Le caractère irrévocable et discrétionnaire du trust écarte l’application de l’article 123 bis du CGI
Mettant en œuvre la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle les contribuables redressés sur le fondement de l’article 123 bis du CGI doivent toujours pouvoir démontrer que l’interposition d’une structure dans un régime à fiscalité privilégiée ne constitue pas un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française, la cour administrative d’appel de Paris a écarté l’application de cet article en présence de trois trusts irrévocables et discrétionnaires situés aux Bermudes.
La cour administrative d’appel de Paris vient de rendre un arrêt intéressant en matière de trust et d’application de l’article 123 bis du Code général des impôts (CGI). Elle écarte l’imposition consécutive à l’application du dispositif anti-évasion fiscale à l’égard d’un couple de contribuables détenant des droits dans trois trusts constitués dans les Bermudes, au motif que ces trusts sont irrévocables et discrétionnaires (CAA de Paris, 2e ch., 24 juin 2020, n° 19PA00458).
Ce faisant, elle aligne sa position sur la décision du Conseil constitutionnel dans la QPC rendue en 2017 qui a censuré le caractère irréfragable d’évasion fiscale de l’article 123 bis du CGI (Cons. const., 1er mars 2017, n° 2016-614 QPC ).
Trois trusts aux Bermudes
En 2004 et 2008, le couple F. a constitué trois trusts situés aux Bermudes, alors que M. F. n’était pas résident fiscal français, dans le cadre d’opérations de restructuration provoquées par un conflit avec ses partenaires économiques. Ils y ont transféré de façon irrévocable des actifs appartenant à leur famille.
Le couple ne détient aucune action, part ou droit de vote dans ces trusts. La gestion de ces trusts est discrétionnaire. Cela signifie que le trustee, une société sans lien de contrôle avec la famille F., est seul décisionnaire pour distribuer des bénéfices et la fixation du montant des distributions.
Suite à un contrôle fiscal, l’administration, considérant que le couple détient des droits financiers dans lesdits trusts, procède à un redressement d’impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus au titre des années 2010 et 2011. Par un jugement du 28 novembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande de décharge.
Dispositif anti-évasion fiscale
Créé par l’article 101 de la loi de finances pour 1999 (L. fin. 1999, n° 98-1266, 30 déc. 1998, JO : 31 déc. 1998), l’article 123 bis du Code général des impôts fait partie de l’arsenal répressif contre l’évasion fiscale internationale. Il consiste à imposer les personnes physiques domiciliées en France à raison des parts et actions qu’ils détiennent directement ou indirectement dans des structures situées dans des zones à fiscalité privilégiée, et dont le patrimoine est principalement constitué d’actifs financiers et monétaires. Pour être applicable, le texte prévoit un seuil de participation de 10 %. L’application du dispositif conduit à taxer les bénéfices ou revenus positifs de ces structures, à hauteur de la participation dans ces structures des contribuables redressés. Le dispositif a été conçu pour appréhender les revenus des trusts, fiducies et autres entités comparables, qui suscitent la méfiance de l’administration fiscale.
Le texte, dans sa version applicable au litige prévoit que « Lorsqu’une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une personne morale, un organisme, une fiducie ou une institution comparable, établi ou constitué hors de France et soumis à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu’elle détient directement ou indirectement lorsque l’actif ou les biens de la personne morale, de l’organisme, de la fiducie ou de l’institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. Pour l’application du premier alinéa, le caractère privilégié d’un régime fiscal est déterminé conformément aux dispositions de l’article 238 A par comparaison avec le régime fiscal applicable à une société ou collectivité mentionnée au 1 de l’article 206 ».
Pour la notion de régime fiscal privilégié, l’article 123 bis du Code général des impôts renvoie donc à la définition prévu l’article 238 A du même code : « Les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’État ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l’impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies ». Le seuil de la moitié a été rabaissé à 40 % par la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude (L. n° 2018-898, 23 oct. 2018, relative à la lutte contre la fraude fiscale, JO 24 oct. 2018).
Absence de montage artificiel
La cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement de première instance et déchargé le couple F., en droits et pénalités, des suppléments d’impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.
Le premier argument des contribuables n’a pas été entendu. Ils soutenaient que l’article 123 bis du CGI leur était inapplicable, faute pour eux de détenir des droits financiers dans lesdits trusts. Sur ce point, les juges d’appel ont jugé que ces dispositions, « interprétées à la lumière des travaux préparatoires de l’article 101 de la loi de finances pour 1999 dont elles sont issues, doivent être regardées comme incluant dans leur champ d’application les actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus dans les trusts au sens du droit anglo-saxon ».
C’est le deuxième argument des contribuables qui a emporté la conviction des juges. Le couple a démontré que la réalité économique du montage n’était pas artificiel. « Il résulte toutefois de l’instruction que les trusts (…) situés aux Bermudes, auxquels ont été transférés des actifs appartenant à M. F. et sa famille, ont un caractère irrévocable et discrétionnaire ». Les trusts avaient été constitués alors que M. F. n’était pas résident fiscal français, dans le cadre d’opérations de restructuration provoquées par un conflit avec ses partenaires économiques, et avaient pour but principal de protéger la fortune de sa famille compte tenu de l’âge de M. F., de sa situation matrimoniale et du jeune âge de ses enfants. « Dès lors, à supposer même que les requérants puissent être regardés comme détenant des droits dans ces structures, une telle détention ne saurait être regardée comme constitutive d’un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française ».
Rappelons que la possibilité pour les contribuables redressés sur le fondement de l’article 123 bis du CGI, d’apporter la preuve du caractère non artificiel de leur montage est récente. Elle est issue d’une décision du Conseil constitutionnel de 2017 (Cons. const., 1er mars 2017, n° 2016-614 QPC,) qui a censuré l’article 123 bis du CGI en ce qu’il réservait la possibilité pour le contribuable de prouver que l’interposition d’une entité juridique n’avait pas pour objet l’appréhension des bénéfices dans un État soumis à un régime privilégié, uniquement lorsque l’entité était établie ou constituée dans un État de la Communauté européenne. Dans tous les autres cas, la présomption était donc irréfragable.