Les contours du prélèvement à la source sur les revenus

Publié le 10/03/2017

La loi de finances pour 2017 donne une base légale au prélèvement à la source des revenus. Ce futur mode de règlement de l’impôt sur le revenu sera applicable à partir de 2018. Le point sur les éléments d’application de la réforme d’une complexité qui va impacter les contribuables et les organismes collecteurs.

Mesure phare de la loi de finances pour 20171, le prélèvement à la source sur les revenus devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2018, à moins que l’issue des élections présidentielles ne perturbe son avenir. La réforme était en effet contestée devant le Conseil constitutionnel.

Validation par le Conseil constitutionnel

Les Sages l’ont validée2, se prononçant sur quatre points principaux. Le premier grief portait sur l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi compte tenu de la complexité des différents taux de prélèvement à la source, et de l’imprécision de la notion de revenus « non exceptionnels ». Était également en cause le fait que le prélèvement à la source sur les revenus salariaux ou de remplacement soit opéré par un tiers collecteur ce qui porterait atteinte à la règle selon laquelle l’impôt ne peut être recouvré que par l’État. Un autre grief reposait sur le principe d’égalité devant les charges publiques dès lors que certains contribuables sont en mesure d’optimiser le niveau de leurs revenus dans le but de minorer leur charge d’impôt en tirant parti de l’année de transition. Ce principe serait également méconnu par l’absence de compensation accordée aux tiers collecteurs pour les charges résultant de cette mission.

Le Conseil constitutionnel a jugé, en premier lieu, que les dispositions de l’article 60 de la loi de finances pour 2017 ne sont pas inintelligibles. En deuxième lieu, compte tenu de l’option ouverte aux contribuables leur permettant de choisir un taux « par défaut » qui ne révèle pas à leur employeur le taux d’imposition du foyer, le législateur n’a pas méconnu le droit au respect de la vie privée. En troisième lieu, des mesures spécifiques sont prévues, s’agissant des dirigeants d’entreprise, pour éviter qu’ils puissent procéder à des arbitrages destinés à tirer parti de l’année de transition. En quatrième lieu, le recouvrement de l’impôt continuera d’être assuré par l’État, les entreprises ne jouant qu’un rôle de collecte, comme elles le font déjà pour d’autres impositions, notamment TVA ou la CSG. Le législateur n’était donc pas tenu de les indemniser à ce titre.

Les dispositions qui instituent le nouveau mécanisme d’imposition des revenus figurent au livre Ier du Code général des impôts (CGI) sous la nouvelle section « VIII Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ».

Cette réforme soulève de très nombreuses questions tant sur les revenus pris en compte, les taux, les modalités de recouvrement etc. Éléments de réponse apportés par Fabrice Luzu, notaire, et Nora Vartanyan, expert-comptable, lors d’une présentation, le 12 janvier dernier au Conseil supérieur du notariat.

Périmètre et formes

Le prélèvement à la source s’appliquera aux revenus salariaux et assimilés, à savoir : salaires, revenus des dirigeants, pensions de retraite, pensions d’invalidité, indemnités journalières, allocations chômage, rentes viagères à titre gratuit, à l’épargne salariale (participation intéressement) lorsque les sommes sont imposables, à la fraction imposable des indemnités de licenciement, aux pensions alimentaires, rentes viagères à titre onéreux ainsi qu’aux revenus salariaux de source étrangère.

Les autres revenus professionnels feront l’objet du mécanisme d’acompte : bénéfices industriels et commerciaux (BIC), bénéfices non commerciaux (BNC), bénéfices agricoles et revenus fonciers. En seront exclus les plus-values immobilières, les revenus de capitaux mobiliers, les indemnités en réparation d’un préjudice moral versées sur décision de justice ainsi que les plus-values sur valeurs mobilières et droits sociaux

Le sort des rémunérations des travailleurs non-salariés ?

Les rémunérations des travailleurs non-salariés entrent-ils dans le champ du prélèvement ou des acomptes ? Selon Fabrice Luzu, notaire à Paris, « l’article 62 du CGI ne qualifie pas de traitements et salaires les revenus des gérants, dont les gérants majoritaires de SARL et associés de certaines sociétés relevant des articles 79 et suivants du CGI. Mais son dernier alinéa précise que « le montant imposable des rémunérations » de ces « gérants et associés » est « déterminé selon les règles prévues en matière de traitements et salaires ». Or les articles 204 A et 204 B nouveaux qui précisent le champ d’application du prélèvement à la source ne font pas renvoi à la catégorie des traitements et salaires, pas plus que l’article 62, mais se réfèrent aux « revenus imposables » ou aux « revenus soumis » « à l’impôt sur le revenu suivant les règles applicables aux salaires ». Les revenus de l’article 62 entrent donc bien dans le champ de la nouvelle retenue à la source ».

