Le fonds de pérennité, outil de détention et de transmission du capital économique
La loi Pacte a introduit dans le paysage juridique français un nouvel instrument juridique, inspiré du statut des fondations actionnaires qui a fait le succès de groupes industriels présents dans plusieurs pays d’Europe du nord, notamment au Danemark.
Pérenniser l’objet social d’une entreprise c’est la vocation du fonds de pérennité, créé par l’article 177 de la loi n° 2019-486 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi Pacte. Le fonds de pérennité a vocation à recueillir les actions d’une ou de plusieurs entreprises transmises de manière irrévocable et gratuite. « Avec la création du fonds de pérennité, la France se dote enfin d’un statut permettant de protéger de manière durable le capital de nos entreprises pour assurer leur croissance à long terme », a déclaré Bruno Le Maire, lors du vote de la loi Pacte. Pour Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, « dans la grande famille des fondations, le fonds de pérennité constitue un nouveau type de structure hybride, permettant d’allier objectifs économiques et finalités d’intérêt général ».
Un instrument réclamé depuis plusieurs années
Plusieurs pays permettent aux fondations d’avoir un objet commercial, si bien qu’elles y sont utilisées comme outil de détention et de protection d’entreprises : 54 % de la capitalisation boursière danoise est ainsi détenue par des fondations. De très grands groupes comme Carlsberg, Rolex ou encore Lego sont détenus par des fondations. On retrouve le même raisonnement aux États-Unis comme l’illustre le groupe pharmaceutique américain Lilly. En Allemagne, on trouve plusieurs centaines de fondations qui contrôlent des entreprises parmi lesquels l’équipementier Bosch, par exemple. Ce modèle économique permet au groupe d’être protégé des spéculateurs, à l’abri des querelles familiales et de pouvoir se consacrer à son action industrielle. Des travaux approfondis menés depuis plusieurs années au sein du ministère de l’Économie et des Finances, et notamment une mission de l’Inspection générale des finances en 2016, ont démontré l’intérêt de créer une telle structure hybride, qui permette de pérenniser des projets économiques et de soutenir des causes d’intérêt général. Le rapport de l’Inspection générale des finances sur le rôle économique des fondations publié en avril 2017 a souligné que les fondations actionnaires majoritaires constituent un outil de politique industrielle. En protégeant des entreprises contre des délocalisations ou des restructurations, et en encourageant l’investissement, elles permettent de lutter contre certaines faiblesses de notre économie. L’intérêt d’entrepreneurs pour ce modèle invite à en faciliter le développement, d’autant qu’un tel élargissement de l’offre juridique aura très probablement pour effet de stimuler la demande, concluent les rapporteurs. Sans modifier les contours de la notion « d’intérêt général », la détention de participations majoritaires dans des entreprises par des fondations peut être encouragée en précisant les statuts des fondations reconnues d’utilité publique (FRUP) et en amendant ceux des fondations d’entreprises et fonds de dotation, tout en révisant les règles relatives à la réserve héréditaire, proposent-ils encore. La structure financière des fondations peut être renforcée, notamment en élargissant leurs canaux de financement. Enfin, le cadre juridique des fondations peut être simplifié, et le contrôle de l’État peut être rendu plus efficace, concluent-ils.
Le semi échec des fondations actionnaires
Les fonds de pérennité sont destinés à prendre le relais des fondations actionnaires, nées en 2005 dans le cadre du vote de la loi n° 2005-882 du 22 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises dite loi Dutreil, qui a autorisé la détention de parts de sociétés commerciales par une fondation d’utilité publique. Ce nouvel instrument juridique est né à la faveur d’un amendement déposé pour permettre d’éviter la dislocation de petites entreprises lors des successions et de réconcilier utilité publique et choix entrepreneurial. Le cadre législatif de la fondation actionnaire a été réservé aux cessions et transmissions d’entreprises. Jusqu’alors, le ministère de l’Intérieur, comme d’ailleurs le Conseil d’Etat, estimait que le caractère d’intérêt général interdisait à une fondation de détenir tout ou partie du capital d’une société à but économique, même si ses produits étaient réinjectés dans des activités d’intérêt général. L’amendement parlementaire a été porté par le député du Tarn, Bernard Caraillon, qui appuyait le projet de Pierre Fabre, un industriel porteur d’un projet philanthropique, qui permettait au groupe de se maintenir dans la région et de préserver son développement économique. Ce dispositif législatif a permis à l’entrepreneur de réaliser son projet philanthropique et à la première fondation actionnaire, dédiée à l’amélioration de la qualité des médicaments et des soins dispensés dans les pays les moins avancés, de voir le jour. Dans les faits, très peu de groupes se sont saisis de l’opportunité offerte par la loi n° 2005-882 du 22 août 2005.
