La Cour de cassation porte un coup d’arrêt à la participation aux acquêts
Dans un arrêt du 18 décembre 2019, la Cour de cassation a jugé que la clause d’exclusion de l’actif professionnel inséré dans un régime de participation aux acquêts constitue un avantage matrimonial qui est révoqué de plein droit par le divorce par l’effet de l’article 265 alinéa 2 du Code civil. Dès lors, et sauf accord des ex-époux, l’actif professionnel doit être pris en compte pour le calcul des acquêts et l’indemnité à verser à l’ex-époux qui s’est le moins enrichi.
La Cour de cassation vient de porter un sérieux coup au régime matrimonial de la participation aux acquêts lui faisant perdre son intérêt majeur : l’isolement de l’actif professionnel des conjoints dans le calcul des comptes du divorce (Cass. 1re civ., 18 déc. 2019, n° 18-26337).
La participation aux acquêts
Le régime de la participation aux acquêts, régis par les articles 1569 à 1581 du Code civil, est un régime matrimonial conventionnel, qui fonctionne comme le régime de séparation de biens en cours de mariage mais comme celui de la communauté lors du divorce. Par conséquent, « pendant le mariage, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou qui lui sont advenus depuis par succession ou libéralité et ceux qu’il a acquis pendant le mariage à titre onéreux », selon les termes de l’article 1569 du Code civil. Au moment de la dissolution du régime, il est fait une comparaison entre le patrimoine de chacun des époux au jour du mariage et au jour de sa dissolution afin de rétablir un équilibre entre les deux. Si l’un des époux a enrichi son patrimoine, il devra à l’autre une somme égale à la moitié des acquêts réalisés par lui.
Selon l’article 1569 du Code civil « chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final ».
Ce régime est apprécié par les professionnels libéraux et des chefs d’entreprises, par lequel ils aménagent le dispositif légal de liquidation de la créance de participation pour en exclure les biens professionnels. Ce mécanisme permet, en cours de mariage, de protéger le conjoint des dettes professionnelles, et au moment du divorce, de protéger l’entreprise d’un partage avec l’ex-conjoint. C’est cette clause d’exclusion qui est au cœur de l’arrêt de la Cour de cassation ici commenté.
Désaccord au moment du divorce
Monsieur A, directeur d’un laboratoire d’analyses, et Madame B, pharmacienne, se sont mariés sous le régime de la participation aux acquêts, le contrat de mariage stipulant qu’en cas de dissolution du régime pour une autre cause que le décès des époux, « les biens affectés à l’exercice effectif de la profession des futurs époux lors de la dissolution, ainsi que les dettes relatives à ces biens, seront exclus de la liquidation ».
La clause était complétée par l’énumération des biens devant être exclus du patrimoine final, à savoir :
– des équipements matériels divers servant aux soins et à la réception de la clientèle ;
– la valeur du droit de présentation de la clientèle à tout successeur ;
– le droit au bail des locaux dans lesquels ils exerceront leur activité professionnelle ;
– les parts ou actions de toutes sociétés de moyens, sociétés civiles professionnelles ou sociétés de toute forme dont l’objet sera l’exercice de leur profession libérale ou commerciale.
Le couple entendait ainsi rester maître, chacun, de la gestion de leur outil de travail et de son développement futur tout en permettant à l’autre de profiter pendant le mariage des revenus tirés de l’activité, voire à le protéger si le bien professionnel était totalement déprécié.
Leur divorce a été prononcé par jugement du 26 septembre 2008. Lors des opérations de liquidation et de partage de leur régime matrimonial, ils s’opposent sur le calcul de la créance de participation. La cour d’appel de Chambéry, dans son arrêt du 10 septembre 2018, a jugé que la clause d’exclusion des biens professionnels insérée dans le contrat de mariage ne constitue pas un avantage matrimonial. L’arrêt retient que la notion d’avantage matrimonial est attachée au régime de communauté et que les futurs époux, en excluant leurs biens professionnels, ont voulu se rapprocher partiellement du régime séparatiste, sans pour autant en tirer toutes les conséquences sur leurs biens non professionnels. En conséquence, elle a ordonné l’exclusion des biens professionnels du calcul des patrimoines originaires et finaux.
M. A. se pourvoit en cassation, afin que soit constatée la révocation de plein droit de la clause d’exclusion des biens professionnels figurant dans leur contrat de mariage et que ces biens soient intégrés à la liquidation de la créance de participation.
Révocation de plein droit des avantages matrimoniaux
La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel. Son raisonnement est le suivant. Elle juge que la clause d’exclusion constitue un avantage matrimonial : « Une clause excluant du calcul de la créance de participation les biens professionnels des époux en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès, qui conduit à avantager celui d’entre eux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint, constitue un avantage matrimonial en cas de divorce ».
Or les avantages matrimoniaux – les profits que l’un ou l’autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation – prennent effet à la dissolution du régime matrimonial. Par conséquent, ils sont révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce.
La Cour se place en effet sur le terrain des dispositions générales des conséquences du divorce, sous le visa de l’article 265, alinéa 2 du Code civil, selon lequel « le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et des dispositions à cause de mort, accordés par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l’union, sauf volonté contraire de l’époux qui les a consentis. Cette volonté est constatée dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l’avantage ou la disposition maintenus ».
Ce faisant, elle fait primer les effets de l’article 265, alinéa 2 du Code civil : la clause se trouve révoquée, sauf à ce que les époux s’entendent en cours de divorce sur la créance de participation, hypothèse peu probable dans le cadre d’un divorce conflictuel.
À l’avenir, la créance de participation devra être calculée en tenant compte de l’actif professionnel, et l’ex-conjoint devra être indemnisé à hauteur de la moitié de la valeur de cet actif. Sauf accord des parties, la clause d’exclusion ne produisant plus ses effets, le régime de la participation aux acquêts perd la majeure partie de son intérêt !