Le registre public des trusts et sa saga législative

Publié le 17/02/2017

Le décret relatif au registre public des trusts en date du 10 mai 2016 instaurant l’enregistrement de tous les trusts entretenant une certaine proximité avec la France dans un nouveau registre a modifié l’article 1649 AB du Code général des impôts. L’alinéa 2 de ce texte a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité. À la suite de la décision du Conseil constitutionnel, ledit article a été modifié, par une ordonnance du 1er décembre 2016, sans prendre en considération toutes les critiques doctrinales.

Le décret n° 2016-657 du 10 mai 2016 a institué le registre public des trusts et créé, au sein de l’article 1649 AB du Code général des impôts, ledit registre1. Cet article énonce les champs d’application matériel et spatial de mise en œuvre du registre public des trusts, liste les éléments qui doivent y être mentionnés et enfin entrevoit ses modalités de contrôle et de consultation. Nonobstant la présence d’alinéas relatifs à l’accès du registre public des trusts par des tiers à l’institution anglo-américaine, il faut regretter une absence totale de précision. En effet, le deuxième aliéna de l’article 1649 AB du Code général des impôts, dans sa rédaction de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, dispose que ce registre soit placé sous la responsabilité du ministre chargé de l’Économie et des Finances et que les modalités de consultation soient précisées par décret en Conseil d’État.

Une telle souplesse et un tel manque de prévisibilité juridique dans les modalités d’accessibilité aux données relatives à la vie privée des parties aux trusts étaient donc à déplorer. C’est précisément dans de telles circonstances que, le 25 juillet 2016, le Conseil d’État, dans sa décision n° 400913 du 22 juillet 2016, a saisi le Conseil constitutionnel dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution. La question prioritaire de constitutionnalité avait pour objet de déterminer si le deuxième alinéa de l’article 1649 AB du Code général des impôts était conforme aux droits et libertés que la Constitution française garantit. À ce titre, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision de QPC n° 2016-591 le 21 octobre 2016 (I) et le Gouvernement y a réagi dans l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 en prenant de nouvelles dispositions (II).

I – Le registre public des trusts face aux droits et libertés constitutionnelles

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité le 21 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 1649 AB méconnaissent le droit au respect de la vie privée. En outre, cette atteinte est manifeste et disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. En effet, quand bien même cette législation a été élaborée et pensée dans un objectif de lutte contre la fraude, l’évasion fiscales et le blanchiment des capitaux – objectifs de valeur constitutionnelle –, il est impératif de ne pas porter atteinte de manière disproportionnée aux droits et libertés garantis par la Constitution. Tel est le cas du droit au respect de la vie privée.

Selon le Conseil constitutionnel, malgré le placement de ce registre sous la responsabilité du ministre chargé de l’Économie et des Finances, les modalités de sa consultation ne sont pas précisées. Ainsi, le public disposait, sous l’empire de l’article 1649 AB du Code général des impôts dans sa rédaction du décret du 10 mai 2016, d’un accès entièrement libre et non encadré à des données confidentielles relatives à la constitution d’un trust. Il fallait donc regretter que le contenu du registre – les noms du constituant, des bénéficiaires et de l’administrateur d’un trust soit accessible à tous. Tout individu pouvait donc obtenir des informations sur la manière dont une autre personne disposait de son patrimoine.

En conclusion, le deuxième alinéa de l’article 1649 AB a été déclaré contraire à la Constitution et abrogé aux motifs qu’il portait atteinte au droit au respect de la vie privée. En outre, le législateur, en omettant de préciser la qualité et les motifs justifiant la consultation dudit registre, n’a pas restreint le cercle des personnes ayant accès aux données personnelles contenues dans ce registre. En d’autres termes, le registre public des trusts ne méconnait aucun droit et liberté garantis par la Constitution. Ce sont uniquement les modalités de sa consultation qui sont manifestement disproportionnées au regard de l’objectif de valeur constitutionnel poursuivi – lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

II – Les nouvelles modalités de consultation du registre public des trusts

À la suite de cette abrogation, l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 a modifié le contenu de l’article 1649 AB du Code général des impôts2. Ce texte relevant de la procédure législative déléguée a pour objectif de renforcer le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Aux fins de prise en considération des remarques du Conseil constitutionnel, l’article dispose désormais en partie que « ces informations sont conservées dans un registre placé sous la responsabilité des ministres chargés de l’Économie et du Budget.

