Les protecteurs familiaux réclament un statut fiscal

France Tutelle plaide pour accorder un statut fiscal aux personnes qui exercent une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice avec mandataire, habilitation familiale et mandat de protection future) dans le cadre familial. L’association reconnue d’utilité publique propose d’instaurer un crédit d’impôt de 500 euros et une réduction des droits de succession de 500 euros par année civile en contrepartie de l’aide apportée.
Dans un contexte de vieillissement de la population et de vulnérabilité en France, plus de 50 % des « tutelles » et autres mesures de protection sont exercées par les familles. Onze millions d’aidants familiaux sont susceptibles d’être concernés par la protection juridique de leur proche. Pour l’association France Tutelle, il y a urgence à doter les familles exerçant une mesure de protection judiciaire d’un statut fiscal.
Protecteur, proche aidant et aidant familial
En France, entre 800 000 et 1 million de personnes vulnérables sont protégées par une mesure de protection (tutelle, curatelle, habilitation familiale, mandat de protection future, etc.). Avec le vieillissement de la population et le principe de primauté familiale en matière de protection judiciaire le nombre de protecteurs familiaux va s’accroître. Sans l’existence de ces protecteurs familiaux, plus de 500 000 personnes vulnérables devraient être accompagnées par le secteur public, associatif ou libéral, nécessitant des financements publics pérennes dédiés. Lorsque le contexte familial le permet, ces proches acceptent, au titre de la solidarité familiale, d’assumer ce rôle, sans contreparties ni formation. Selon les chiffres du ministère de la Justice, six mesures de protection judiciaire sur dix sont confiées à la famille sans contreparties (Les chiffres clés de la Justice, édition 2022).
Parallèlement, la France compte 11 millions de proches aidants (intervention hors mesures de protection). Qu’il s’agisse d’aidant familial ou de proche aidant, ces personnes accompagnent des proches, dont les capacités à pourvoir seuls à leurs intérêts commencent à s’altérer, dans la gestion de leurs affaires personnelles, financières et/ou patrimoniales, avant que ces proches ne fassent l’objet d’une protection judiciaire. C’est la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (JORF n° 36 du 12 février 2005), qui a rendu officiels la place et le rôle des aidants familiaux. L’aidant familial d’une personne en situation de handicap apporte une aide humaine à son proche bénéficiant d’heures d’aide accordées par la prestation de compensation du handicap (PCH). Quant à la notion de proche aidant, elle est définie par la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (JORF n° 0301 du 29 décembre 2015). Le proche aidant d’une personne âgée en perte d’autonomie peut être le conjoint, le partenaire avec qui la personne âgée en perte d’autonomie a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, un parent, un allié ou une personne résidant avec elle ou entretenant avec elle des liens étroits et stables comme un voisin ou un ami. Le proche aidant lui apporte son aide pour une partie ou la totalité des actes de la vie quotidienne, de manière régulière et fréquente, et à titre non professionnel. Les proches aidants de personnes âgées en perte d’autonomie correspondant à cette définition ainsi que les aidants familiaux de personnes en situation de handicap peuvent bénéficier d’aides comme :
• l’allocation journalière du proche aidant ;
• une aide au répit pour les proches aidants de personnes âgées bénéficiant de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) leur permettant de se reposer ou de dégager du temps en finançant des solutions d’aide ;
• des programmes de formation ;
• des aides fiscales s’ils hébergent durablement leur proche âgé chez eux ou s’ils participent à ses frais d’hébergement en EHPAD.
