Management package et abus de droit

Publié le 02/05/2022
Management
apinan/AdobeStock

Le Conseil d’État confirme la présence d’un abus de droit en raison de la création d’un montage artificiel transfrontalier dans le cadre d’un schéma de management package. En effet, il s’est prononcé en ce sens dans l’affaire Wendel-Editis dans un arrêt récent de janvier 2022 (CE, 28 janvier 2022, n° 433965).

Vigilance sur les schémas de management package

Bercy tend généralement à aborder les schémas de management package avec  une certaine suspicion. Ces dispositifs d’intéressement des dirigeants ou des cadres salariés au développement de leur entreprise sont typiquement utilisés dans des opérations de type leverage buy-out (LBO). Ils permettent à ces cadres d’appréhender, en cas de succès économique de l’opération, une fraction des gains supérieure à la part qui aurait dû être si on se limite à une allocation strictement proportionnelle aux montants investis. Ces montages reposent sur l’octroi, lors de l’acquisition ou la cession de ces titres, de conditions préférentielles, généralement indexées sur la rentabilité de l’investissement de l’investisseur financier partie à l’opération. Or, lorsque les titres sont attribués dans des conditions préférentielles octroyées eu égard à la qualité de salarié ou de mandataire social sans aucune prise de risque financière ou en contrepartie d’un investissement modique, les gains qui en sont issus constituent un avantage en argent imposable dans la catégorie des traitements et salaires (CE, 26 septembre 2014, n° 365573). Ces dispositifs sont régulièrement remis en cause par l’administration fiscale qui a d’ailleurs consacré une fiche aux management packages dans sa cartographie des montages abusifs  (https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgfip/controle_fiscal/montages_abusifs/Fiche_01_Management_package_2017-05-23.pdf).

Pour l’administration fiscale, ces montages, s’ils ne présentent pas un caractère systématiquement frauduleux, peuvent conduire à exonérer à tort les gains réalisés (inscription des titres dans un PEA) ou à leur faire bénéficier indûment des avantages liés au régime social (absence de cotisations sociales) et fiscal des plus-values mobilières (application d’abattements, différés d’imposition…). Lorsqu’elle estime qu’en dehors de tout dispositif légal d’intéressement, un dirigeant salarié ou toute autre personne en relation d’affaires avec un groupe de sociétés bénéficie ou s’est vu attribuer ou a cédé dans des conditions préférentielles des titres porteurs d’un intéressement, l’administration fiscale procède à une requalification du gain réalisé le plus souvent à l’issue de l’opération pour l’imposer, non pas dans la catégorie des plus-values, mais dans celle des salaires. « La procédure d’abus de droit fiscal peut être mise en œuvre lorsque les cadres-dirigeants ont eu recours à un montage destiné à effacer toute imposition (PEA, interposition d’une structure…), auquel cas les rappels correspondants sont assortis d’une majoration de 80 % », rappelle Bercy dans sa cartographie des montages abusifs.

Un montage abusif

En 2004, la société Wendel Investissement a mis en place un mécanisme visant à associer à son opération de rachat du groupe d’édition Editis certains de ses cadres dirigeants ainsi que des cadres dirigeants du groupe Editis. Le contribuable Monsieur H. a ainsi acquis, le 20 octobre 2004, pour un montant total de 75 000 euros, 37 500 actions de la société Odyssée Management, société détenue indirectement par la société Wendel Investissement et regroupant les cadres du groupe Editis associés à cette opération. Il a revendu ces actions à leur prix d’acquisition, le 19 décembre 2005, à la société de droit belge qu’il avait créée peu avant avec son épouse et leurs trois enfants. Avant la revente du groupe Editis, le 30 mai 2008, par le groupe Wendel, cette société a, le 20 mai 2008, cédé l’ensemble de ses actions de la société Odyssée Management à la société Ofilux Finances, filiale du groupe Wendel, au prix de 1 212 746 euros. Le gain ainsi réalisé de 1 137 746 euros a bénéficié de l’exonération totale d’imposition, instituée par l’article 192 du code de l’impôt sur les revenus belge, en faveur des plus-values de cession de participations détenues par des sociétés holdings belges. Mais à la suite d’un contrôle, l’administration fiscale, estimant que la société, dépourvue de substance économique, avait été interposée dans un but exclusivement fiscal, a engagé une procédure de répression pour abus de droit, sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, à l’encontre du contribuable et de son épouse. Écartant l’interposition de cette société, elle a imposé entre les mains du contribuable le gain résultant de la cession des actions de la société Odyssée Management, à hauteur de 60 % dans la catégorie des traitements et salaires et de 40 % selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières prévu à l’article 150-0 A du Code général des impôts. Le couple s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 juin 2019 qui les a rétablis au rôle de l’impôt sur le revenu de l’année 2008 en retenant l’existence d’un abus de droit et en jugeant que la totalité du gain en litige était imposable dans la catégorie des traitements et salaires.

