Le gouvernement recule sur l’application de la nouvelle convention fiscale entre la France et le Luxembourg

Publié le 10/12/2021
Fiscalité
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La nouvelle méthode d’élimination de la double imposition des revenus perçus par les résidents français qui travaillent au Luxembourg s’avère très largement défavorable aux frontaliers. Après un report d’un an de la nouvelle convention fiscale, le gouvernement vient d’annoncer la possibilité pour les contribuables concernés de solliciter, pour l’imposition de leurs revenus 2020 et 2021, l’application des stipulations de l’ancienne convention fiscale.

Trois ans après sa ratification, le nouveau cadre conventionnel encadrant les relations fiscales entre la France et le Luxembourg a du mal à s’imposer. La France vient elle-même d’annoncer une exception à son application pour une certaine catégorie de contribuables. En cause : la nouvelle méthode d’élimination de la double imposition.

La nouvelle convention de 2018

Négociée en 2016 et 2017, la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du grand-duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôt sur le revenu et la fortune a été signée à Paris le 20 mars 2018, approuvée par la loi du n° 2019-130 du 25 février 2019 (L. n° 2019-130, 25 février 2019, JORF n°0048 du 26 février 2019). Elle est entrée en vigueur le 19 août 2019, publiée par le décret n° 2019-1274 du 2 décembre 2019 (JO n°0281 du 4 décembre 2019). Elle remplace celle signée à Paris le 1er avril 1958 et modifiée par les quatre avenants signés respectivement les 8 septembre 1970, 24 novembre 2006, 3 juin 2009 et 5 septembre 2014, intégrant des standards de lutte contre la fraude fiscale les plus élevés que ceux mis en place par l’ancienne convention.

En vertu de son article 30, la convention du 20 mars 2018 fut appliquée pour la première fois du côté français :

  • s’agissant des impôts sur le revenu perçus par voie de retenue à la source, aux sommes imposables à compter du 1er janvier 2020 ;

  • s’agissant des impôts sur le revenu qui ne sont pas perçus par voie de retenue à la source, aux revenus afférents à l’année 2020 ou à tout exercice comptable commençant à compter du 1er janvier 2020 ;

  • s’agissant des autres impôts, aux impositions dont le fait générateur intervient à compter du 1er janvier 2020.

Imputation versus exemption

Le point de blocage concerne le remplacement de l’exemption comme méthode d’élimination de la double imposition par celle de l’imputation. Pour les résidents de France percevant des revenus de source luxembourgeoise, cette modification concerne les revenus d’emploi, les rémunérations (traitements et pensions) de source publique, les pensions de sécurité sociale et les revenus fonciers de source luxembourgeoise.

Rappelons qu’en vertu de l’ancien traité, la double imposition était évitée par la méthode de l’exemption qui consiste dans une répartition entre la France et le Luxembourg du droit d’imposer les revenus. Concrètement, les revenus d’emploi des salariés frontaliers étaient imposés dans l’État où l’activité est exercée, c’est-à-dire au Luxembourg. Corrélativement, des revenus étaient exemptés d’impôt dans l’État de résidence des salariés frontaliers, c’est-à-dire en France. Toutefois, le montant des revenus exemptés était pris en compte en France pour respecter la progressivité de l’impôt sur le revenu. Ces montants étaient comptés pour calculer un taux effectif d’imposition applicable aux autres revenus imposables en France (revenus d’activité exercée en France, loyers issus d’immeubles situés en France, etc.).

Cette méthode qui était susceptible de conduire à des situations de double exonération ne fait plus partie de la pratique conventionnelle française.

Conformément aux standards de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la convention de 2018 a remplacé ce mécanisme de l’exemption par celui de l’imputation en vertu duquel les salaires perçus par des frontaliers résidents de France de source luxembourgeoise sont imposés dans les deux pays. Pour éviter une double imposition forte, le résident français bénéfice d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt payé au Luxembourg imputé sur l’impôt dû en France. Ce crédit d’impôt ne peut pas dépasser le montant de l’impôt français correspondant à ce revenu.

Cette méthode évite le risque de double exonération et celui que les mêmes revenus soient imposés deux fois. Elle est prévue dans un grand nombre des traités fiscaux passés par la France, notamment avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et l’Espagne.

Hausse de la pression fiscale

L’entrée en vigueur de la nouvelle convention a fait subir à de très nombreux frontaliers (ils sont 106 000 Français) une nette augmentation du montant de leur impôt en France.

