La dation en paiement s’ouvre à la bande dessinée
Le champ d’application de la dation en paiement des droits de succession, un dispositif original imaginé par André Malraux pour enrichir le patrimoine national, s’ouvre à de nouveaux médias, notamment la bande dessinée.
Pour la première fois la bande dessinée bénéficie du dispositif de dation en paiement avec l’entrée dans les collections nationales de l’œuvre de F’Murr, l’auteur du fameux Le génie des alpages. Le neuvième art peut désormais bénéficier de ce mécanisme fiscal original en matière de droits de succession : la dation en paiement.
Intégrer la bande dessinée aux collections patrimoniales publiques
Le 30 juillet dernier le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot-Narquin et le ministre délégué chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt, ont en effet annoncé l’entrée dans les collections nationales d’un ensemble de 238 planches originales, dessins et manuscrits de Richard Peyzaret, dit F’Murr. Les quelque 238 lots qui entrent dans les collections couvrent, quarante-cinq années de création, depuis la seconde planche du Génie des alpages, publiée dans Pilote le 25 janvier 1973 jusqu’aux études à l’encre et au lavis intitulées : « Péché mortel » en 2018, année de la mort de l’auteur. La quasi-totalité des œuvres publiées par F’Murr y est représentée. Cette innovation témoigne de l’intérêt croissant accordé à la bande dessinée. Elle met en application une des propositions du rapport Lungheretti (La Bande dessinée, nouvelle frontière artistique et culturelle, 54 propositions pour une politique nationale renouvelée, Pierre Lungheretti, 2019). Il préconisait en effet de favoriser l’entrée des fonds d’auteurs dans les collections patrimoniales publiques. Les œuvres acquises sont affectés à la Bibliothèque nationale de France et iront enrichir le fonds de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême et du Musée Tomi Ungerer – Centre international de l’illustration (musée de la Ville de Strasbourg).
Un dispositif original
Instaurée par la loi n° 68-1251 du 31 décembre 1968, tendant à favoriser la conservation du patrimoine artistique national, adoptée sous l’impulsion d’André Malraux, et entrée en application en 1970, la procédure de la dation permet le paiement à titre exceptionnel des droits de succession et de mutation à titre gratuit entre vifs, du droit de partage et de l’impôt sur la fortune immobilière, par la remise à l’État de biens culturels reconnus de haute valeur artistique ou historique. Cette procédure, instruite par la commission interministérielle d’agrément pour la conservation du patrimoine artistique national (Commission des dations), contribue depuis un demi-siècle de manière très significative à l’enrichissement des collections publiques. Pour les spécialistes du secteur, le dispositif imaginé par André Malraux offre un double avantage. Non seulement la dation en paiement limite le risque de dispersion d’une collection au moment de la disparition d’un artiste ou d’un collectionneur mais elle contribue à l’enrichissement des collections publiques. De nombreuses pièces d’exception sont entrées par l’intermédiaire de ce dispositif dans les collections nationales : L’Astronome de Vermeer, Paysage à Argenteuil de Caillebotte, L’Origine du monde de Gustave Courbet, le manuscrit original de Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss, ou encore le négatif de L’Âge d’or de Luis Buñuel. La diversité des objets entrés dans les collections est grande. Du point de vue de la chronologie, les pièces vont depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. La palette des types de documents est également large : mobilier, œuvres d’art, imprimés, estampes, photographies, partitions musicales, manuscrits, voire même des marionnettes. Il peut s’agir tout autant de documents préparatoires, plans, croquis, esquisses, correspondances, journaux que d’œuvres abouties.
Un mécanisme fiscal
Le principe de la dation est une possibilité exceptionnelle offerte à un contribuable de régler certaines de ses obligations fiscales par la remise d’œuvres d’art à l’État. La procédure est réservée à des œuvres d’une haute valeur artistique ou historique, détenues depuis au moins cinq ans par leur propriétaire. La dation a porté initialement sur les droits de succession, avant d’être étendue d’abord aux droits sur les mutations à titre gratuit entre vifs et au droit de partage en 1973, puis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), en 1982, puis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) dans le cadre de la création de l’IFI et de la suppression de l’ISF. Le recours à la dation est subordonné à un agrément délivré par le ministère chargé du Budget. La procédure est engagée par le contribuable, qui dépose une demande indiquant la nature et la valeur de chacun des biens qu’il propose en paiement à l’État. C’est l’offre de dation. Cette offre est instruite par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et transmise pour avis à la Commission des dations, qui est composée à parité de représentants des ministères des Finances et de la Culture et d’un président, nommé par le Premier ministre. La Commission des dations se prononce sur la valeur du bien, après avoir entendu les conservateurs et experts compétents. La valeur du bien correspond à sa valeur de marché mais également à l’intérêt qu’il présente pour les collections nationales (rareté, intérêt historique, etc.). Elle peut représenter la totalité ou une partie seulement des droits fiscaux dus par le contribuable.
