Les notaires au secours de la forêt
Une fiscalité attractive, un rendement à long terme satisfaisant et un faible niveau de risque : les forêts intéressent les investisseurs. Mais la multiplication des propriétaires et le morcèlement des parcelles en entravent l’exploitation. Les propositions des notaires pour une exploitation durable.
Le 114e Congrès des notaires de France qui s’est tenu à Cannes du 27 au 30 mai dernier se consacrait à l’avenir des territoires, un sujet de société pour une équipe qui avait choisi de placer le notariat au cœur des interrogations ayant un impact sur l’ensemble du territoire. Parmi les défis à relever, l’explosion démographique, l’épuisement des énergies fossiles et le risque de réchauffement climatique. Si la première commission avait pour thème : Demain l’agriculture, la troisième commission au futur des villes et la quatrième commission, plus transversale, le financement, la deuxième commission avait pour thème l’avenir de l’énergie. Pour ce faire, elle avait choisi deux axes essentiels : la forêt et les nouvelles énergies. La forêt participe à la qualité des eaux, à la fixation du carbone, la fixation des sols, notamment en zones de montagne et à la biodiversité.
Une sous-exploitation persistante
Richesse à exploiter, la forêt a doublé en superficie depuis deux cent ans, mais pas en surface exploitée ! Seule 60 % de sa croissance annuelle est récoltée. « Le constat d’une sous-exploitation de la forêt française est récurrent depuis près de quarante ans », précisait déjà la Cour des comptes en avril 2015 dans le cadre d’une enquête sur la filière forêt-bois, commandée par la commission des finances du Sénat. Elle constitue pourtant le quatrième massif européen en surface. Seuls 50 % des 85 millions de mètres cubes de bois produits annuellement par la forêt française sont récoltés. Or rappellent les Sages de la rue Cambon, pas moins de six rapports se sont succédés depuis 1978 sur ce sujet, tous préconisant d’augmenter les prélèvements sur les massifs forestiers, sans que ces rapports soient suivis d’effets. La balance des produits forestiers est chroniquement déficitaire. « La filière forêt-bois française rappelle le modèle économique des pays en développement », déploraient déjà les Sages de la rue Cambon à l’heure où la filière contribuait à hauteur de 5,6 milliards d’euros au déficit de la balance commerciale. Pour la Cour des comptes, les quelque 910 millions d’aides accordées annuellement entre 2006 et 2013 ne parviennent pas à assurer la compétitivité de la filière par rapport à la concurrence internationale. Pour les Sages de la rue Cambon, il est regrettable que la filière du bois énergie capte plus d’un tiers des aides, alors qu’elles sont modestes pour la filière du bois pour la construction, une situation d’autant plus dommageable « qu’il s’agit du principal débouché en France pour le bois matériau et ses dérivés », précise la Cour des comptes. Pour lutter contre ce phénomène de sous-exploitation le 114e Congrès proposait de mettre en place un bail forestier destiné à faciliter la dissociation de la propriété et de l’exploitation forestière.
Une situation persistante de morcellement
Le morcellement de la forêt participe largement à sa sous-exploitation. Répartie entre deux tiers de propriétaires privés et un tiers de forêt publique, la forêt est devenue un territoire mité, fait de multiples friches, difficile à vendre, à acheter, à transmettre. 70 % des surfaces forestières sont possédées par 3,8 millions de propriétaires privés. Certains possèdent moins d’un hectare de forêts et ne l’exploitent pas. En effet, les petites propriétés, entre un et quatre hectares constituent 15 % de forêt privée. Celles de 25 hectares et plus en constituent la moitié. Ainsi 80 % de la forêt du Gatinais, soit 18 000 hectares, est détenu par des propriétaires privés. Chacun d’eux possède en moyenne moins d’un hectare réparti sur plusieurs parcelles. En Haute-Savoie, la surface moyenne s’établit à 1,7 hectares en un ou plusieurs tènements. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014 a certes mis en place un certain nombre de mesures destinées à lutter contre le morcellement forestier. Elle a renforcé les droits des communes et instauré un droit de préemption pour les forêts abandonnées. Supprimant les codes de bonnes pratiques sylvicoles destinés aux parcelles les plus petites, la loi a instauré le GIEEF (Groupement d’intérêt économique et environnemental forestier) permettant à plusieurs propriétaires de forêts privées de les gérer en commun. Un droit de préférence a été mis en place pour les propriétaires de parcelles mitoyennes lors de la vente d’une forêt, ainsi que les collectivités pour les ventes de forêts de moins de 4 hectares. Un droit de préemption est attribués aux collectivités disposant d’une parcelle contiguë à la forêt en vente au même titre que l’État, ainsi que pour les forêts réputées sans maître. La commune dans laquelle est située ce bien peut, par délibération du conseil municipal, l’incorporer dans le domaine communal. Mais ces mesures restent insuffisantes. Le 114e Congrès des notaires de France proposait de simplifier le regroupement de la propriété forestière, en fusionnant les droits de préférence et de préemption forestiers en un droit de priorité unique, en créant un droit de délaissement de la propriété forestière de moins de quatre hectares et en simplifiant la procédure des biens sans maître. La mise en œuvre de cette politique serait transmise à un organisme unique.
