Le Sénat propose une réforme fiscale de l’économie collaborative
Fin mars, les sénateurs ont déposé une proposition de loi visant à adapter les règles sociales et fiscales aux revenus issus de l’économie collaborative et réalisés sur les plates-formes numériques sécurisées.
Le 29 mars dernier, plusieurs sénateurs ont déposé une proposition de loi sur la fiscalité de l’économie collaborative1. Envoyée à la commission des finances, cette proposition vient réformer la fiscalité applicable aux opérations réalisées via des plates-formes sécurisées.
Pour les auteurs de la proposition de loi, « il est urgent de donner à l’économie collaborative un cadre adapté ». L’objectif de l’initiative est de « laisser vivre » les échanges entre particuliers. « Il faut laisser le secteur grandir en assurant une stabilité juridique, il faut encourager cet écosystème prometteur ». Pour ce faire, les petits revenus occasionnels et accessoires doivent être exonérés sur un critère simple et unique. Il s’agit également de garantir l’équité entre professionnels. À cette fin, la déclaration et la juste imposition des revenus significatifs doivent être assurées sans distorsion de concurrence ni perte de recettes fiscales et sociales.
Les mesures proposées, qui ne seront pas examinées avant la prochaine législature entreraient en vigueur au 1er janvier 2018.
Le droit actuel inadapté
Actuellement, la loi fiscale n’est pas adaptée à l’économie collaborative. Elle prévoit une imposition au premier euro de tous les revenus. Contrairement aux idées reçues, il n’existe pas de zone grise mais seulement des exonérations spécifiques pour les ventes d’occasion et le partage des frais.
En matière sociale, la frontière est floue entre le simple particulier et le professionnel. Or celui-ci, qu’il soit vendeur de services ou de marchandises doit s’affilier au régime social des travailleurs indépendants (RSI). La distinction ne repose pas sur un critère simple et objectif.
Selon les sénateurs, « ces règles ont été conçues pour un monde physique, celui des vide-greniers et des petits services entre voisins, où elles étaient acceptées… parce qu’elles n’étaient pas appliquées ». Elles s’avèrent inadaptées au monde numérique, « où les échanges de pair à pair sont devenus massifs, standardisés, et dans de nombreux cas, traçables au premier euro ».
Un abattement de 3 000 € sur les revenus
Dans son article 1er, la proposition de loi instaure un régime fiscal bénéficiant aux redevables de l’impôt sur le revenu au titre de leurs revenus non-salariés perçus par l’intermédiaire de plates-formes en ligne, et sous réserve qu’ils soient déclarés automatiquement par celles-ci, conformément à l’article 1649 quater A bis du Code général des impôts (CGI). Cette obligation a été instituée par la loi de finances rectificative pour 20162.
Selon l’activité, les revenus relèveraient de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), de celles des bénéfices non commerciaux (BNC), ou encore des revenus fonciers.
En principe, les redevables réalisant des opérations dans le cadre de l’économie collaborative relèvent du « micro-fiscal ». Ce régime prévoit un abattement de :
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71 % pour les ventes de biens en micro-BIC ;
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50 % pour les prestations de services en micro-BIC pour les locations meublées, locations de biens meubles, activités commerciales et artisanales ;
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34 % pour les prestations de services en micro-BNC (activités libérales, artistiques et intellectuelles) ;
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30 % pour les revenus du régime micro-foncier, précisément les locations non meublées.
La proposition de loi prévoit que ces abattements ne peuvent être inférieurs à 3 000 €.
Pour les redevables soumis au régime « réel », la proposition de loi prévoit également que les frais et charges déduits du revenu brut ne peuvent être inférieurs à 3 000 €. Par ailleurs, les sénateurs proposent de mettre fin à une exception ancienne qui exclut du régime micro-BIC en vertu de l’article 50-0 du CGI les locations de biens meubles entre particuliers, par exemple, la location d’une voiture sur une plate-forme en ligne.
