peser une charge disproportionnée sur les petites et moyennes entreprises. En effet, les petites et moyennes entreprises relèvent comme les grandes entreprises du champ d’application des mesures envisagées. La directive établit des critères objectifs et simples, qui reposent sur des éléments aisément accessibles aux contribuables. Le processus consiste principalement en une auto-évaluation de l’entité qui détermine si elle respecte les indicateurs de substance et se limite essentiellement à fournir des réponses dans le cadre de la déclaration fiscale.
La suppression des avantages fiscaux
Si une société est considérée comme une société écran, elle ne pourra pas profiter d’allégements fiscaux ni bénéficier des avantages du réseau de conventions fiscales de son État membre ni faire l’objet du traitement prévu par les directives « mères-filiales » et les directives « intérêts et redevances ». Pour assurer l’effectivité des conséquences qu’aura à subir la société écran, l’État membre de résidence de la société ne lui délivrera pas de certificat de résidence fiscale ou lui délivrera un certificat précisant qu’elle est une société écran. En outre, les paiements vers des pays tiers ne seront pas traités comme transitant par l’entité écran et feront l’objet d’une retenue à la source au niveau de l’entité qui a effectué les versements à la société écran. Par conséquent, les paiements entrants seront imposés dans l’État de l’actionnaire de la société écran. Les sociétés écrans qui possèdent des actifs immobiliers destinés à l’usage privé de personnes fortunées et qui, de ce fait, n’ont pas de flux de revenus devront supporter les conséquences correspondantes. Ces actifs seront imposés par l’État dans lequel ils sont situés comme s’ils étaient détenus directement par la personne concernée. Les entités qui ne satisfont pas tous les indicateurs de substance auront toujours la possibilité de réfuter la présomption selon laquelle elles seraient des sociétés écrans. Elles devront présenter des éléments de preuve supplémentaires, tels que des informations détaillées sur la raison commerciale, et non fiscale, de leur établissement, sur le profil de leurs employés et sur le fait que la prise de décision a lieu dans l’État membre de leur résidence fiscale.
Lutter contre la fraude et l’évasion fiscale
Compte tenu de la nature transfrontière de la planification fiscale agressive, ainsi que de l’évasion et de la fraude fiscales, les autorités des États membres échangeront automatiquement des informations sur toutes les entités relevant du champ d’application de la directive, qu’il s’agisse ou non d’entités écrans. La proposition modifiera en ce sens la directive relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal. Plus important encore, la proposition permettra à un État membre de demander à un autre État membre de procéder à un contrôle fiscal de toute entité déclarante dans ce dernier État et de communiquer les résultats du contrôle à l’État membre demandeur dans un délai raisonnable. Une fois adoptée par les États membres, la directive devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2024. Cette proposition s’inscrit dans le programme plus large de la Commission en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Il s’agit d’une des initiatives parmi la panoplie de mesures de la Commission visant à lutter contre les pratiques fiscales abusives. En décembre 2021, la Commission a présenté une transposition très rapide de l’accord international sur un niveau minimum d’imposition mondial pour les entreprises multinationales. En 2022, la Commission présentera une autre proposition en matière de transparence, qui imposera à certains grands groupes de publier leurs taux d’imposition effectifs, ainsi que la huitième directive relative à la coopération administrative, qui permettra aux administrations fiscales de disposer des informations nécessaires pour couvrir les crypto-actifs. Outre cette proposition qui traite de la question à l’intérieur de l’Union européenne, la Commission présentera en 2022 une nouvelle initiative visant à relever les défis que posent les entités écrans hors de l’Union européenne.
Référence : AJU003g1