Plusieurs bases de revenus

Pour les revenus des salariés et des travailleurs non-salariés, le prélèvement s’appliquera sur une base hors frais professionnels (forfaitaires ou réels) et hors abattement de 10 % sur les pensions de retraites. Les revenus fonciers seront diminués des reports déficitaires, et sur les pensions alimentaires, les rentes viagères à titre onéreux ainsi que les revenus de source étrangère imposables en France, le prélèvement s’appliquera sur les montants nets imposables mais après déduction des frais professionnels ou de l’abattement de 10 % sur les pensions de retraites, contrairement aux traitements et salaires.

Les déficits seront retenus pour un montant nul. Pour les bénéfices, sur la base déterminée en fonction du régime fiscal applicable (régime réel ou micro). Toutefois, les plus et moins-values, subventions d’équipement et indemnités d’assurance pour perte d’élément d’actif ne sont pas retenues. Ces montants seront réduits des abattements en faveur des entreprises nouvelles applicables au titre de l’année de versement de l’acompte.

Coexistence de plusieurs taux de prélèvement

Plusieurs taux de prélèvement à la source existeront : le taux de droit commun, un taux par défaut (ou taux neutre), un taux individualisé, un taux nul. Ces taux pourront être modifiés ou modulés en cas de changement de situation personnelle.

Le taux de droit commun sera le taux de référence retenu par l’Administration. Il sera calculé par l’Administration, en fonction des rémunérations (les prélèvements effectués de janvier à août seront calculés en référence aux revenus N-2, et les prélèvements effectués de septembre à décembre, sur les revenus de N-1), et du quotient familial et ne prendra pas en compte les crédits d’impôt et réductions d’impôt. Il correspond au poids moyen de l’impôt sur les revenus du foyer en tenant compte des charges.

En 2018, le taux retenu pour le prélèvement de janvier à août sera calculé à partir de la déclaration des revenus perçus en 2016 et déposée au printemps 2017 et pour septembre à décembre, le taux serait calculé à partir de la déclaration de revenus perçus en 2017 et déposée au printemps 2018.

Le taux de prélèvement sera nul dans trois situations :

  • si le foyer est non imposable avant l’imputation des crédits d’impôt au titre de l’une des années où les éléments sont retenus pour le calcul du taux ;

  • pour le contribuable dont le montant de l’impôt sur le revenu net (après imputation des crédit et réduction d’impôt) au titre des deux dernières années connues est nul, et dont les revenus par part de quotient familial n’excèdent pas 25 000 euros.

Quant au taux par défaut, il sera applicable sur option du contribuable par souci de confidentialité, ou de façon obligatoire faute d’éléments pour calculer le taux de droit commun. Ainsi pour les primo déclarants, en cas de nouvelle embauche ou en présence de revenus antérieurs à N-3, de revenus des enfants à charge ou rattachés, de contrats courts (CDD ou contrat de mission de moins de deux mois ou dont le terme n’est pas connu. Il sera appliqué selon la tranche du revenu, selon le barème suivant (pour la France métropole) :

  • si la base mensuelle du prélèvement est inférieure à 1 367 € : taux de 0 %

  • base comprise en 1 368 euros et 1 419 € : 0,5 %

  • base comprise entre 1 420 et 1 510 € : 1,5 %

  • base comprise entre 1 511 et 1 613 € : 2,5 %

  • base comprise entre 1 614 et 1 723 € : 3,5 %

  • base comprise entre 1 724 et 1 815 € : 4,5 %

  • base comprise entre 1 816 et 1 936 € : 6 %

  • base comprise entre 1 937 et 2 511 € : 7,5 %

  • base comprise entre 2 512 et 2 725 € : 9 %

  • base comprise entre 2 726 et 2 988 € : 10,5 %

  • base comprise entre 2 989 et 3 363 € : 12 %

  • base comprise entre 3 364 et 3 925 € : 14 %

  • base comprise entre 3 926 et 4 706 € : 16 %

  • base comprise entre 4 707 et 5 888 € : 18 %

  • base comprise entre 5 889 et 7 581 € : 20 %

  • base comprise entre 7 582 et 10 292 € : 24 %

  • base comprise entre 10 293 et 14 417 € : 28 %

  • base comprise entre 14 418 et 22 042 € : 33 %

Deux autres barèmes existent : l’un pour les contribuables domiciliés en Guadeloupe, Réunion, Martinique, un autre pour les contribuables domiciliés en Guyane et à Mayotte. Les taux sont identiques mais les bases diffèrent.

Enfin, les couples pourront demander à bénéficier d’un taux individualisé. Cela donnera lieu à l’application de trois taux différents calculés par l’Administration : deux taux différenciés selon la situation personnelle de chaque conjoint et un taux pour les revenus communs.

