La Cour des comptes fustige les niches fiscales
Le coût des 457 dépenses fiscales est pointé du doigt par la Cour des comptes. Outils de maîtrise insuffisants, défaut d’évaluation, objectifs moins ambitieux : les pouvoirs publics semblent avoir renoncé à en maîtriser la progression.
Les conclusions de la Cour des comptes sont sans ambiguïté : « le coût des dépenses fiscales continue de croître en 2017 ». Le montant total des 457 dépenses fiscales aurait en effet augmenté selon les données du PLF 2018 de 5,4 milliards d’euros entre 2016 (87,6 milliards d’euros) et 2017 (93 milliards d’euros). Le poids de ces dépenses fiscales aurait augmenté de 0,6 points de PIB depuis 2011 et s’établirait à près de 4,1 points de PIB en 2017. « Les pouvoirs publics semblent avoir renoncé aux efforts de maîtrise des dépenses fiscales », a résumé le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud.
Un mécanisme de plafonnement inopérant
Le coût des niches fiscales a d’ailleurs à cet égard fait l’objet d’une question ministérielle posée par le sénateur Jean-Noël Guérini (question n° 01812, JO Sénat du 02 nov. 2017, p. 3375). « Dans le tome II « dépenses fiscales » de l’annexe au projet de loi n° 235 (Assemblée nationale, XVe législature) de finances pour 2018 intitulée « évaluations des voies et moyens », on trouve un chapitre traitant du « coût des dépenses fiscales pour 2018 ». On peut y lire que le montant des dépenses fiscales, qui s’élevait à 87,6 milliards d’euros en 2016, s’élèverait à 93 milliards en 2017 et devrait atteindre 99,8 milliards en 2018, soit une augmentation de près de 14 % en 2 ans », précisait le sénateur. Cette somme est proche de ce que rapportent à l’État l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, de l’ordre de 70 et de 30 milliards d’euros en 2016 commentait ce dernier, ajoutant que « si les mesures proposées par le projet de loi de finances pour 2018 sont adoptées, les niches fiscales passeront à 457, contre 451 recensées en 2017 ». L’article 19 de la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 (LPFP) disposait du plafonnement des dépenses fiscales à 81,8 milliards d’euros en 2016 et à 86 milliards en 2017, des montants chaque fois dépassés. Dans ce contexte, le sénateur interrogeait le gouvernement sur les mesures envisagées pour endiguer la hausse constante du montant de ces régimes dérogatoires. La réponse du ministère de l’Économie et des Finances (JO Sénat, 8 mars 2018, p. 1070) a d’abord consisté à rappeler la volonté du gouvernement de maîtriser le coût des dépenses fiscales. Si, en effet, elles devraient augmenter entre 2017 et 2018 de près de 7 Md€, cette progression résulte de mesures adoptées par le précédent gouvernement, avec notamment la hausse mécanique de 4,5 Md€ du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en 2018, désormais en régime de croisière, et la hausse de 1,1 Md€ du crédit d’impôt pour emploi d’un salarié à domicile à compter des revenus de l’année 2017. Fort de ce constat, le gouvernement a proposé des réformes pour réduire les dépenses fiscales, qui ont été adoptées par le Parlement en loi de finances pour 2018. Ces réformes se traduisent notamment par la suppression du CICE ou du crédit d’impôt de taxe sur les salaires. L’objectif est de réduire d’environ 14 Md€ les dépenses fiscales sur la période 2018 à 2022.
Enfin, pour réduire davantage leur coût, la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2022 prévoit un mécanisme d’encadrement de la part des dépenses fiscales dans l’ensemble des recettes fiscales du budget général. Le rapport entre, d’une part, le montant annuel des dépenses fiscales et, d’autre part, la somme des recettes fiscales du budget général, nettes des remboursements et dégrèvements, et des dépenses fiscales ne pourra ainsi excéder 28 % pour les années 2018 et 2019, 27 % pour l’année 2020, 26 % pour l’année 2021 et 25 % pour l’année 2022. Ce nouvel outil de pilotage permettra au Parlement de contrôler la cohérence des engagements et de l’action du gouvernement en matière de dépenses fiscales. En parallèle, la LPFP pour les années 2018 à 2022 pose le principe d’une limitation dans le temps des dépenses fiscales : tout nouveau texte instituant une dépense fiscale doit prévoir un délai limité d’application maximal de quatre ans. Une telle disposition permet de fixer une échéance d’évaluation, à l’approche de la date d’extinction du dispositif, afin de justifier sa pertinence avant d’en proposer la reconduction éventuelle ou l’extinction au Parlement.