La procédure d’abus de droit

Aux termes du premier alinéa de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, l’administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Le juge d’appel, pour juger que la société de droit belge à laquelle le contribuable a cédé ses titres de la société Odyssée Management était dénuée de substance économique, a relevé qu’elle ne disposait ni de locaux, ni de moyens, ni de personnel, que les titres de la société Odyssée Management avaient constitué son seul patrimoine entre sa création et leur vente en 2008, qu’elle avait réglé leur acquisition par inscription au crédit du compte courant d’associé ouvert au nom du contribuable dans ses livres et que, compte tenu du pacte d’actionnaires conclu par les associés de la société Odyssée Management, elle ne disposait d’aucune autonomie de gestion sur ces titres. Ce faisant, la cour s’est livrée, sans les dénaturer, à une appréciation souveraine des faits de l’espèce et n’a pas commis d’erreur de droit. En retenant que l’interposition de la société belge dans l’opération en cause était artificielle et qu’elle n’avait eu d’autre but que de faire échapper la plus-value de cession à son imposition en France, la cour administrative d’appel a exactement qualifié les faits de l’espèce et n’a pas méconnu le principe de la liberté d’établissement garanti par l’article 47 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Le Conseil d’État confirme donc l’existence d’un abus de droit à raison de la mise en place d’un montage artificiel.

Management package : le Conseil d’État confirme sa jurisprudence

Le Conseil d’État, dans trois arrêts rendus en formation plénière, le 13 juillet 2021, a établi une nouvelle grille de lecture en matière de taxation des contrats d’options d’achat d’actions (COA) et des bons de souscription d’actions (BSA) (CE, 13 juillet 2021, n° 428506, CE, 13 juillet 2021, n° 435452 et CE, 13 juillet 2021, n° 437498). Pour le Conseil d’État, les gains résultant de l’acquisition, de l’exercice et de la cession de BSA et de COA doivent être imposés dans la catégorie des traitements et salaires et non dans celle des plus-values mobilières dans la mesure où un lien avec les fonctions de dirigeant ou de salarié du bénéficiaire est suffisamment caractérisé. Dans l’affaire Wendel-Editis, le Conseil d’État fait application de cette nouvelle grille de lecture. Les gains nets retirés par une personne physique de la cession à titre onéreux de bons de souscription d’actions ou d’actions sont en principe imposables suivant le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers institué par l’article 150-0 A du CGI, y compris lorsque ces bons ou actions ont été acquis ou souscrits auprès d’une société dont le contribuable était alors dirigeant ou salarié, ou auprès d’une société du même groupe. Il en va toutefois autrement lorsque, eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit être regardé comme acquis, non à raison de la qualité d’investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant et constitue, ainsi, un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application de l’articles 79 du CGI et de l’article 82 du CGI, réalisé et disponible l’année de la cession de ces bons ou actions.

C’est donc sans dénaturation des pièces du dossier ni erreur de droit que la cour d’appel a pu déduire de l’ensemble de ces circonstances que la souscription des actions de la société Odyssée Management visait à associer le contribuable à raison de ses fonctions dirigeantes au sein du groupe Editis, au partage de la plus-value dégagée lors de la cession ultérieure du groupe, et que le gain, dans les conditions dans lesquelles il a été réalisé, résultant de la cession de ses titres de la société Odyssée Management se rattachait aux fonctions exercées au sein de ce groupe. Ayant caractérisé l’existence d’un revenu acquis en contrepartie des fonctions de cadre dirigeant du contribuable, le juge d’appel a pu, sans erreur de qualification juridique des faits, juger que l’administration établissait que ce gain ne pouvait être regardé comme un gain en capital taxable dans la catégorie des plus-values mais comme un complément de rémunération, imposable au barème de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du CGI.

X