Enrichir les collections publiques
La Commission des dations émet également un avis sur l’intérêt artistique et historique du bien offert. L’adéquation entre les propositions évaluées sur le plan scientifique par la Commission des dations et les besoins des institutions auxquels les biens pourraient être affectés constitue le principal enjeu de cette procédure. Pour les institutions, la dation constitue une procédure exceptionnelle et de nombreux dossiers d’offres de dation sont refusés. Au 31 décembre 2015, la Commission des dations a traité, depuis le début de son activité, 778 dossiers, soit 18 en moyenne par an, dont 57 % ont reçu un agrément et 43 % ont été refusés. L’instruction de nouveaux dossiers est menée en parallèle à la poursuite du traitement de demandes en attente d’une réponse du ministère chargé du Budget. La décision d’agrément peut être motivée par le caractère exceptionnel de l’objet qui commande son entrée au patrimoine national. Elle peut également être motivée par l’existence d’une lacune dans les collections que l’acquisition de cet objet viendrait combler.
Extinction de la dette fiscale
La décision d’agrément fixe la valeur libératoire des biens offerts en paiement des droits de mutation. L’acceptation de la demande du contribuable clôt la procédure et le bien devient propriété de l’État. L’acceptation, par le redevable, d’une valeur libératoire inférieure aux droits exigibles implique le versement d’un complément de droits. En revanche, une valeur libératoire supérieure aux droits exigibles ne génère pas de soulte à la charge de l’État. À défaut d’acceptation, par le contribuable, dans le délai prévu par la décision d’agrément celle-ci est considérée comme caduque. Le cas échéant, la facture fiscale doit être acquittée dans le délai d’un mois à compter de la date d’expiration du délai imparti au donateur pour donner son acceptation ou de la date de réception de la décision de refus d’agrément ou encore de l’expiration du délai d’un an calculé à partir de la date du récépissé de l’offre, lorsqu’aucune décision n’a été notifiée durant cette période d’un an. Aucune indemnité de retard n’est exigible lorsque les délais ainsi prescrits sont respectés. En revanche, si le contribuable ne donne pas son acceptation ou s’il retire son offre de dation avant la notification de la décision d’agrément, les droits fiscaux dus sont assortis de l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 du CGI.
« Plusieurs outils complémentaires pour enrichir les collections publiques »
La dation en paiement des œuvres d’art, une exception française ? Pour Jérôme Fromageau, président de la Société internationale pour la recherche sur le droit du patrimoine culturel et le droit de l’art (ISCHAL), le fait est que « le système français [des dations] est très performant, même si sur le plan institutionnel, les situations sont très différentes d’un pays à l’autre ». « Pour expliquer ce succès », poursuit-il, « il me semble, par ailleurs, nécessaire de souligner l’importance de la complémentarité entre les différents outils juridiques. Dation, donation, dépôt, trésor national, le lien qui est fait entre ces différents outils juridiques est très intéressant, il montre la plasticité des outils à la disposition de l’État pour enrichir ses collections et, par voie de conséquence, par le biais du dépôt, celles des musées des collectivités territoriales ». En dépit de son succès, la dation reste un dispositif mal connu, notamment en raison de ses implications fiscales. « Le secret fiscal s’impose toujours aujourd’hui et à supposer que cela soit possible, il faudrait à tout le moins établir un délai, une période de quinze, vingt ans avant d’indiquer l’origine de la collection. Mais il me semble en effet que ce serait une bonne chose de parvenir à ce résultat », observe Jérôme Fromageau, en ajoutant que la « communication » est l’un des principaux enjeux de demain pour « mieux faire comprendre au public l’intérêt de ces outils ».
Référence : AJU001z1