La solidarité familiale
Le rôle des proches aidants est bien souvent invisible, et leur parole rarement portée et entendue. En présentant son plaidoyer le 28 février 2024, France Tutelle souhaite alerter et sensibiliser l’ensemble des institutions et organisations concourant, de près ou de loin, à l’accompagnement des personnes vulnérables et de leurs proches aidants. En effet, le protecteur familial, qui exerce une mesure de protection judiciaire, se charge de cette mission bénévolement au titre de la solidarité familiale, sans formation ni contreparties, malgré un investissement en temps et en moyens conséquent, bien souvent en plus de son rôle de proche aidant au quotidien. D’après une étude réalisée par l’association en 2023, le protecteur familial dépenserait entre 100 et 1 000 euros par an, sans récupération sur les fonds de la personne protégée. Ces estimations n’incluent pas certains facteurs dont le temps consacré, se situant entre 120 à 240 heures par an, de l’impact médical et psychologique lié à la mission exercée et de ses conséquences psycho-socio-économiques (arrêt de travail, prise en charge médicale, soutien psychosocial …), des renoncements et adaptations de la vie quotidienne.
Selon Patrick Levard, secrétaire général de France Tutelle, « il ne s’agit pas de plaider en faveur d’une aide directe de l’État sous forme d’allocation ou de subvention, mais d’offrir, dans la logique redistributive et incitative de la loi fiscale, la possibilité de bénéficier de solutions proportionnées à l’intérêt général en question ». Une démarche qui a aussi pour vocation d’affirmer « la place et le rôle que notre société souhaite accorder à la famille dans l’accompagnement social, psychologique, administratif, financier, juridique et personnel des personnes vulnérables ». Interrogées par l’association, les familles affirment qu’il s’agirait « d’une juste contrepartie » quant à l’aide apportée.
Deux mesures fiscales pour le protecteur familial
Face à l’enjeu social que revêt la protection juridique des personnes vulnérables, France Tutelle propose deux solutions fiscales pour le protecteur familial, afin de contrebalancer l’ensemble de ses contraintes et reconnaître son rôle. La première est un crédit d’impôt de 500 euros par année civile d’exercice de la mission. Cet avantage fiscal bénéficierait à tous les protecteurs familiaux qu’ils soient imposables ou non en guise de reconnaissance de leur rôle tout au long de l’exercice de la mesure. La seconde est une réduction des droits de succession de 500 euros par année civile d’exercice de la mission. Cette mesure relative au patrimoine repose sur la reconnaissance du rôle joué par le passé dans la gestion patrimoniale de la personne protégée par le protecteur familial. En cas de cogestion d’une mesure de protection judiciaire par plusieurs membres de la famille ou par un membre de la famille et par un professionnel de la protection judiciaire des majeurs, le partage de l’avantage fiscal entre membres de la même famille désignés comme protecteurs serait une piste à privilégier.
Ces propositions visent à rééquilibrer des mécanismes de protection judiciaire portés à la fois par les familles à titre gratuit et par les protecteurs professionnels subventionnés par l’État. Ces deux solutions fiscales ont vocation à être cumulables.
Pour Jacques Delestre, président de France Tutelle : « Nous pouvons tous un jour être confronté à la vulnérabilité d’un proche et se voir désigner protecteur familial. Ce rôle, les familles l’acceptent dans une grande majorité des cas, car il s’agit avant tout d’un devoir moral. Pour autant, l’État qui finance, à juste titre, les protecteurs professionnels lorsque la famille fait défaut, ne reconnaît aux protecteurs familiaux aucune contrepartie alors qu’ils assument bénévolement les mêmes responsabilités et obligations. Qu’en serait-il pour les comptes publics si les familles n’exerçaient pas cette mission ? ». En la matière, les estimations du coût d’une mesure de protection judiciaire sont rares. Concernant les mesures exercées par les professionnels de la tutelle privés et associatifs, selon l’étude Citizing Évaluation socio-économique de la protection juridique de majeurs par les mandataires professionnels (2020), « l’accompagnement tutélaire réalisé par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) est financé principalement par les finances publiques. Le budget consacré par l’État à la protection juridique des majeurs exercée par les professionnels (privés et associatifs) s’élève en 2020 à 684,2 millions d’euros (Sénat, 2020). Rapporté aux nombres de mesures financées, nous estimons un budget de 1 377 euros par mesure de protection et par an ».
Référence : AJU012y1
