Louis-Marie Bourgeois : « Nous voulons faciliter l’accès au droit, y compris en matière fiscale » !
Une fois par an, à l’occasion de la journée nationale des fiscalistes du 11 mai, le barreau de Paris propose des consultations avec des avocats fiscalistes dans les mairies afin de faciliter l’accès au droit aux contribuables, y compris en matière fiscale. Interview avec Louis-Marie Bourgeois, avocat associé et co-responsable de la commission fiscale du barreau de Paris.
Actu-Juridique : Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte se déroule cette initiative annuelle ?
Louis-Marie Bourgeois : Cet événement ancien est né d’un souci permanent de l’ordre des avocats, celui de faciliter l’accès au droit, ce que l’on fait traditionnellement avec nombre d’autres occasions, comme la journée du droit dans les collèges, ou le bus solidarité. Mais c’est la seule initiative 100 % fiscale, car il existe une échéance annuelle pour tout le monde. C’est un moyen de nous faire connaître, car sur le domaine fiscal, nous, les avocats fiscalistes, sommes en compétences partagées avec les experts-comptables, même si eux sont davantage axés sur les entreprises que sur les particuliers. Nous saisissons donc l’opportunité d’une échéance fiscale pour rappeler que nous sommes des acteurs compétents.
Le postulat de départ est que la fiscalité a une réputation épouvantable en France, et pas seulement à cause de sa pression – il existe des pressions fiscales plus élevées ailleurs, mais elle est parfois mieux acceptée. Sans doute pour des raisons culturelles, mais aussi structurelles : en France, les impôts sont ressentis comme assez inégalitaires puisque plus de la moitié des Français ne paient pas d’impôts, alors qu’il n’y a pas la moitié des Français sous le seuil de pauvreté. Ceux qui paient des impôts ont donc le sentiment de payer pour les autres. Ce principe est mal accepté.
Dans les pays scandinaves, par exemple, la charge est plus étalée, mieux répartie, et des études sociologiques montrent aussi que payer des impôts est un facteur intégrateur. En France, ce n’est pas le choix politique qui a été fait.
Actu-Juridique : Comment se traduit ce désamour pour la fiscalité ?
Louis-Marie Bourgeois : En face de nous, nous rencontrons des gens stressés, mécontents et qui disent qu’ils n’y comprennent rien ! Cela constitue un sujet majeur. Beaucoup font un blocage, sans même avoir effectué aucune recherche, par principe. Pourtant l’administration fiscale fait des efforts monumentaux de simplification, elle a mis en place la déclaration en ligne, puis la déclaration préremplie. Pour 9 cas sur 10, la déclaration peut être faite en trois clics. À mes yeux, il est injuste de dire que la compréhension est difficile de manière générale.
Ainsi, les mairies sont remplies de gens qui ne devraient pas être là, car ce n’est pas si compliqué que ça en a l’air, mais ils stressent, ont peur d’aller en prison ou de se prendre des pénalités énormes car ils ont oublié de cocher une case. Mais je tiens à les rassurer : l’administration n’est vraiment pas dans cet état d’esprit !
Actu-Juridique : Surtout avec le droit à l’erreur ?
Louis-Marie Bourgeois : Ce droit à l’erreur est très encadré et n’est pas encore vraiment rentré dans les mœurs, donc nous manquons encore de recul à ce sujet.
Actu-Juridique : En quoi l’expérience de cette journée annuelle vous est-elle bénéfique ?
Louis-Marie Bourgeois : En tant qu’avocat au cœur du VIIIe arrondissement de Paris, je ne vois pas la même chose que dans les centres des impôts en région ou à la campagne. Nous n’y croisons habituellement pas les contribuables qui gagnent 10 000 euros de revenus. Aller en mairie permet de se confronter à la « vraie » vie, ce sont des gens qu’on ne rencontre pas dans nos cabinets, surtout moi qui suis très orienté entreprise. Je suis donc content d’y aller, ne serait-ce qu’une fois par an et de garder cet ancrage, en plus de toutes les autres personnes que nous traitons tous bénévolement au long de l’année.
Actu-Juridique : Vous dites que la déclaration fiscale a été simplifiée, mais ce n’est quand même pas toujours le cas ?
Louis-Marie Bourgeois : Dans 90 %, les cas sont simples, mais il existe de nombreux régimes qui sont vraiment complexes. Parfois, il faut déclarer telle information ici ou là, les formulaires peuvent être mal faits. Même pour nous, professionnels, forts d’au moins 5 ans de droit, dont 2 ou 3 ans de fiscalité, et 30 ans de pratique, cela peut être compliqué, alors imaginez pour le citoyen lambda.
Actu-Juridique : La complexité est donc liée au niveau de vie ou du patrimoine à déclarer ?
