Les notaires proposent de rationaliser la fiscalité du bailleur privé
Le 119e Congrès des notaires de France propose de mettre en cohérence la fiscalité des revenus issus de la location et des plus-values de cession, de créer un statut du bailleur privé professionnel et de le doter d’un régime fiscal cohérent.
Réunis en congrès à Deauville du 27 au 29 septembre 2023, les notaires ont travaillé sur le thème du logement. La deuxième commission, menée par Yann Judeau, notaire à Plouvorn (29), Xavier Lièvre, notaire à Paris (75) et Paul Bernard, notaire au Mans (72) s’est attelée à dégager des pistes pour favoriser l’accès au logement. Parmi leurs propositions, celle de créer un statut du bailleur privé et de le doter d’un régime fiscal global, cohérent et attractif.
Le besoin : augmenter le parc locatif nu long terme
Le logement connaît une crise sans précédent aux multiples causes. La hausse des taux d’intérêt, l’inflation des coûts de construction, les difficultés à obtenir un droit à construire, la fin des aides fiscales à construire (type Pinel) : tous les facteurs se conjuguent pour créer une crise de l’offre. S’y ajoute les contraintes propres aux propriétaires de biens immobiliers anciens, les plus énergivores, à qui le législateur a imposé un calendrier de rénovation énergétique faute de pouvoir donner en location leurs biens. Si cette crise de l’offre et de la demande a besoin d’un soutien conjoncturel pour atténuer les fortes tensions, les notaires proposent de prendre de la hauteur pour créer un nouvel équilibre entre l’intérêt des bailleurs et celui des locataires.
Or la fiscalité des revenus locatifs incite davantage les propriétaires à faire de la location meublée, moins destinée au logement long terme des familles. « Il n’est pas question de provoquer le grand soir fiscal, mais de procéder à des ajustements de l’existant pour rendre le cadre fiscal plus juste, plus lisible, afin que le propriétaire puisse offrir un parc locatif de qualité ».
Instituer une option pour la taxation des revenus locatifs : revenus fonciers ou BIC
Selon Yann Judeau « toutes les solutions sont en place mais manquent de cohérence. Ces incohérences proviennent des comportements abusifs : la location nue est pénalisée par rapport à la location meublée. Les règles actuelles conduisent en effet à inciter les propriétaires à développer de la saisonnière au détriment du nu long terme ». Pour neutraliser l’impact fiscal du caractère meublé du logement, les notaires proposent d’offrir aux bailleurs personne physique et société civile une option de taxation des revenus locatifs, nus ou meublés dans la catégorie des revenus fonciers ou dans celle des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). L’option serait ouverte aux locations permanentes ou saisonnières. Pour une société civile, l’option serait entre IR et IS, même si le bien loué est meublé. Si la location est assortie de services accessoires, la location se trouve alors hors champ de l’option. Il s’agit en effet d’une activité par nature commerciale, et donc soumise au régime des BIC. Enfin, dans la proposition des notaires, l’option revenus fonciers/BIC pourrait être exercée bien par les personnes physiques, mais pour l’ensemble des actifs d’une société.
Mise en cohérence du régime des plus-values de cession
Cette réforme aurait comme conséquences que ce choix de la taxation des revenus déterminera aussi le régime de taxation de la plus-value de cession du bien loué. « Pour que l’option concernant les loyers soit acceptable, la taxation du bailleur aux BIC ne doit pas être confiscatoire, explique Yann Judeau. Or actuellement, pour un bien inscrit au bilan depuis moins de deux ans, l’impôt sur le revenu au barème progressif et les cotisations sociales de l’ordre de 40 à 45 % aboutissent à un taux global de l’ordre de 90 %. C’est hors de proportion avec le taux de taxation d’une plus-value réalisée par une société soumise à l’IS. Il s’agit donc d’aligner le taux de taxation de la plus-value sur celui de la plus-value long terme, à 30 %. »
En cas d’option pour les revenus fonciers, la plus-value de cession serait donc taxée au régime des plus-values immobilières des particuliers (avec abattement pour durée de détention). En cas d’option pour la taxation des loyers aux BIC, la plus-value de cession serait soumise au régime des plus-values professionnelles, calculées à partir de la valeur nette comptable (VNC), dont tous les éléments (court terme, long terme, amortissements réintégrés) devront être taxés au taux actuel de la plus-value long terme, soit 30 %. Les notaires ne souhaitent pas ouvrir l’option aux locations meublées occasionnelles ou temporaires d’une résidence principale du contribuable, dont les revenus resteraient taxables dans la catégorie des revenus fonciers, car la taxation des plus-values de cession de telles résidences ne peut relever que du régime des plus-values immobilières des particuliers.
Régime micro-fonciers et micro-BIC
Enfin, les régimes micro-fonciers et micro-BIC seraient conservés mais harmonisés. Le seuil du micro-foncier serait aligné sur celui du micro-BIC à 77 700 euros au 1er janvier 2023 (contre 15 000 euros pour le seuil actuel du micro-foncier). En cas d’option pour le micro-BIC, la détermination de la valeur nette comptable nécessaire au calcul de la plus-value professionnelle serait effectuée en appliquant un amortissement fiscal de 3 % par an.