Constitution du fonds de pérennité
Le fonds de pérennité économique est constitué par l’apport gratuit et irrévocable des titres de capital ou de parts sociales d’une ou de plusieurs sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, réalisé par un ou plusieurs fondateurs afin que celui-ci les gère, exerce les droits qui y sont attachés et utilise ses ressources dans le but de contribuer à la pérennité économique de cette ou de ces sociétés et puisse réaliser ou financer des œuvres ou des missions d’intérêt général. Ses statuts doivent être établis par écrit. Ils déterminent notamment la dénomination, l’objet, le siège et les modalités de fonctionnement du fonds de pérennité économique ainsi que la composition, les conditions de nomination et de renouvellement du conseil d’administration et du comité de gestion. L’objet du fonds de pérennité comprend l’indication des principes et objectifs appliqués à la gestion des titres ou parts de la ou des sociétés dont les titres ont été apportées au fonds de pérennité économique, à l’exercice des droits qui y sont attachés et à l’utilisation des ressources du fonds de pérennité économique, ainsi que l’indication des actions envisagées dans ce cadre. Il comprend également, le cas échéant, l’indication des œuvres ou des missions d’intérêt général qu’il entend réaliser ou financer. Les statuts définissent les modalités selon lesquelles ils peuvent être modifiés. Toutefois, la modification de l’objet ne peut être décidée qu’après deux délibérations du conseil d’administration, réunissant au moins les deux tiers des membres. Pour le calcul du quorum, ne sont pas pris en compte les membres représentés. Ces délibérations doivent être prises à deux mois au moins et six mois au plus d’intervalle et à la majorité des deux tiers des membres en exercice présents ou représentés.
Personnalité morale
Le fonds de pérennité économique est déclaré à la préfecture du département dans le ressort duquel il a son siège social. Cette déclaration est assortie du dépôt de ses statuts, auxquels est annexée l’indication des titres ou parts rendus inaliénables. Le fonds de pérennité économique jouit de la personnalité morale à compter de la date de publication au Journal officiel de la déclaration faite en préfecture. Les modifications des statuts du fonds de pérennité économique et de son annexe sont déclarées et rendues publiques selon les mêmes modalités ; elles ne sont opposables aux tiers qu’à compter de leur publication. Pour l’accomplissement des formalités de constitution du fonds de pérennité économique, les personnes chargées de cette mission ont la saisine sur les titres, meubles et immeubles légués. Ils disposent à leur égard d’un pouvoir d’administration, à moins que le testateur ne leur ait conféré des pouvoirs plus étendus.
Ressources
La dotation du fonds de pérennité économique est composée des titres ou parts apportés par le ou les fondateurs lors de sa constitution, ainsi que des biens et droits de toute nature qui peuvent lui être apportés à titre gratuit et irrévocable. L’article 910 du Code civil n’est pas applicable à ces libéralités. Les titres de capital ou parts sociales de la ou des sociétés apportés au fonds de pérennité économique sont inaliénables. Toutefois, lorsque le fonds de pérennité économique contrôle, au sens de l’article L. 233‑3 du Code de commerce, par l’effet de la libéralité ou d’une acquisition ou antérieurement, l’une ou plusieurs de ces sociétés, l’apporteur ou le testateur lors de la libéralité, ou le conseil d’administration lors d’une acquisition, peut décider que cette inaliénabilité ne frappe pas tout ou partie des titres ou parts dans la limite de la quotité du capital social nécessaire à l’exercice de ce contrôle. Le fonds de pérennité économique peut être judiciairement autorisé à disposer des titres ou parts frappés d’inaliénabilité s’il advient que la pérennité économique de la ou des sociétés l’exige. Aucun fonds public, de quelque nature qu’il soit, ne peut être versé à un fonds de pérennité économique. Les ressources du fonds de pérennité économique sont constituées des revenus et produits de sa dotation, des produits des activités autorisées par les statuts et des produits des rétributions pour service rendu. Le fonds de pérennité économique dispose librement de ses ressources dans la limite de son objet. Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la dotation en capital peut être consommée. Il est précisé qu’un legs peut être fait au profit d’un fonds de pérennité économique qui n’existe pas au jour de l’ouverture de la succession à condition que le testateur ait désigné une ou plusieurs personnes chargées de le constituer et qu’il acquière la personnalité morale dans l’année suivant l’ouverture de la succession. Dans ce cas, la personnalité morale du fonds de pérennité économique rétroagit au jour de l’ouverture de la succession. À défaut, le legs est nul.