Louis-Marie Bourgeois : Je me souviens d’une femme venue en mairie afin de faire sa déclaration de revenus : en réalité, elle possédait 14 appartements qu’elle louait ! Je lui ai fait comprendre que sa démarche était déplacée, qu’elle devait laisser la place aux gens qui en avaient vraiment besoin et qui ne pouvaient pas se payer un conseil. Mais cette démarche reste exceptionnelle.
Parfois, certains n’ont pas beaucoup d’argent et sont pourtant confrontés à des situations compliquées. Je repense à un résident français en Espagne, dont le père est mort et qui a tout déclaré aux notaires. Pour autant, l’autorité fiscale française a saisi son compte en Espagne, avec des sommes en jeu colossales, pour finalement reconnaître qu’elle s’était trompée. Il a dû faire appel à un conseil pour que tout rentre dans l’ordre. Donc même sans avoir beaucoup d’argent, on peut être face à des situations compliquées.
Certains régimes de faveur pour les investissements locatifs ne sont pas si simples. Malheureusement, de nombreux contribuables se sont fait vanter leurs mérites par des commerciaux agressifs qui leur ont fait croire que ce crédit se rembourserait automatiquement : mais au final, quand les locataires ne paient pas pendant trois mois, ils se retrouvent étranglés face à la banque. Nous sommes particulièrement contents de les aider dans les mairies car ils n’ont pas les moyens de venir dans nos cabinets. Ces consultations sont indemnisées par le barreau, mais beaucoup d’avocats refusent et veulent le faire bénévolement. C’est un peu dans notre ADN de jouer les « Robin des bois », de passer du temps avec ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir les services d’un avocat.
Actu-Juridique : Vous dites aussi qu’en matière fiscale, il n’existe pas de recette miracle…
Louis-Marie Bourgeois : Oui, beaucoup de gens croient que parce qu’un ami ou un proche a opté pour cette stratégie fiscale, ça sera bien pour eux aussi. Moi je dis qu’il y a 67 millions de Français et 67 millions de cas particuliers. Il n’existe pas de produit qui soit formidable pour tout le monde. Il existe 1 000 critères qui font que ce qui est malin pour l’un, ne sera pas malin ou carrément catastrophique pour l’autre.
Je fais d’ailleurs beaucoup d’interventions dans des filières universitaires ou à l’école du barreau chez les non-fiscalistes, pour les sensibiliser à la matière sur le fondement de ce principe. « Arrêtez d’appliquer des recettes-types et ne faites que du cas par cas ». Sur un jour donné, il m’arrive de conseiller une chose le matin et le contraire l’après-midi, car les deux personnes n’ont pas le même âge, ni la même fortune, ni la même situation familiale, sans oublier que tous les ans, la loi change, ce qui a pour conséquence que ce qui pouvait être fait l’année dernière n’est plus possible aujourd’hui, ou dans des conditions différentes.
Actu-Juridique : Quelles sont les vertus de l’anticipation ?
Louis-Marie Bourgeois : On est bien meilleur conseiller que pompier. Quand un feu se déclare, on peut balancer de l’eau, mais dans un incendie, l’eau fait parfois encore plus de dégâts que les flammes. La certitude, c’est qu’on ne fera pas de miracle. Il y a des incendies qu’on ne va pas réussir à éteindre, qu’on va seulement circonscrire. Ce que j’apporte aux juristes non-fiscalistes (en entreprise), c’est une attention sur tel ou tel sujet qui cache une question fiscale. Savoir qu’il y en a une est une première étape, avant d’appeler le département fiscal de votre entreprise ou son avocat fiscaliste. Il y a tellement d’erreurs qui sont commises de toute bonne foi, simplement par ignorance.
Actu-Juridique : Quels sont les cas de figure les plus fréquents dans les mairies ?
Louis-Marie Bourgeois : Nous avons régulièrement des contribuables coincés par des régimes locatifs, qui se disent que c’est un régime mal fichu. Mais non, c’est souvent juste que cela ne leur convenait pas et n’était pas adapté à leur situation. Autre cas de figure croisé à la mairie : des questions sur un mariage ou un décès en cours d’année. Les gens peuvent être perdus, parfois le conjoint faisait et s’occupait de tout ce qui concerne les impôts. Il y a quelques années, on voyait encore des femmes seules, qui n’avaient pas de carte bleue ! Donc on les imagine aisément en détresse.
Actu-Juridique : Pourquoi est-il important de voir un conseil en amont ?
Louis-Marie Bourgeois : Je compare cela aux problèmes de santé. Quand on n’a pas accès aux soins, qu’on ne sait pas prendre les bons médicaments, cela cause des problèmes encore plus graves. Nous souffrons d’une image dégradée, les gens hésitent face à l’idée de payer des honoraires. Mais des contribuables nous consultent trop tard, et leurs problèmes – comme leur coût – sont démultipliés.
Référence : AJU009a3