Cependant la Cour des comptes souligne que si les dernières lois de programmation des finances publiques ont effectivement acté la nécessité de mieux maîtriser ces crédits d’impôts et divers remboursements, notamment en instaurant un plafond de dépenses à ne pas dépasser, ces dispositifs n’ont pas fonctionné. « Les dépassements continus au cours des exercices 2015, 2016 et 2017 ne se sont traduits par aucune mesure d’ajustement », souligne le rapport de la Cour des comptes. Pire, la loi de programmation budgétaire de 2018 à 2022, qui vient d’être votée « amplifie cette renonciation en mettant en place un mécanisme de plafonnement non opérant, puisque placé près de 20 milliards d’euros au-dessus du niveau actuel des dépenses fiscales ».
Le poids du CICE
L’inflation des dépenses fiscales n’est pas corrélée à la création de nouvelles niches fiscales mais à la forte augmentation de certaines d’entre elles, notamment le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Il s’agit d’un avantage fiscal qui concerne les entreprises employant des salariés et équivaut à une baisse de leurs cotisations sociales. Le CICE s’impute en priorité sur l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés dû au titre de l’année au cours de laquelle les rémunérations prises en compte pour le calcul du CICE ont été versées. Il peut ensuite être imputé sur les 3 années suivantes. Il est restitué au-delà de ce délai. Le CICE a coûté 16,5 milliards d’euros en 2017. Un chiffre qui a dépassé de 681 millions d’euros les prévisions de l’administration fiscale pour 2017. Les dernières prévisions de l’administration fiscales chiffrent son coût à 21,4 milliards d’euros en 2018, 20 milliards d’euros en 2019 et 10,6 Md€ en 2020. Les dépenses fiscales sont de façon générale fortement impactées par le poids du CICE, mais ce n’est pas le seul facteur. Ainsi, hors CICE, les dépenses fiscales ont été stables en montant de 2009 à 2015. Cependant, elles repartent à la hausse depuis 2016. « Hors CICE, les dépenses fiscales ont progressé selon les documents budgétaires de 4,4 milliards d’euros depuis 2013, soit de 6,2 % sur la période, hors effet de périmètre ou absence de chiffrage. Depuis 2015, le chiffrage du coût des dépenses fiscales figurant dans le fascicule Voies et moyens est réévalué à la hausse d’un exercice à l’autre », précise le rapport.
Des conférences fiscales peu efficaces
Si des conférences fiscales ont été mises en place à partir de 2013 destinées à discuter conjointement des crédits budgétaires et des dépenses fiscales, en vue d’une meilleure rationalisation, « leurs résultats sont particulièrement décevants dans les faits », souligne le rapport de la Cour des comptes. Les conférences fiscales organisées en 2016 ont conduit à la suppression à partir de 2017 de trois dispositifs uniquement pour un coût global de 47 M€. 8 conférences fiscales se sont tenues en 2017. Elles ont conduit à supprimer ou ne pas reconduire quatre dépenses fiscales dont le coût global est estimé à 25 M€. À l’inverse, elles ont conduit à proroger ou à étendre certaines dépenses fiscales. « En définitive, conclut le rapport de la Cour des comptes, les conférences tenues en 2017 pourraient accroître de 42 millions d’euros le coût des dépenses fiscales en 2018 ».
Des évaluations insuffisantes
Les trois dernières lois de programmation des finances publiques ont fixé des objectifs de moins en moins ambitieux d’évaluation de la dépense fiscale. Alors que la LPFP 2012-2017 instaurait une évaluation annuelle, la LFPF 2014-2019 a limité cette évaluation aux mesures de création ou d’extension de la dépense fiscale. « La LFPF 2020-2022 est encore moins ambitieuse, déplore la Cour des comptes. Toute référence explicite à l’évaluation des dispositifs a disparu du texte de loi ». En outre, les évaluations prévues ne sont pas effectuées. Ainsi seules trois des vingt-huit dépenses renouvelées ont fait l’objet d’une évaluation en loi de finances 2018 (crédit d’impôt pour la transition énergétique, dispositif Pinel et prêt à taux zéro).