Le taux pourra être modifié en cas de changement de situation personnelle (naissance, décès, pacs…). Il est alors recalculé en fonction de la modification du quotient familial dans les trois mois de la déclaration de l’événement. Il pourra également être modifié en cas de variation anticipée des revenus, à la hausse ou à la baisse, et au minimum de 10 % et de 200 euros. Des pénalités seront applicables si les modulations sont insignifiantes ou excessivement inférieures au prélèvement à la source théorique (taux de 10 % ou de 50 %).

Modalités de recouvrement du prélèvement à la source

Le recouvrement de la retenue à la source ou de l’acompte s’effectuera après un dialogue avec la DGFiP (Direction générale des finances publiques) via la DSN (déclaration sociale nominative) ou la déclaration spécifique dite « déclaration 3 en 1 ». L’employeur aura la charge de la déclaration et du versement mensuel. Par exception, les entreprises de moins de onze salariés, sur option et dans des conditions fixées par décret, peuvent reverser la retenue à la source au plus tard le mois suivant le trimestre au cours duquel ont eu lieu les prélèvements.

L’acompte est prélevé automatiquement le 15 de chaque mois de l’année, ou sur option, en quatre échéances (15 février, 15 mai, 15 août et 15 novembre). Les titulaires de BNC, BIC, BA, RF qui démarrent une activité nouvelle en cours d’année, procéderont à des acomptes spontanés.

Il sera possible de reporter le paiement de certaines échéances sur la suivante, dans un maximum de trois mensuelles ou une trimestrielle. Enfin, le prélèvement des acomptes ou des fractions des acomptes pourront être suspendus lors de la perte des bénéfices ou des revenus, par exemple en cas de cessation d’activité, ou en cas de demande de modulation à la baisse.

2017, une année blanche

L’impôt normalement dû au titre des revenus non exceptionnels perçus en 2017 sera neutralisé, par l’application du crédit d’impôt exceptionnel de modernisation et de recouvrement (CIMR). En revanche, pour éviter les comportements d’optimisation au cours de cette année blanche, certains revenus perçus en 2017 seront imposables en 2018 : les revenus exceptionnels, les revenus exclus de la réforme, les plus-values et les revenus de capitaux mobiliers.

Le crédit d’impôt modernisation du recouvrement

La réforme accompagne le prélèvement à la source d’un crédit d’impôt modernisation du recouvrement (CIMR), qui a pour objectif d’éviter une double imposition en 2018 sur les revenus 2017 et 2018. Il permet de maintenir les réductions et crédits d’impôt attachés aux dépenses éligibles effectuées au titre de cette même année. Seuls les revenus non exceptionnels de 2017 ouvriraient droit au CIMR.

Son montant serait égal au montant de l’impôt sur le revenu du foyer résultant de l’application du barème en vigueur par le rapport entre les revenus non exceptionnels de l’année 2017 relevant de l’assiette du prélèvement à la source (les déficits étant retenus pour une valeur nulle) et le revenu imposable du foyer soumis au barème. Ainsi obtenu, le montant serait diminué des crédits d’impôt prévus par les conventions internationales et afférents aux revenus relevant de l’assiette de la retenue à la source.

Dans la catégorie des traitements et salaires, les revenus non exceptionnels s’entendent des revenus que la loi n’a pas expressément exclus ou qui ne sont pas, par nature, susceptibles d’être recueillis annuellement : les indemnités de départ à la retraite.

Les revenus non exceptionnels des indépendants seront déterminés d’après le montant de leurs revenus 2017, lui-même déterminé comme pour l’assiette du prélèvement à la source et retenu dans la limite du plus faible des deux montants suivants :

  • celui de leurs revenus pour 2017 déterminé dans les mêmes conditions mais avant abattement pour entreprises nouvelles

  • et le plus élevé de leurs revenus 2014, 2015 et 2016 déterminé dans les mêmes conditions.

Un crédit complémentaire, liquidé en 2019 et s’ajoutant au CIMR, est octroyé au titre de 2017, lorsque le bénéfice de 2018 est supérieur ou égal à 2017, lorsque le bénéfice de 2018 est inférieur à 2017 mais supérieur à la plus élevée des années 2014-2016.

Maintien de la déclaration de revenus

La déclaration de revenu restera obligatoire, dans les conditions habituelles. L’imposition définitive permettra d’imposer les revenus non soumis au prélèvement à la source, d’imputer sur l’impôt dû les réductions et crédits d’impôt. Le solde de l’impôt dû est recouvré par prélèvements mensuels égaux jusqu’à décembre sur les mois concernés, le contribuable sera prélevé du solde de l’impôt et indépendamment de la retenue à la source ou de l’acompte.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2016-1917, 29 déc. 2016, de finances pour 2017 ; JO n° 0303, 30 déc. 2016.
  • 2.
    Cons. const., 29 déc. 2016, n° 2016-744 DC : JO n° 0303, 30 déc. 2016.