La fin des paradis fiscaux ?
Tandis que la Commission européenne prépare sa liste des paradis fiscaux, la liste noire des États non coopératifs dressée par l’OCDE se vide peu à peu. Celle-ci ne contient plus qu’un seul nom, celui de Trinité-et-Tobago.
À l’occasion du sommet du G20 qui s’est tenu à Hambourg, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales – un comité de 142 pays adossé à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – chargé de promouvoir la coopération pour endiguer la fraude et l’évasion fiscales internationales a passé en revue les engagements de normalisation et de non-coopération pris par les territoires et États actuellement dans le viseur de la communauté internationale. Dans les pays en développement comme dans les pays développés, la lutte contre la fraude fiscale constitue en effet un enjeu majeur pour les gouvernements, qui voient leur échapper des ressources qu’ils pourraient mobiliser en faveur du développement durable en investissant dans les infrastructures, la santé ou d’autres biens collectifs. « La mondialisation, qui a ouvert la voie à nombre d’opportunités et d’innovations, a également son revers : elle a démultiplié les moyens permettant aux particuliers de transférer à l’étranger des revenus et des actifs à l’insu des administrations fiscales », soulignent à cet égard les représentants de l’OCDE. Depuis sa création par l’OCDE en 2008, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales s’attache à promouvoir la transparence fiscale mondiale, mettre fin au secret bancaire et protéger les finances publiques en luttant contre la fraude fiscale. Il a notamment élaboré un ensemble de normes internationales relatives à la transparence fiscale, et assure en permanence l’examen et le suivi de la mise en œuvre et du respect de ces mesures par ses 142 membres. Cela fait partie des efforts internationaux en matière de transparence fiscale qui inclut le OECD/G20 BEPS Initiative. Depuis 2000 une liste de paradis fiscaux non coopératifs est régulièrement publiée et actualisée. Une liste des juridictions non coopératives devait ainsi être élaborée. Une quinzaine d’États non coopératifs, ont fait l’objet d’un nouvel examen pour déterminer leurs progrès éventuels. Ces notations provisoires ont mis en exergue les progrès importants accomplis par les juridictions pour mettre en application la norme d’échange de renseignements sur demande. Les juridictions examinées ont ainsi introduit plusieurs changements décisifs, notamment l’abandon du secret bancaire strict, la suppression des actions au porteur, l’amélioration de l’accès aux données comptables et la mise en place d’un contrôle plus rigoureux du respect des obligations en matière d’information. En parallèle, l’élargissement des réseaux d’échange d’informations a permis des progrès appréciables, avec notamment la signature de la convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale.
La liste noire de l’OCDE
Le concept de paradis fiscal ou de territoire à fiscalité privilégiée ne renvoie pas à une définition juridique précise et partagée. L’OCDE a opté pour quatre facteurs d’identification : absence d’imposition ou imposition insignifiante des revenus, absence d’un système effectif d’échange de renseignements avec les autres États, absence de transparence dans le fonctionnement des dispositions législatives, juridiques ou administratives comme le secret bancaire, et absence d’obligation d’exercer une activité substantielle dans le territoire considéré. En 2000, l’OCDE a publié une liste de 35 États ou territoires remplissant les critères de paradis fiscal. Entre 2000 et avril 2002, 31 juridictions ont officiellement pris l’engagement pour mettre en œuvre les principes de l’OCDE en matière de transparence et d’échange effectif de renseignements en matière fiscale. Les sept juridictions qui ne s’étaient pas engagées à ce moment-là (Andorre, la Principauté de Liechtenstein, le Liberia, la Principauté de Monaco, la République des Îles Marshall, la République de Nauru et la République de Vanuatu) à améliorer la transparence et à mettre en place des échanges effectifs de renseignements en matière fiscale ont été désignées comme des juridictions non coopératives par le Comité des affaires fiscales de l’OCDE. En 2009, l’OCDE a élaboré trois listes distinctes : une liste noire, regroupant les États qui ne se sont jamais engagés à respecter les standards de l’OCDE, une liste grise dénombrant les États qui se sont engagés à respecter ces standards, mais qui ne les ont pas appliqués substantiellement et une liste blanche regroupant les États appliquant substantiellement les standards internationaux. Nauru et Vanuatu ont pris leur engagement en 2003 et le Liberia et les Îles Marshall en 2007. À la suite des engagements pris par les trois dernières juridictions figurant sur la liste (Andorre, la Principauté de Liechtenstein et la Principauté de Monaco) de mettre en œuvre les principes de l’OCDE de transparence et d’échanges effectifs de renseignements en matière fiscale, et le calendrier qu’elles ont adopté pour la mise en œuvre de ces engagements, le Comité des affaires fiscales a retiré en 2009 ces juridictions de la liste des juridictions non coopératives. Depuis lors, la liste noire établie par l’OCDE ne comprenait plus aucun nom.
Des critères objectifs
L’affaire des Panama Papers a redonné une nouvelle actualité à la notion de liste noire. Et en juillet 2016, les pays du G20 ont demandé au Forum mondial de définir des critères objectifs permettant d’identifier les juridictions n’ayant pas accompli suffisamment de progrès vers un niveau satisfaisant de mise en application des normes internationales telles que la norme d’échange de renseignements sur demande et la norme d’échange automatique de renseignements. Une liste des juridictions non coopératives devait ainsi être élaborée en vue du sommet de Hambourg des 7 et 8 juillet 2017, sachant qu’une juridiction est exclue de cette liste dès lors elle satisfait à au moins deux des trois critères suivants :
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elle a reçu la notation « conforme pour l’essentiel » concernant la norme d’échange de renseignements sur demande ;
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elle s’est engagée à mettre en application la norme sur l’échange automatique de renseignements, et à réaliser les premiers échanges dans ce cadre au plus tard en 2018 ;
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elle est partie à la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale ou membre d’un réseau d’échange suffisamment important qui autorise l’échange de renseignements sur demande et l’échange automatique de renseignements.