« Cette approche pragmatique permet d’exonérer d’impôts et de cotisations sociales les sommes les plus faibles perçues par l’intermédiaire des plates-formes, ce qui permettra de favoriser ses modèles économiques et de dynamiser ses jeunes entreprises, se félicitent les fondateurs du blog Droit du partage, les avocats Arthur Millerand et Michel Leclerc. La déclaration automatique des revenus se situe dans une perspective de transparence et de lutte contre la fraude, ce qui peut justifier des mesures fiscales dérogatoires ».
Distinguer les professionnels des particuliers
La proposition du Sénat vise à instituer, pour la première fois, un critère simple et unifié permettant de distinguer les particuliers des professionnels sur les plates-formes en ligne à des fins d’affiliation à la sécurité sociale.
L’article L. 613-2 du Code de la sécurité sociale comporterait une présomption du caractère non-professionnel de l’activité exercée sur une plate-forme en ligne dès lors que les revenus bruts qu’elle produit n’excèdent pas 3 000 € par an. Ce seuil social serait donc en cohérence avec le seuil fiscal.
En dessous de ce seuil, l’utilisateur serait considéré comme un particulier, et ne serait donc pas tenu de s’affilier à un régime de sécurité sociale et de payer des cotisations sociales au titre de ses activités occasionnelles et accessoires sur des plates-formes en ligne. L’utilisateur pourrait toujours opter pour la qualité professionnelle en deçà du seuil de 3 000 € bruts.
En outre, les seuils d’affiliation obligatoire, institués au 1er janvier 2017 pour les locations de biens meubles de 7 846 € et pour les locations de logements meublés de 23 000 €, ne seraient pas modifiés.
Les utilisateurs de plates-formes en ligne qui relèvent par ailleurs du régime social des travailleurs indépendants (RSI) au titre d’une activité libérale, artisanale ou commerciale ne verraient pas leurs revenus tirés des plates-formes en ligne pris en compte dans l’assiette de leurs cotisations sociales, sauf si ceux-ci se rattachent ou sont exercés avec les mêmes moyens que leur activité principale.
Concernant les fonctionnaires, la proposition de loi introduit une présomption d’accord hiérarchique pour les agents publics qui exercent une activité accessoire par l’intermédiaire d’une plate-forme en ligne, et qui n’en retirent pas plus de 3 000 € bruts par an. Cette mesure permettrait de régulariser la situation de nombreux agents publics utilisateurs de plates-formes collaboratives.
Enfin, les contraintes applicables aux ventes d’occasion entre particuliers sur internet seraient supprimées dès lors que ces ventes ont lieu par l’intermédiaire d’une place de marché virtuelle informant ses utilisateurs de leurs obligations fiscales. Elles sont régies par des dispositions anciennes adaptées aux ventes au déballage, aux brocantes et aux vide-greniers. Elles interdisent de participer à plus de deux ventes par an et imposent l’obligation de fournir une attestation sur l’honneur. La plate-forme serait quant à elle délivrée de l’obligation de tenir un registre mentionnant le nom, le numéro de la carte d’identité et l’adresse de chaque participant.
L’obligation des plates-formes en ligne
Les sénateurs proposent de simplifier les dispositions de l’article 242 bis du CGI qui prévoit, depuis 2017, que les plates-formes en ligne informent leurs utilisateurs de leurs obligations fiscales et sociales.
Actuellement, l’obligation d’information est applicable à l’occasion de chaque transaction. Elle est à ce titre difficile à mettre en œuvre dans le cas de microtransactions très fréquentes, par exemple pour les publicités payées « au clic » ou les vidéos au nombre de vues. Elle serait réputée accomplie si la plate-forme adresse à l’utilisateur un récapitulatif mensuel de ses transactions, sous réserve que celles-ci présentent un caractère régulier et qu’elles correspondent à des activités de même nature.
Par ailleurs, la plate-forme doit adresser à chacun de ses utilisateurs un récapitulatif annuel des revenus bruts perçus par son intermédiaire. Les plates-formes proposant des activités dont les revenus sont intégralement exonérés d’impôt en raison de leur nature même, par exemple le covoiturage, les activités de « co-consommation » ou les ventes d’occasion entre particuliers en seraient dispensées sous réserve qu’elles disposent de règles et de procédures permettant d’assurer le caractère non imposable des revenus.