Administration et gestion du fonds
Le fonds de pérennité économique est administré par un conseil d’administration qui comprend au moins trois membres nommés, la première fois, par le ou les fondateurs ou, le cas échéant, les personnes désignées par le testateur pour le constituer. Le conseil d’administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom du fonds de pérennité économique, dans la limite de son objet. Les clauses statutaires limitant les pouvoirs du conseil d’administration sont inopposables aux tiers. Dans les rapports avec les tiers, le conseil d’administration engage le fonds de pérennité économique par les actes entrant dans son objet. Les actes réalisés en dehors de cet objet sont nuls, sans que cette nullité ne soit opposable aux tiers de bonne foi. Les statuts du fonds de pérennité économique prévoient la création, auprès du conseil d’administration, d’un comité de gestion, composé d’au moins un membre du conseil d’administration et de deux membres non membres de ce conseil. Ce comité est chargé du suivi permanent de la ou des sociétés dont les titres ont été apportés au fonds et formule des recommandations au conseil d’administration portant sur la gestion financière de la dotation, l’exercice des droits attachés aux titres ou parts détenus ainsi que sur les actions, et les besoins financiers associés, permettant de contribuer à la pérennité économique de ces sociétés. Ce comité peut également proposer des études et des expertises. Le fonds de pérennité économique établit chaque année des comptes qui comprennent au moins un bilan et un compte de résultat. Ces comptes sont publiés dans un délai de six mois suivant la clôture de l’exercice. Le fonds de pérennité économique nomme au moins un commissaire aux comptes, dès lors que le montant total de ses ressources dépasse 10 000 euros à la clôture du dernier exercice. Lorsque le commissaire aux comptes relève, à l’occasion de l’exercice de sa mission, des faits de nature à compromettre la continuité de l’activité du fonds, il informe le conseil d’administration et recueille ses explications. Le conseil d’administration est tenu de lui répondre dans un délai fixé par décret. À défaut de réponse ou si les mesures prises lui apparaissent insuffisantes, il établit un rapport spécial qu’il remet au conseil d’administration et dont la copie est communiquée au comité de gestion et à l’autorité administrative, et invite le conseil à délibérer sur les faits relevés. L’autorité administrative s’assure de la régularité du fonctionnement du fonds de pérennité économique. À cette fin, elle peut se faire communiquer tous documents et procéder à toutes investigations utiles. Le fonds de pérennité économique adresse chaque année à l’autorité administrative un rapport d’activité auquel sont joints le rapport du commissaire aux comptes et les comptes annuels.
Dissolution du fonds
Le fonds de pérennité économique peut être dissout dans les conditions définies par ses statuts. Il peut également être dissout judiciairement. Si l’autorité administrative constate des dysfonctionnements graves affectant la réalisation de l’objet du fonds de pérennité économique, elle peut, après mise en demeure non suivie d’effet, décider, par un acte motivé qui fait l’objet d’une publication au Journal officiel, de saisir l’autorité judiciaire aux fins de sa dissolution. La décision de dissolution fait l’objet d’une publication au Journal officiel. La dissolution du fonds entraîne sa liquidation dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, à l’initiative du liquidateur désigné par l’autorité judiciaire. À l’issue des opérations de liquidation, l’actif net du fonds est transféré à un bénéficiaire désigné par les statuts ou à un autre fonds de pérennité économique, une fondation reconnue d’utilité publique ou un fonds de dotation.
Articulation avec le fonds de dotation
Aux fins de réaliser ou de financer tout ou partie des œuvres ou des missions d’intérêt général du fonds de pérennité économique, le ou les fondateurs, lors de la création, ou le conseil d’administration, au cours de l’activité du fonds de pérennité économique, peuvent créer un fonds de dotation adossé au fonds de pérennité économique. Outil innovant de financement du mécénat, créé par l’article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, le fonds de dotation combine les atouts de l’association loi de 1901 et de la fondation, sans leurs inconvénients. Doté de la personnalité juridique, le fonds de dotation est constitué d’une allocation irrévocable de biens pour la réalisation d’une mission ou d’une œuvre d’intérêt général. Il collecte des fonds d’origine privé, qu’il peut soit constituer en dotation dont il utilise les fruits, soit consommer pour accomplir sa mission. Il peut mener lui-même cette mission, ou financer un autre organisme d’intérêt général pour son accomplissement. Le fonds de dotation bénéficie du régime fiscal du mécénat. Depuis sa création, le succès des fonds de dotation ne s’est pas démenti. Ces dernières années, il s’est créé en moyenne autant de fonds de dotation par mois qu’il s’est créé de fondations par an. Et la barre des 2 000 structures a été dépassée en 2015. Aujourd’hui plus d’une fondation sur deux est un fonds de dotation. Le fonds de dotation adossé à un fonds de pérennité économique est soumis aux dispositions de l’article 140 de la loi n° 2008‑776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie sous réserve de plusieurs dérogations. Le fondateur du fonds de dotation n’est pas tenu d’apporter de dotation initiale. Il peut consommer sa dotation en capital, sauf dispositions contraires des statuts. Les statuts du fonds de dotation prévoient la présence, au sein de son conseil d’administration, d’au moins un membre du conseil d’administration du fonds de pérennisation économique. L’objet statutaire du fonds de dotation ne peut être modifié par son conseil d’administration qu’avec l’approbation d’un représentant du fonds de pérennisation économique qui y siège. Le rapport annuel est également adressé au fonds de pérennité économique et contient des recommandations portant sur les besoins financiers permettant de satisfaire la réalisation de l’objet statutaire du fonds de dotation.