Les enjeux des pactes Dutreil en matière de transmission d’entreprise familiale

Publié le 11/12/2018

Le pacte Dutreil constitue un dispositif-clé pour agir contre le phénomène d’érosion des transmissions d’entreprises familiales. Le point sur les assouplissements qui vont être apportés à ce régime fiscal.

Le projet de loi de finances pour 2019 envisage un certain nombre d’aménagements au dispositif des pactes Dutreil qui permettent de réduire les droits dus lors de la transmission d’une entreprise dans le cadre d’une succession ou d’une donation. Dans un pacte Dutreil, les titres sont, sous certaines conditions, exonérés de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75 % de leur valeur. ll s’agit pour le gouvernement de moderniser et d’assouplir le régime du pacte Dutreil qui permet de transmettre à moindre coût les parts ou actions d’une entreprise. Précisons qu’une proposition de loi adoptée au Sénat en première lecture avait déjà envisagé un certain nombre d’aménagements à ce dispositif (Prop. L. n° 343, 2017-2018 de Claude Nougein, Michel Vaspart et plusieurs de leurs collègues, visant à moderniser la transmission d’entreprise). Cette proposition de loi était elle-même issue des préconisations d’un rapport d’information déposé au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises en février 2017 et présenté lors de la journée des entreprises du Sénat en mars 2017. Les travaux de la délégation avaient débuté en amont des réflexions sur la loi « Pacte » et cette proposition de loi visait à apporter des réponses permettant de maintenir l’emploi dans les territoires ruraux, notamment via une transmission familiale facilitée pour les PME, les ETI ou les entreprises individuelles. Cependant ce texte n’a pas prospéré, et le volet transmission d’entreprise annoncé dans le cadre de la présentation du projet de loi PACTE ayant été repris dans le projet de loi de finances pour 2019.

 

La transmission des entreprises familiales

 

Ce dispositif est une des pièces maitresses de la transmission des entreprises familiales en France. Les entreprises familiales représentent plus de 60 % des sociétés en Europe et 83 % en France, d’après les statistiques de l’Institut Montaigne. Cette catégorie transcende toutes les tailles d’entreprises (TPE, PME, ETI et grands groupes). Leurs résultats en matière d’emploi et de croissance font de l’entreprise familiale un modèle économique attractif. Dans ce contexte, la transmission de l’entreprise familiale s’avère lourde d’enjeux. Elle s’avère pourtant périlleuse. D’après les chiffres du rapport Mellerio, moins de 10 % des entreprises de plus de dix salariés sont transmises dans le cadre d’une continuité familiale. Un chiffre particulièrement alarmant quand on le compare à ceux d’autres pays en Europe : 72 % de transmissions en Italie, 58 % aux Pays-Bas et 55 % en Allemagne. Cette situation s’explique principalement par le poids de la fiscalité de la transmission, supérieure à celle des autres pays européens.

 

Une exception française

 

En effet, il existe une singularité française au sein de l’Europe en matière de droits de mutations à titre gratuit (DMTG). Malgré les efforts d’allègements consentis, la situation reste insatisfaisante. La CCI Paris Île-de-France a dressé une comparaison avec nos voisins européens, en juin 2018. Elle constate que neuf États membres de l’UE (Autriche, Suède, Portugal, Chypre, Slovaquie, Estonie, Lettonie, Malte et Roumanie) n’appliquent aucun droit de donation ni de succession. D’autres pays exonèrent totalement ou presque la base taxable en contrepartie d’une durée de détention longue des titres. Il s’agit du Royaume-Uni qui exonère à 100 % les droits de succession des actifs non cotés s’ils sont détenus plus de deux ans, de l’Allemagne qui exonère à 100 % les droits de succession si les actions sont conservées sept ans, de la Belgique, où les donations sont taxées à 0, 2 ou 3 % (en fonction de la région : Flandre, Wallonie, Bruxelles) si les actions sont conservées cinq ans et si la donation porte sur au moins 10 % des droits de vote (pour les successions de PME) et de l’Espagne, où l’exonération varie de 95 à 99 %. En comparaison, la France se pose ici en exception. « La mutation du capital mobilier reste très fortement taxée en France alors même qu’il représente une base mobile et peut toujours être localisé dans d’autres pays, soulignent les experts de la CCI. Par ailleurs, le phénomène trouve également sa cause dans la complexité législative accrue et dans la forte insécurité juridique de la fiscalité du patrimoine – due en majeure partie à l’interprétation des textes adoptée par l’administration fiscale – créant une différence entre grandes entreprises et PME au moment de la transmission. L’urgence est donc d’agir pour mettre en place un écosystème fiscal qui puisse représenter un terreau favorable à ces opérations ».