Enfin, le droit actuel prévoit que les plates-formes se fassent délivrer chaque année, un certificat de conformité fiscal, par un tiers indépendant, pour attester du respect de leurs obligations en matière d’information de leurs utilisateurs.
La proposition de loi suggère que ce certificat soit mentionné sur la page d’accueil de la plate-forme. « La page d’accueil du service de mise en relation proposé par ces entreprises comporte une mention clairement visible de ce certificat, de sa date de délivrance et de l’identité du certificateur ». Cette mesure reviendrait à introduire une forme de « label de conformité fiscale », de nature à renforcer la confiance des utilisateurs dans les plates-formes et à créer un cercle vertueux.
Déclaration automatique sécurisée des revenus
Le Sénat entend modifier l’article 1649 quater A bis du CGI relatif à déclaration automatique sécurisée des revenus perçus par les utilisateurs de plates-formes en ligne, afin d’adapter la procédure, le champ d’application et la liste des données transmises.
La déclaration automatique serait volontaire, mais incitative. En effet, elle conditionnerait le droit au bénéfice du régime fiscal prévu par l’article 1er de la proposition de loi, à savoir l’abattement de 3 000 €. Aux termes de l’article 1649 quater A bis du CGI, la plate-forme adresserait en janvier de chaque année à l’administration fiscale, pour chaque utilisateur et avec l’accord de celui-ci, une déclaration mentionnant les trois informations suivantes :
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son nom complet, son adresse électronique et son numéro d’identification, qui pourrait être son numéro fiscal ou un numéro spécifique d’« utilisateur de plates-formes collaboratives », délivré à sa demande lors de sa première inscription sur une plate-forme participante ;
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le montant total des revenus bruts perçus ou présumés perçus par l’utilisateur au cours de l’année civile précédente au titre de ses activités sur la plate-forme en ligne, ou versés par l’intermédiaire de celle-ci ;
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la catégorie à laquelle sont présumés se rattacher les revenus bruts, en fonction de l’activité proposée par la plate-forme : ventes de biens (BIC), services et locations (BIC ou BNC), ou locations non meublées (revenus fonciers).
Le Sénat propose que la déclaration soit adressée par voie électronique et qu’une copie en soit adressée à l’utilisateur. Elle pourrait tenir lieu du récapitulatif annuel prévu à l’article 242 bis du CGI. Les plates-formes seraient tenues d’être titulaires du certificat prévu à l’article 242 bis du CGI.
Enfin, la proposition de loi soumet les éventuels traitements de données personnelles à la loi de 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. D’ailleurs, les revenus exonérés par nature tels que les ventes d’occasion et les activités relevant du partage de frais entre particuliers ne figureraient pas sur la déclaration transmise à l’administration fiscale. Par conséquent, les plates-formes proposant exclusivement des activités exonérées par nature, et titulaires du certificat prévu à l’article 242 bis du CGI, ne seraient pas concernées. Celles qui proposent des activités « mixtes » – des ventes d’occasion et ventes lucratives – transmettraient en revanche les seuls revenus imposables, qui bénéficieraient le cas échéant du régime fiscal prévu à l’article 1er.
En plus du certificat, les plates-formes devraient en outre faire valider leurs règles internes permettant de distinguer les revenus imposables des revenus non imposables, par une demande d’agrément correspondant en pratique à un « rescrit fiscal pour les plates-formes collaboratives ». Un rapport annuel serait remis par le gouvernement au Parlement, sur les revenus des utilisateurs des plates-formes en ligne, alimenté notamment par les données issues de la déclaration automatique.
Enfin, la proposition de loi permettrait aux micro-entrepreneurs ayant opté pour le prélèvement automatique de leurs cotisations sociales par les plates-formes en ligne d’acquitter, en même temps, le prélèvement libératoire à l’impôt sur le revenu. En droit commun, celui-ci est en effet recouvré en même temps que les cotisations et contributions sociales.