Ce registre est accessible sans restriction aux autorités compétentes suivantes, dans le cadre de leur mission : 1° La cellule de renseignement financier nationale mentionnée à l’article L. 521-23 du Code monétaire et financier ; 2° Les autorités judiciaires ; 3° Les agents de l’administration des douanes agissant sur le fondement des prérogatives conférées par le Code des douanes ; 4° Les agents habilités de l’administration des finances publiques chargés du contrôle et du recouvrement en matière fiscale ; 5° Les autorités de contrôle mentionnées à l’article L. 561-36 du Code monétaire et financier ;

Ce registre est également accessible aux personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme mentionnées à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier dans le cadre d’une au moins de leurs mesures de vigilance mentionnées aux articles L. 561-4-1 à L. 561-14-2 du Code monétaire et financier ».

Force est de constater que ce nouvel article, en vigueur depuis le 3 décembre 2016, sera applicable aux trusts ayant un « point de contact » avec l’ordre juridique français et qu’il faut saluer le quatrième alinéa du texte qui encadre précisément les personnes ayant accès au contenu du registre public des trusts. Désormais, le Gouvernement a précisé, d’une part, les qualités et, d’autre part, les motifs justifiant la consultation dudit registre. Son accessibilité ne porte donc plus atteinte de manière disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Cependant, les critiques préalablement énoncées en lien avec l’efficacité du registre et la charge de l’obligation déclarative sont toujours d’actualité3.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « L’administrateur d’un trust défini à l’article 792-0 bis dont le constituant ou l’un au moins des bénéficiaires a son domicile fiscal en France ou qui comprend un bien ou un droit qui y est situé est tenu d’en déclarer la constitution, le nom du constituant et des bénéficiaires, la modification ou l’extinction, ainsi que le contenu de ses termes.
  • 2.
    Il est institué un registre public des trusts. Il recense nécessairement les trusts déclarés, le nom de l’administrateur, le nom du constituant, le nom des bénéficiaires et la date de constitution du trust.
  • 3.
    Ce registre est placé sous la responsabilité du ministre chargé de l’Économie et des Finances.
  • 4.
    Les modalités de consultation du registre sont précisées par décret en Conseil d’État.
  • 5.
    L’administrateur d’un trust défini à l’article 792-0 bis qui a son domicile fiscal en France est tenu d’en déclarer la constitution, la modification ou l’extinction ainsi que le contenu de ses termes.
  • 6.
    L’administrateur d’un trust déclare également la valeur vénale au 1er janvier de l’année des biens, droits et produits mentionnés aux 1° et 2° du III de l’article 990 J.
  • 7.
    Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret ».
  • 8.
    Article 1649 AB dans sa nouvelle rédaction : « L’administrateur d’un trust défini à l’article 792-0 bis dont le constituant ou l’un au moins des bénéficiaires a son domicile fiscal en France ou qui comprend un bien ou un droit qui y est situé est tenu d’en déclarer la constitution, le nom du constituant et des bénéficiaires, la modification ou l’extinction, ainsi que le contenu de ses termes.
  • 9.
    L’administrateur d’un trust défini à l’article 792-0 bis qui a son domicile fiscal en France est tenu d’en déclarer la constitution, la modification ou l’extinction ainsi que le contenu de ses termes.
  • 10.
    L’administrateur d’un trust déclare également la valeur vénale au 1er janvier de l’année des biens, droits et produits mentionnés aux 1° et 2° du III de l’article 990 J.
  • 11.
    Ces informations sont conservées dans un registre placé sous la responsabilité des ministres chargés de l’Économie et du Budget.
  • 12.
    Ce registre est accessible sans restriction aux autorités compétentes suivantes, dans le cadre de leur mission :
  • 13.
    1° La cellule de renseignement financier nationale mentionnée à l’article L. 521-23 du Code monétaire et financier ;
  • 14.
    2° Les autorités judiciaires ;
  • 15.
    3° Les agents de l’administration des douanes agissant sur le fondement des prérogatives conférées par le Code des douanes ;
  • 16.
    4° Les agents habilités de l’administration des finances publiques chargés du contrôle et du recouvrement en matière fiscale ;
  • 17.
    5° Les autorités de contrôle mentionnées à l’article L. 561-36 du Code monétaire et financier ;
  • 18.
    Ce registre est également accessible aux personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme mentionnées à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier dans le cadre d’une au moins de leurs mesures de vigilance mentionnées aux articles L. 561-4-1 à L. 561-14-2 du Code monétaire et financier.
  • 19.
    Les autorités compétentes mentionnées au cinquième alinéa du présent article reçoivent en temps utile à leur demande ou à l’initiative des autorités compétentes des États membres de l’Union européenne ou communiquent en temps utile, à leur demande ou à l’initiative de ces autorités, les informations mentionnées au premier alinéa nécessaires à l’accomplissement de leur mission.
  • 20.
    Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État ».
  • 21.
    Bendelac E., « Analyse du décret relatif au registre public des trusts », LPA 11 juill. 2016, n° 118g0, p. 7 et s.
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