Les enjeux du pacte Dutreil-Transmission

 

Conformément à l’article 787 du Code général des impôts (CGI), la souscription d’un pacte Dutreil ouvre droit à un dispositif de défiscalisation permettant de réduire considérablement les droits de mutation dus en cas de transfert d’entreprise dans le cadre d’une succession ou d’une mutation. Le dispositif du pacte Dutreil instaure une réduction de 75 % de l’assiette des droits de donation ou de succession exigibles. Cumulé aux abattements auxquels peuvent prétendre les héritiers en ligne directe, aux réductions des droits de mutation selon l’âge du donateur, ou encore à la possibilité d’étaler le paiement des droits, il peut conduire à des réductions de droit significatives. Son cumul avec d’autres dispositifs est possible. Ainsi lorsque seule la nue-propriété est transmise, la valeur de celle-ci est déterminée selon un barème légal en fonction de l’âge du donateur qui se réserve l’usufruit. Le cumul d’un démembrement de propriété avec un pacte Dutreil permet alors de réduire encore davantage l’assiette de droits, et ce d’autant qu’au décès du donateur, les nus-propriétaires recueilleront l’usufruit en franchise de droits. « Au regard du poids des droits de mutation à titre gratuit et du faible taux de transmissions en France par comparaison avec nos voisins européens, le rôle majeur que joue le pacte Dutreil pour assurer la pérennité du terreau d’entreprises familiales en France n’est plus à démontrer », concluent les experts de la CCI. Pour la CCI Paris Île-de-France, si le pacte Dutreil constitue pour le chef d’entreprise un outil indispensable pour anticiper une transmission, ce dispositif s’avère « complexe et rigide » et n’est pas « directement opérationnel ». Afin de rénover ce dispositif, la CCI Paris Île-de-France propose notamment de sécuriser le régime du pacte Dutreil en harmonisant la doctrine administrative, et d’en assouplir les conditions d’application. Elle envisage ainsi de supprimer les obligations déclaratives annuelles et alléger les conséquences en l’absence de mise en demeure de présenter les documents requis à la première demande et de faire disparaître la condition d’exercice des fonctions de direction par un donataire ou légataire en phase d’engagement individuel. Enfin, elle appelle à reconsidérer la notion de « holding animatrice » pour stabiliser et sécuriser les structurations patrimoniales.

 

 

Des conditions cumulatives

 

La mesure d’exonération prévue dans le cadre d’un pacte Dutreil s’applique seulement si un certain nombre de conditions cumulatives sont réunies au moment de la transmission. Un engagement collectif de conservation des titres doit être préalablement signé entre le chef d’entreprise et au moins un associé, pour une période d’au moins deux ans, portant a minima sur 34 % des droits de vote et des droits financiers attachés aux titres émis pour une société non cotée ou 20 % pour une société cotée. Au moment de la transmission et à l’expiration de l’engagement collectif, un engagement individuel de conservation des titres de quatre ans doit être pris par les héritiers. L’un des signataires de l’engagement collectif ou l’un des héritiers, donataires ou légataires ayant pris l’engagement individuel doit exercer une fonction de direction dans l’entreprise pendant toute la durée de l’engagement collectif ainsi que pendant une période de trois ans après la transmission de l’entreprise. Le formalisme de ce dispositif est essentiel pour conserver le bénéfice même du régime de faveur. Ainsi, des obligations déclaratives annuelles doivent être effectuées par les signataires et l’entreprise. La sanction en cas de non-respect est la remise en cause du pacte dans son intégralité. Le respect de ce formalisme n’est pas nécessairement chose facile. Enfin, les modifications législatives et réglementaires successives apportées à ce dispositif le rendent complexe pour le chef d’entreprise qui envisage d’en bénéficier.

