Les enjeux de la fiscalité immobilière vus par les investisseurs
Un baromètre de la fiscalité immobilière fait le point sur les perspectives en matière immobilière. 2017 apparaît comme une année d’incertitude fiscale.
La 5e édition du baromètre d’Arsene Taxand, cabinet d’avocats français spécialisé en droit fiscal, dédié aux enjeux de la fiscalité immobilière, souligne que le contexte alliant période électorale et changement important de l’environnement fiscal français et international représente une source d’incertitude pour les acteurs du marché de l’immobilier1. Ce baromètre est le fait d’une pluralité de professionnels de l’immobilier : acteurs de la promotion immobilière (10 %), fonds d’investissement (23 %), foncières (13 %), gestionnaires d’actifs (27 %). « Alors même que cette pluralité d’acteurs a des intérêts et des préoccupations professionnelles assez divergentes, on observe de vraies tendances de fond. C’est très précieux pour comprendre le ressenti du secteur dans son ensemble », observe Franck Llinas, associé au sein de la practice immobilier d’Arsene Taxand.
Relations avec l’administration fiscale
Alors que plus de la moitié des sondés (57 %) déclare avoir fait l’objet d’un contrôle fiscal au cours de l’année 2016, les résultats montrent que les relations avec l’administration fiscale se sont détériorées, avec notamment un recours aux pénalités plus fréquent qu’en 2014. Pour l’ensemble des acteurs interrogés, l’application des pénalités au cours de l’année 2016 a servi à la négociation globale des litiges. « Ce constat s’inscrit également dans un contexte global de détérioration des relations avec l’administration fiscale, comme le juge un quart des sondés », observe Franck Llinas. Deuxième enseignement, le faible recours aux procédures de rescrit fiscal ou d’agrément. « Cette année, seulement 4 % des interrogés déclarent avoir eu recours, au cours de l’année précédente, à la procédure de rescrit fiscal ou d’agrément. En 2015, ils étaient 31 %. Nous expliquons cette forte baisse à la fois du fait de l’incertitude sur la position de l’administration fiscale et à cause de l’augmentation des délais d’attente », observe Franck Llinas. Ces procédures qui consistent à consulter l’administration fiscale en amont sont notamment utilisées en matière de TVA. « Il nous est ainsi possible de vérifier l’éligibilité des travaux envisagés face à la production d’un immeuble neuf, ou pour s’assurer de la fiscalité applicable à des indemnités d’éviction par exemple », commente Franck Llinas qui a également pu constater qu’« en matière de TVA et de droits d’enregistrement, nos interlocuteurs sont d’une très faible efficacité. Nous pouvons avoir beaucoup plus de difficultés en matière de fiscalité internationale où les délais de réponse peuvent être extrêmement longs (quand il y a une réponse !), y compris pour des flux intracommunautaires comme des flux France-Allemagne, par exemple. Or des acteurs, comme les fonds d’investissements allemands sont des acteurs majeurs pour le secteur de l’immobilier français. Il est très regrettable que nous ne soyons pas davantage en mesure de sécuriser leurs projets », commente Franck Llinas.
Le poids de l’environnement économique et réglementaire
Les résultats du baromètre 2017 mettent également en avant l’importance des enjeux réglementaires pour les acteurs de l’immobilier. « Nous constatons cette année, dans la continuité des précédents baromètres, que la fiscalité reste l’une des priorités majeures des acteurs de l’immobilier », commente François Lugand. La sécurité fiscale est au cœur des préoccupations des professionnels de l’immobilier. « Les variations fréquentes de la législation et la sécurité fiscale, avec la rétroactivité des mesures, qui rendent très difficile la gestion des risques, sont principalement citées comme points de vigilance par les répondants. Pour nos clients anglo-saxons, notamment, cette insécurité fiscale constitue un phénomène majeur. Un investisseur prend la décision d’investir dans un projet en fonction d’un écosystème donné. C’est très difficile de s’adapter à un environnement juridique mouvant. Heureusement, ces deux dernières années, les textes sont moins fréquemment rétroactifs », explique Franck Llinas. « Couplés à une augmentation des inquiétudes vis-à-vis du taux effectif d’imposition (2,35 pts en 2015, contre 2,76 en 2017, sur une échelle d’importance de 1 à 4), ces résultats confirment les interrogations que nous observons au quotidien aux côtés de nos clients », analyse François Lugand.