Un statut du loueur immobilier professionnel (LIP)
Il a paru important aux notaires de conserver un régime adapté au bailleur professionnel. Aujourd’hui, le régime de loueur en meublé professionnel est accessible si deux conditions sont remplies (les recettes doivent être supérieures à 23 000 euros et représenter plus de 50 % des revenus du foyer fiscal). Il entraîne l’exonération d’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et l’imputation des déficits sur le revenu global. Le régime s’accompagne d’un assujettissement des recettes aux cotisations sociales. « Pour éviter de subir ces cotisations sans les avoir choisies, il faut revenir à un régime optionnel : le statut du professionnel doit être rendu optionnel et étendu aux logements nus pour devenir loueur immobilier professionnel (LIP). » Le seuil d’application de ce nouveau statut du LIP serait déterminé en cumulant toutes les recettes de location immobilière, qu’elles soient taxées en tant que revenus fonciers ou en tant que BIC. À ce statut s’attacheraient deux conséquences qui existent actuellement :
– les logements concernés, devenus des biens professionnels, seraient exclus de l’assiette de l’IFI ;
– le contribuable professionnel pourrait imputer les déficits constatés dans la catégorie des BIC sur son revenu global (NB : les déficits fonciers bénéficient déjà d’un système d’imputation sur le revenu global que cette proposition ne modifie pas).
En outre, en cas de vente d’un logement d’abord soumis aux revenus fonciers puis au régime professionnel, la plus-value est soumise au régime des biens migrants. « La fiscalité actuelle est une aberration, il fallait la corriger de manière raisonnable », explique Xavier Lièvre. Cela passe par la suppression du « régime actuel du LMP qui occasionne trop de distorsions sur trop de marchés, et conduit à ce que les bailleurs meublent artificiellement leurs logements ». Selon Yann Judeau : « Il est certain que notre proposition porte atteinte aux loueurs en meublé non professionnel. Elle conserve l’amortissement mais, en matière de plus-value, le bailleur bascule dans le régime des plus-values professionnelles. Autrement dit, la valeur nette comptable tient compte de l’amortissement, mais la plus-value est taxée et soumise aux prélèvements sociaux. Le bailleur aurait donc un choix à faire entre optimiser la fiscalité de ses revenus et celle de la plus-value en restant en revenus fonciers. »
Plafonner les prélèvements sur le logement
Enfin, dernière mesure du volet fiscal de l’immobilier, le Congrès des notaires de France propose d’instituer un plafonnement des prélèvements obligatoires grevant les logements locatifs en fonction du revenu individuellement généré par chaque logement. Ce bouclier fiscal du logement s’ajouterait au plafonnement général de l’IFI. Il consisterait en un plafonnement spécifique des prélèvements obligatoires (taxe foncière, impôt sur les revenus, prélèvements sociaux, IFI) afférents à chaque logement loué, fixé à 75 % des revenus locatifs de ce logement.
Pour une égalité fiscale face à la performance énergétique
Toujours en matière fiscale, les notaires se sont penchés sur les incitations fiscales à la rénovation énergétique. Ils constatent que le dispositif dit de super déficit foncier, créé avec la loi de finances pour 2023 est réservé au seul parc locatif ancien loué nu. En vertu de ce mécanisme, le contribuable peut imputer sur son revenu global le déficit de revenus fonciers provenant de la réalisation de travaux de rénovation énergétique, dans la limite de 10 700 euros par an. Cette mesure n’est pas applicable au parc de logements loués en meublé à titre de résidence principale, dont les revenus locatifs sont fiscalisés en tant que BIC. Or, en quoi un logement meublé, loué en qualité de résidence principale, dès lors qu’il offre une performance énergétique équivalente à celle d’un logement loué nu, ne pourrait-il pas bénéficier du même effort public ?
De plus, la mesure ne concerne pas les logements acquis en état futur d’achèvement (Vefa) ou neufs, l’acquéreur payant un prix global, qui intègre le coût de la performance énergétique. Ce coût ne peut donc pas constituer une dépense déductible. « Pourtant, estiment les notaires, l’achat d’un logement neuf par un bailleur privé, qui est un bon moyen de mettre sur le marché locatif des logements qualitatifs probablement plus performants qu’un logement ancien, fût-il rénové, permet également d’augmenter le stock de logements destinés à la location. Un logement acquis sous le régime de la vente d’immeubles à rénover (VIR) ne peut pas non plus, actuellement, bénéficier de cette mesure. Il serait opportun de corriger cette inégalité de traitement fiscal ». Comment ? Ils proposent deux moyens. Le premier consiste à distinguer, lors de l’acquisition de logements locatifs vendus neufs, en Vefa ou au moyen d’un contrat de VIR, la part du prix correspondant à la charge de performance énergétique. Le second vise à assimiler la charge ainsi déterminée à une dépense déductible de mise aux normes énergétiques, autorisant par là même l’imputation sur le revenu global du déficit foncier dans la limite de 10 700 euros par an susceptible d’en résulter et ce, que la location soit consentie nue ou en meublé.
Constatant que cette valeur verte représente aujourd’hui environ 10 % de la valeur du logement, ils proposent de fixer le montant de cette charge de façon forfaitaire à 10 % du prix d’acquisition TTC en cas d’achat neuf ou en état futur et de le limiter à un plafond de 50 000 euros maximum, quelle que soit la nature du contrat de vente.
Référence : AJU010t6