En effet, auparavant, le salaire luxembourgeois pris en compte était le salaire brut, diminué des cotisations sociales et de l’impôt à la source. Désormais, c’est uniquement le salaire brut diminué des cotisations sociales, ce qui fait augmenter mécaniquement le revenu fiscal de référence du couple, lequel est soumis au barème progressif. Les couples soumis à une imposition commune – les contribuables mariés ou pacsés dont un conjoint travaille au Luxembourg et l’autre en France – se trouvent pénalisés.

Alertés par ces effets attendus, les ministres des Finances français et luxembourgeois – Bruno Le Maire et Pierre Gramegna – ont signé un avenant amendant la nouvelle convention le 10 octobre 2019, ayant pour objet de repousser son entrée en vigueur pour les revenus provenant du Luxembourg et perçus par des personnes résidentes de France. Autrement dit, il revient au système antérieur à celui mis en place par la convention fiscale du 20 mars 2018, en maintenant le principe selon lequel les revenus d’activités sont imposés dans l’État où se déroule l’activité.

Selon l’étude d’impact réalisée par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en vue de la ratification de l’avenant, en raison notamment d’une réforme fiscale mise en œuvre au Luxembourg à compter de 2017 et ayant conduit à une diminution significative de l’impôt sur les bas salaires dans cet État, « cette modification était susceptible de conduire, par rapport à la convention précédemment en vigueur, à un surplus d’imposition en France pour certains travailleurs frontaliers lorsque l’impôt luxembourgeois est moins important que l’impôt français ».

En pratique, « si l’impôt calculé en France est supérieur à celui acquitté au Luxembourg sur leurs salaires, la France peut alors prélever un reliquat d’impôt correspondant à la différence entre l’impôt acquitté au Luxembourg et l’impôt dû en France. Ainsi avec la méthode d’élimination par crédit d’impôt égal à l’impôt étranger, certains frontaliers auraient pu devoir payer de l’impôt en France sur leur salaire luxembourgeois en plus de l’impôt déjà acquitté au Luxembourg. En effet, compte tenu du différentiel de fiscalité pouvant exister entre la France et le Luxembourg sur les bas salaires, le montant de l’impôt à payer en France sur les revenus de certains frontaliers aurait pu excéder celui dû au Luxembourg. Les principales personnes concernées auraient été les contribuables ne bénéficiant pas du quotient familial, ou des réductions et déductions d’impôts, en particulier les célibataires et les couples sans enfants disposant d’une rémunération nette annuelle par personne comprise entre 18 000 euros et 36 000 euros, alors qu’ils sont les principaux bénéficiaires de la réforme fiscale introduite au Luxembourg en 2017 ».

Deux ans plus tard, les autorités reconduisent la mesure de dérogation, de façon différente, la dérogation n’étant plus de portée générale et automatique mais à la demande des contribuables.

Une exception à la demande

Ce 1er octobre, le gouvernement a en effet annoncé que « les résidents de France percevant certains revenus de source luxembourgeoise pourront exceptionnellement solliciter, pour l’imposition de leurs revenus 2020 et 2021, l’application des stipulations de l’ancienne convention fiscale relative à l’élimination de la double imposition ».

Après avoir rappelé que «  le principe de l’imposition de ces revenus au Luxembourg, au taux prévu par la législation luxembourgeoise, demeure inchangé », Bercy a bien conscience que « le passage d’une méthode à l’autre peut avoir une incidence sur le taux d’imposition appliqué aux autres revenus perçus en France ».

Et d’en expliquer les causes : « la méthode utilisée dans l’ancienne convention limitait en effet la progressivité de l’impôt appliqué aux revenus imposables en France : sur ce point, la nouvelle convention assure que les revenus de source française des foyers qui perçoivent par ailleurs des revenus de source luxembourgeoise soient imposés au même taux que ceux des foyers qui, à revenus équivalents, ne disposent que de revenus de source française. L’application de la nouvelle convention peut, dès lors, entraîner des augmentations d’impôt par rapport à la situation antérieure ».

Dès lors, les foyers concernés pourront exceptionnellement demander, pour ce qui concerne l’élimination de la double imposition, l’application des stipulations de l’ancienne convention pour les revenus visés perçus en 2020 et 2021. Les modalités de recalcul de l’impôt sur les revenus 2020 pour les foyers percevant à la fois des revenus de source française et des revenus de source luxembourgeoise concernés par ce changement de méthode seront précisées dans les prochains jours par l’administration fiscale qui indiquera également quelles seront les démarches à entreprendre. Enfin, une nouvelle étude d’impact du changement de méthode d’élimination de la double imposition prévue par la convention fiscale sera réalisée et les résultats présentés au Parlement. Affaire à suivre.

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