La taxe de 3 % n’est pas un poids pour le secteur
Environ un tiers (31 %) des répondants déclarent que la taxe de 3 % sur les immeubles a été un point de négociation problématique lors des transactions. Créée en 1983, cette taxe fait partie de l’arsenal anti-fraude de l’administration fiscale française et vise les entités françaises ou étrangères qui font l’acquisition de propriétés immobilières en France, directement ou via une chaîne de participations. « Dans la mesure où elle a été pensée dans la foulée de l’ISF, afin d’éviter que des personnes physiques utilisent des entités pour faire échapper à l’impôt leur patrimoine immobilier, on peut s’interroger sur le sort qui lui serait fait dans l’hypothèse d’une éventuelle suppression de l’ISF », analyse Franck Llinas. Codifiée aux articles 990 D et 990 E du Code général des impôts (CGI), cette taxe vise plus particulièrement les personnes morales établies dans des États à fiscalité privilégiée ou tout au moins des États n’ayant pas conclu avec la France de convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Initialement, le jeu des exonérations prévues à l’article 990 E du CGI exclut les sociétés françaises de ce dispositif. La jurisprudence communautaire Elisa2 a sanctionné l’inégalité de traitement entre les sociétés françaises et les sociétés établies dans l’Union européenne ne pouvant se prévaloir d’une convention d’assistance administrative pour entrave à la liberté de circulation des capitaux garantie par l’article 56 du Traité CE. Alors que les sociétés françaises étaient exonérées de plein droit, une condition supplémentaire pesait en effet sur les sociétés étrangères. Leur État de résidence devait avoir conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Le législateur, par le biais du collectif budgétaire adopté le 25 décembre 2007, a pris acte de cette jurisprudence et réformé le texte des articles 990 D et 990 E du CGI. Désormais, toutes les structures établies dans l’Union européenne bénéficient des mêmes possibilités d’exonération que les sociétés françaises. « Cette exonération nécessite un travail fastidieux de déclarations à chacune des étapes de la chaîne de détention. Nous nous attendions à ce qu’elle soit perçue comme une charge plus lourde pour le secteur », commente Franck Llinas.
L’impact de la réforme du traité France-Luxembourg
58 % des sondés disent avoir été affectés par la réforme du traité France-Luxembourg. Et plus de deux tiers, soit 68 % des répondants estiment qu’ils seront affectés par la réforme de la convention fiscale France-Luxembourg à l’avenir. « Cette proportion aurait évidemment été plus grande si nous n’avions interrogé que des fonds d’investissement et des gestionnaires d’actifs », commente Franck Llinas. La loi autorisant l’approbation du quatrième avenant à la convention entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg, signé le 5 septembre 2014, a en effet été votée en décembre 2015 par l’Assemblée nationale et le Sénat. La France et le Luxembourg sont liés depuis 1958 par une convention tendant à éviter les doubles impositions et à organiser des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune. Conformément à ce traité, les plus-values immobilières de source française sont soumises à un prélèvement du tiers, en application de l’article 244 bis A du CGI. Cependant, en raison de divergences d’interprétation entre la France et le Luxembourg, les plus-values immobilières réalisées en France par des sociétés luxembourgeoises étaient de facto exonérées d’imposition. Un avenant signé en 2006, a permis à la France d’imposer les plus-values immobilières en cas de détention directe des immeubles. Mais ces dispositions n’étaient pas applicables aux cessions de parts de sociétés à prépondérance immobilière, du point de vue du Luxembourg qui refusait d’appliquer ces nouvelles dispositions. Un quatrième avenant a donc été signé à Paris le 5 septembre 2014, afin d’attribuer le droit exclusif d’imposer les plus-values de cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière à l’État où ces biens sont situés. Désormais, les cessions de titres de sociétés françaises à prépondérance immobilière (type SCI ou SA) détenus à titre majoritaire par des sociétés luxembourgeoises, notamment des holdings luxembourgeoises, sont imposables en France au taux de droit commun de l’impôt sur les sociétés. L’avenant est entré en vigueur au 1er février 2016 pour une première application en 2017.