 

 

La notion de holding animatrice

 

Les holdings qui sont les animatrices effectives de leur groupe, participent activement à la conduite de sa politique et au contrôle des filiales et rendent, le cas échéant et à titre purement interne au groupe, des services spécifiques administratifs, juridiques, comptables, financiers ou immobiliers. Elles s’opposent aux sociétés holding passives qui sont exclues du bénéfice de l’exonération partielle en tant que simples gestionnaires d’un portefeuille mobilier. Dans la mesure où la majorité des entreprises familiales sont organisées sous la forme de groupe de sociétés, la notion de holding animatrice est un concept-clé pour l’application du dispositif Dutreil. En effet, seules les sociétés holding animatrices sont éligibles au régime du pacte Dutreil. Or la notion de la holding animatrice n’a pas été définie par le législateur. Le dernier projet d’instruction relatif à la holding animatrice est au point mort depuis l’été 2014. Cette absence de cadre sécurisé génère de nombreux contentieux entre les contribuables et l’administration fiscale, celle-ci tendant à avoir une vision restrictive de la notion de holding animatrice, ce qui nourrit les contrôles fiscaux. Pour la CCI Paris Île-de-France, cette situation crée des difficultés réellement préjudiciables pour les contribuables. En effet, « environ 2/3 des entreprises françaises qui emploient plus de cent salariés, et la quasi-totalité des ETI sont actuellement structurées sous cette forme, rappelle-t-elle. D’une manière générale, le nombre et le poids des sociétés concernées représentent un volume non négligeable pour laisser cette situation à la seule discrétion de l’administration fiscale. Dans les faits, nombre de créateurs d’entreprises installent leur holding à l’étranger. Ce phénomène n’a généralement pas pour but de réduire le taux d’imposition, mais plutôt d’éviter les risques d’instabilité fiscale, de remise en cause des régimes fiscaux ».

 

 

Des assouplissements à venir

 

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, les modifications envisagées sont les suivantes. En présence de sociétés interposées, l’obligation de conserver les participations inchangées à chaque niveau d’interposition ne s’appliquerait qu’à la phase d’engagement individuel de conservation des titres. À présent, le bénéfice de l’exonération partielle prévue par le dispositif est subordonné à la condition que les participations soient conservées inchangées à chaque niveau d’interposition. Cette condition restrictive et source de contentieux, a pour effet pervers de freiner la réorganisation des sociétés. Il s’agit désormais d’éviter la remise en cause totale de l’exonération en cas de cession ou de donation de titres « pactés » au sein du noyau dur d’actionnaires chargé d’assurer la pérennité de l’entreprise, durant la phase d’engagement collectif. Il s’agit de tirer les conséquences de ce que la circulation des titres au sein du pacte n’affecte pas le respect global des seuils de détention exigés par la loi. La remise en cause de l’exonération partielle suite à la cession ou la donation au cours de l’engagement collectif des titres reçus par les héritiers, donataires ou légataires à un autre associé de cet engagement serait limitée aux titres cédés ou donnés. Le texte envisage également un élargissement des possibilités d’apport de titres à une société holding au cours des engagements de conservation, en permettant l’apport en cours d’engagement collectif ainsi que l’apport de titres d’une société holding détenant elle-même directement des titres de la société objet du pacte Dutreil. Il n’est plus exigé de la holding d’apport qu’elle soit exclusivement détenue par les bénéficiaires de l’exonération et que son actif soit uniquement composé des titres apportés. L’actionnariat de la holding et son actif pourront ainsi, dans certaines limites posées par la loi, être diversifiés. Enfin en terme de formalisme, les obligations déclaratives seraient simplifiées avec la suppression de l’obligation de fournir chaque année l’attestation de la société justifiant du respect des conditions de l’exonération partielle. Une telle attestation ne serait désormais réclamée au redevable qu’en début et en fin de pacte et, le cas échéant, sur demande de l’administration seulement, en cours de pacte.

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