Exploiter durablement la forêt
Groupement forestiers, lutte contre le morcellement, valorisation des parcelles abandonnées, le Congrès a travaillé autour de ces problématiques, en cherchant à améliorer la détention et, par là, l’exploitation forestière. Pour Me Antoine Bouquemont, notaire à Reims et rapporteur général du 114e Congrès, au regard des droits de propriété « il faut faire le bilan de la loi et proposer une simplification. Par ailleurs cette forêt est largement sous-exploitée. Or il existe des outils non ou sous-utilisés comme le GIEEF ». Le maquis juridique favorise la forêt éclatée. Pour créer de la biomasse forestière, il faut passer des conventions pluriannuelles d’exploitation. Groupements forestiers, coopératives, des solutions existent pour réhabiliter et exploiter l’or vert. Le notaire, acteur à la frontière entre droit public (conseil des communes) et droit privé, peut utiliser son savoir-faire pour donner les outils et imaginer les modes de regroupement des propriétés. Il peut s’agir d’unir les propriétaires afin qu’ils mutualisent les charges et les risques. Les notaires sont également actifs dans la réorganisation des parcelles abandonnées. Le 114e Congrès proposait une réforme de l’usufruit des bois et forêts, inchangé depuis 1804. Pour les notaires de France, ces règles sont inadaptées aux modes contemporains de gestion forestière. En outre, l’accroissement des tempêtes nécessite de fixer les droits et obligations de l’usufruitier et du nu-propriétaire. Enfin, les pratiques et usages régionaux doivent pouvoir être intégrés à cette réforme pour tenir compte de la variété des situations.
Un marché relativement restreint
Seul 1 % des forêts françaises s’échange chaque année. Il intéresse cependant de plus en plus d’investisseurs. Dopé par une demande supérieure à l’offre, le marché de la forêt française s’avère particulièrement dynamique, tiré notamment par l’accroissement des ventes de moins de 10 hectares (+ 25 %) mais également par le segment des biens de plus de 100 hectares (+ 14 %) même s’il s’agit d’un marché plus restreint. Si les particuliers sont les premiers acteurs du marché, en 2014, les personnes morales privées ont acquis près de 40 000 ha en 2014, marquant une progression de 30 %. La part nationale des surfaces forestières appartenant à des personnes morales est passée de 18 à 25 % entre 1999 et 2012, révélant le poids croissant de ces acteurs sur le marché des forêts.
Investissement à long terme, le placement forestier est préservé de la volatilité des marchés financiers. Si le rendement des forêts varie entre 1 et 2 %, il est obtenu dans le cadre d’une gestion durable assurant le renouvellement des ressources. À l’heure du développement durable et de la pénurie annoncée des énergies, la forêt constitue un investissement vert particulièrement judicieux. Depuis 1998, on enregistre une valorisation moyenne annuelle des forêts de 5 %. 90 % des transactions se négocient entre 650 et 11 500 euros. Cet écart reflète la grande diversité des biens vendus et des prix à l’hectare. Si les prix sont globalement stables depuis 4 ans, sur la période 1997-2014, le prix minimal des forêts a été multiplié par 1,6, passant de 410 à 650 M€/ha. Dans le même temps, la progression du prix maximal a été plus forte : multiplié par 2, il est passé de 5 900 à 11 500 M€/ha (indicateur 2015 du marché des forêts en France organisé par la Société forestière de la Caisse des dépôts et la FNSafer). L’investisseur peut également investir dans des groupements forestiers d’investissement (GFI), un nouveau véhicule, accessible avec une mise de fonds limitée.
Une fiscalité favorable
Les forêts bénéficient d’une fiscalité avantageuse. L’investisseur non exploitant avait ainsi la possibilité grâce à cet investissement écologique de réduire sa cotisation d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), voire même passer en dessous du seuil d’assujettissement à l’ISF. Les bois et forêts n’étaient en effet intégrés dans l’assiette de l’impôt qu’après un abattement de 75 % sur leur valeur. Pour le nouvel impôt sur la fortune immobilière (IFI), ces biens immobiliers, bien que non considérés comme des biens professionnels, peuvent également bénéficier d’une exonération partielle. Les bois et forêts ainsi que les parts de groupements forestiers sont ainsi exonérés pour les trois quarts de leur valeur. Les sommes déposées sur un compte d’investissement forestier et d’assurance (CIFA) sont également exonérées pour les trois quarts de leur valeur. La transmission par donation ou succession de ces biens peut également bénéficier, sous conditions, d’une exonération des trois quarts de la valeur sous réserve de produire un certificat attestant que les biens peuvent présenter une garantie de gestion durable. Enfin, les revenus issus de la coupe de bois sont imposés de manière forfaitaire au titre des bénéfices agricoles. Enfin, le dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement forestier, Défi-Forêt, reconduit jusqu’en 2020, dans le cadre du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2017 (PLFR 2017), a pour objectif de lutter contre le morcellement des propriétés forestières privées et à inciter les propriétaires forestiers à réaliser les actes de gestion et de prévoyance nécessaires à la gestion durable de leurs forêts. Il ouvre droit à une réduction d’impôt sur le revenu en faveur de l’investissement forestier concernant les acquisitions de bois et forêts et les cotisations d’assurance versées pour couvrir les domaines forestiers, notamment contre le risque de tempête. Il ouvre également un crédit d’impôt sur le revenu portant sur les travaux forestiers et les rémunérations dans le cadre d’un contrat de gestion. Cette prolongation du dispositif s’inscrit dans le cadre de la politique en faveur de l’investissement forestier menée par les pouvoirs publics, formalisée dans le programme national de la forêt et du bois (PNFB) 2016-2026.