De plus, un critère qui prévaut à ces conditions s’applique dans trois cas : si l’examen par les pairs conduit par le Forum mondial attribue à une juridiction la notation « non conforme » ; si une juridiction est bloquée à la phase 1 du processus d’examen ; ou si une juridiction, précédemment bloquée à la phase 1, n’a pas encore reçu de notation globale au titre du processus d’examen de phase 2.
Une procédure accélérée d’examen
Le Forum mondial a par ailleurs mis au point une procédure accélérée d’examen qui permet d’évaluer les efforts récemment déployés par certaines juridictions pour respecter les normes de transparence à l’approche du sommet du G20. Les conclusions issues de cette procédure accélérée témoignent des progrès effectifs accomplis par la plupart des juridictions quant au respect des normes internationales de transparence fiscale. Ainsi, quinze juridictions qui avaient obtenu une notation inférieure au niveau satisfaisant lors des examens par les pairs relatifs à la norme d’échange de renseignements sur demande ont fait l’objet d’un nouvel examen pour déterminer si leurs progrès récents leur permettraient de recevoir une meilleure notation. À l’issue de cet exercice, le Forum mondial a établi les notations provisoires suivantes :
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conforme pour l’essentiel : Andorre, Antigua-et-Barbuda, Costa Rica, Dominique, Émirats arabes unis, États Fédérés de Micronésie, Guatemala, Îles Samoa, Liban, Nauru, Panama, République dominicaine et Vanuatu ;
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partiellement conforme : Îles Marshall ;
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Trinité-et-Tobago, qui avait reçu la notation « non conforme », n’a pas été en mesure d’établir que les progrès accomplis justifiaient une révision à la hausse de cette notation.
Après application des critères objectifs, et en tenant compte des conclusions de la procédure accélérée, Trinité-et-Tobago a été identifiée comme la seule juridiction n’ayant pas suffisamment progressé à ce jour pour assurer une mise en œuvre satisfaisante des normes de transparence fiscale. Les échanges avec Trinité-et-Tobago suivent leur cours et de nouveaux progrès sont attendus.
Précisons que la procédure accélérée appliquée par le Forum mondial n’a pas vocation à remplacer un examen par les pairs en tant que tel. Un examen complet sera donc conduit et une évaluation par les pairs effectuée au regard de la version révisée de la norme internationale pour l’échange d’informations sur demande, qui impose désormais un accès aux renseignements relatifs à la propriété effective. Le premier cycle d’examens par les pairs concernant l’échange de renseignements sur demande s’est terminé avec la remise des conclusions issues des évaluations accélérées lors du sommet du G20 qui s’est tenu les 7 et 8 juillet derniers à Hambourg. Un deuxième cycle d’examens par les pairs est désormais lancé, dont les premières conclusions seront communiquées d’ici à la fin de l’année. Les juridictions qui ont fait l’objet de la procédure accélérée seront évaluées au début de ce deuxième cycle d’examen.
La liste de la Commission européenne
En juin 2015, la Commission européenne a publié sa première liste de paradis fiscaux établie grâce aux différentes listes noires dressées par les d’États membres de l’Union européenne, comme celle de la France (v. encadré infra « La liste française »). En 2015, cette liste comprenait 30 États et territoires assimilés à des paradis fiscaux. Cette liste, baptisée « liste Moscovici » s’inscrit dans le cadre d’un plan d’action visant à réformer en profondeur la fiscalité des entreprises au sein de l’Union. Cette première liste paneuropéenne des juridictions fiscales non coopératives de pays tiers qui couvre les cinq continents correspond à une synthèse partielle des listes établies par les États membres. Les 18 listes qui ont été utilisées recensent 85 juridictions non coopératives qui n’appliquent pas les standards de bonne gouvernance fiscale, notamment les critères de transparence et d’échange d’informations. Bruxelles a choisi de retenir les juridictions dont les noms apparaissaient sur au moins dix de ces listes. La cartographie dressée par la Commission européenne est amendée au moins une fois par an pour refléter des changements initiés dans les listes nationales des États membres. Cette liste a fait l’objet d’un certain nombre de critiques. En effet, certaines des listes compilées n’avaient pas été actualisées depuis plusieurs années. Des États ou territoires figurant sur la liste Moscovici, comme Guernesey, le Liechtenstein, les Bermudes, l’île Maurice ont protesté vigoureusement, rappelant leur engagement à pratiquer l’échange automatique de données fiscales à l’horizon 2017 ou 2018. « Il ne peut s’agir d’une véritable liste car cela minerait les efforts et le travail de transparence entrepris par de nombreuses juridictions », a de son côté estimé Pascal Saint-Amans, le directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.
À la suite du scandale des Panama Papers, les États membres dont décidé de franchir un pas supplémentaire en se dotant de critères communs pour définir ensemble une liste communautaire des États non coopératifs. Cette liste doit être publiée avant la fin de l’année 2017. Trois indicateurs ont été prévus : manque de transparence, présence de régimes fiscaux de faveur et absence ou taux très bas d’impôt sur les sociétés. Ce dernier critère ayant fait l’objet de vives critiques en interne, notamment de la part des Britanniques, il a été temporairement mis de côté le temps qu’un groupe d’experts évalue son impact. La Commission européenne a dressé une liste intermédiaire de 92 États ou territoires avec qui un dialogue doit être instauré avant de décider de les faire figurer ou non dans la liste noire européenne. Aucun État membre ne devrait figurer sur cette liste.