Des dispositifs coûteux mal évalués
La Cour des comptes souligne qu’un certain nombre de dispositifs particulièrement coûteux sont peu ou mal évalués. Elle prend notamment l’exemple du crédit impôt recherche (CIR). Le CIR est une mesure générique de soutien aux activités de recherche et développement (R&D) des entreprises, sans restriction de secteur ou de taille. Les entreprises qui engagent des dépenses de recherche fondamentale et de développement expérimental peuvent bénéficier du CIR en les déduisant de leur impôt sous certaines conditions. Le taux du CIR varie selon le montant des investissements. Le montant du crédit d’impôt est égal à 30 % des dépenses de recherche exposées dans l’année jusqu’à 100 millions d’euros. Il est de 5 % pour la part des dépenses de recherche dépassant ce seuil. Lorsqu’une entreprise n’a jamais exposé de dépenses de recherche, le taux de 30 % est porté à 50 % la première année puis à 40 % la seconde année. Les dépenses de recherche à prendre en compte sont les dépenses affectées à la réalisation d’opérations de recherche scientifique et technique. Elles sont limitativement énumérées par la loi. Le crédit impôt recherche (CIR) dont le coût est estimé à 5,8 Md€, ce qui en fait la deuxième dépense fiscale après le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Massivement utilisé par les entreprises, s’il est loin d’être le seul outil utilisable pour financer leurs projets de recherche et de développement, le CIR reste le principal outil incitatif de financement public de la recherche et développement (R&D). Cependant, souligne la Cour des comptes, « l’étude de son efficacité au regard de son objectif principal, à savoir l’augmentation de la dépense intérieure en R&D des entreprises, reste difficile à établir ».
Des micro-dispositifs mal connus
La Cour des comptes souligne également la présence d’un grand nombre de niches fiscales de faible importance particulièrement peu étudiées. Pour 170 d’entre elles, dont le montant est compris entre 1 et 50 M€, le coût total cumulé est fixé à 2,4 Md€ pour 2017. Pour 84 d’entre elles l’administration fiscale ne connaît pas le nombre de bénéficiaires. Pour les 76 dépenses, où le nombre de bénéficiaires est identifié, cinq ont concerné mois de 1 000 ménages et sept moins de 100 entreprises. Ainsi l’exonération temporaire à hauteur de 50 % des gains nets de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux détenus à l’étranger par des personnes physiques impatriées n’a bénéficié qu’à 473 ménages en 2016. Or le coût moyen de ces dispositifs peut s’avérer important. La Cour des comptes pointe notamment les dépenses affectées au soutien du secteur de la culture. Elle prend notamment l’exemple du dispositif de mécénat réservé aux entreprises qui effectuent des versements afin d’acheter un trésor national pour le compte de l’État. Elles peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 90 % des sommes investies conformément à l’article 238 Bis – OA du Code général des impôts. Le dispositif a été appliqué pour la première fois, en février 2003, quand l’entreprise PGA Holding a permis l’acquisition par l’État, d’un trésor national constitué par l’ensemble de neuf grands panneaux décoratifs de Jean-Baptiste Oudry, désormais exposé au Louvre. En 2016, il a bénéficié à 49 entreprises pour un montant moyen de 1,76 M€.
Une articulation mal assurée entre dépenses fiscales et politiques publiques
Enfin la Cour des comptes souligne l’inadéquation entre les objectifs définis pour ces dépenses et leur impact réel au service des politiques publiques. Elle prend notamment en exemple une enquête qu’elle a menée en 2017 sur les dépenses fiscales en faveur du logement social pour les exercices 2011 à 2015, exonération de l’impôt sur les sociétés pour les organismes de logement social, l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les immeubles à caractère social et le taux réduit de TVA dans le secteur du logement social. Ces quatre dépenses fiscales en faveur du logement social représentent une dépense fiscale totale évaluée à 3,7 Md€ en 2015. Pour la Cour des comptes, l’exonération de l’impôt sur les sociétés et de la taxe foncière sur les propriétés bâties apparaît mal ciblée. Elle est sans relation avec l’effort accompli en faveur du logement social. L’application du taux réduit de TVA mériterait, quant à elle, d’être simplifiée. Elle a recommandé en conséquence de supprimer l’exonération de l’impôt sur les sociétés en faveur du secteur du logement social, de remplacer le régime d’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties en faveur du secteur immobilier social par des subventions ciblées, et de simplifier les dispositions relatives au taux réduit de TVA en faveur du secteur du logement.