L’attrait des véhicules d’investissement immobilier
Pour 71 % des répondants, la mise en place d’organismes de placement collectif investi en immobilier (OPCI) constituera un dispositif incontournable pour investir en France dans les prochains mois. « Les sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC) bénéficient d’une fiscalité très favorable mais sont des sociétés cotées. Et il se crée peu de nouvelles SIIC. Comparativement, les OPCI qui prennent généralement la forme de sociétés de placement à prépondérance immobilière à capital variable (SPPICAV), sont plus faciles à constituer. Cet instrument très souple est plébiscité cette année. C’était moins le cas lors des éditions précédentes du baromètre où les acteurs de l’immobilier n’avaient sans doute pas encore complètement pris la mesure des atouts des OPCI. C’est désormais chose faite », commente Franck Llinas. Les OPCI incarnent également une réponse satisfaisante pour les investisseurs impactés par la convention Franco-Luxembourgoise. En effet, les véhicules d’investissement immobilier continuent de bénéficier de conditions fiscales favorables. Depuis plusieurs années, dans les conventions qu’elle négocie, la France prévoit une clause spécifique pour ces véhicules qui bénéficient sous certaines conditions d’une exonération d’impôt sur les sociétés en contrepartie d’une obligation de distribution des résultats. Il s’agit essentiellement des sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC) et des organismes de placement collectif investis en immobilier (OPCI) prenant la forme de sociétés de placement à prépondérance immobilière à capital variable (SPPICAV). Les dividendes versés par un OCPI domicilié en France à une personne qui a son domicile fiscal au Luxembourg, conformément à l’article 8 de la convention France-Luxembourg, sont imposables au Luxembourg mais peuvent être exonérés d’impôt à l’exception d’une retenue à la source de 5 % si la société luxembourgeoise détient au moins 25 % de la société française et 15 % dans les autres cas. « Certes, la France pourra imposer les plus-values de cession des titres de l’OPCI français détenus par la société luxembourgeoise. Mais dans les faits cette mesure aura peu d’impact, ces schémas de détention se dénouant rarement via une cession des titres de l’OCPI mais plus généralement via une cession de l’actif immobilier », résume Franck Llinas.
Quelles perspectives pour les investisseurs ?
Pour 67 % des sondés, les élections présidentielles représentent un frein à l’investissement. Et 68 % déclarent tenir compte des choix politiques à venir dans leurs décisions en ce sens. Lors des années d’élections électorales, on constate généralement un certain attentisme dans les opérations immobilières. Malgré l’incertitude générée par les changements politiques majeurs sur la scène internationale (US, UK), ils sont une majorité à penser que la perspective du Brexit n’a eu aucun impact sur le marché français (67 %), à ce stade. Dans cet environnement, les grandes tendances en matière d’investissement en fonction de la nature de l’actif sont modifiées. En 2017, les entrepôts et logements représentent 60 % des actifs ciblés, là où ils représentaient seulement 12 % en 2015. Ce changement d’intérêt se fait notamment au détriment des bureaux (63 % en 2015, contre seulement 24 % en 2017). Enfin, le niveau des prix reste, pour l’ensemble des sondés, le facteur le plus important en matière d’investissement (3,64 pts, échelle de 1 à 4 où 4 représente le facteur plus important et 1 le facteur pas du tout important).