Management packages : le Conseil d’État privilégie le lien salarial

Publié le 17/01/2022
Bulletin de salaire et pile de pièces
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Les gains obtenus par les dirigeants d’entreprises à raison de leurs management packages doivent être imposés comme un salaire s’ils sont liés à l’exercice des fonctions : telle est la solution rendue par le Conseil d’État dans trois arrêts de formation plénière du 11 juillet 2021.

Par trois arrêts de formation plénière, le Conseil d’État vient de juger que les gains issus des management packages sont imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires dès lors qu’ils prennent leur source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou de salarié (CE, 11 juill. 2021, n°s 428506, 437498 et 435452).

BSPCE, AGA, BSA et COA, etc.

Les management packages sont des dispositifs d’acquisition d’actions d’entreprises proposés aux dirigeants ou aux salariés afin d’aligner leurs intérêts sur ceux des actionnaires. Outils de fidélisation et d’attractivité, ils se composent de l’ensemble des instruments d’intéressement au capital.

Les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE) sont une catégorie particulière de stock-options : leur attribution correspond à la délivrance d’un bon d’achat de part de la société à un prix fixé le jour de son attribution par le conseil d’administration. Si les conditions prévues par le contrat d’émission sont réalisées et le prix de souscription versé, les bons seront convertis en actions.

Les stock-options sont des options d’achat qui permettent à leur bénéficiaire de souscrire ou d’acquérir des actions de la société à une valeur prédéterminée dans un délai fixé.

Comme leur nom l’indique, les attributions gratuites d’actions (AGA) consistent à attribuer sans contrepartie des actions à l’issue d’une « période d’acquisition » d’une durée minimale d’un an. Si cette période d’acquisition est inférieure à deux ans, elle peut être assortie d’une période de conservation. À l’issue de la période d’acquisition, leur titulaire est donc actionnaire.

Quant aux bons autonomes de souscription d’action (BSA), ils sont des valeurs mobilières qui donnent le droit d’accéder à des actions de sociétés à un prix d’exercice prédéterminé, et jusqu’à une certaine date. Enfin, les contrats d’option d’achat d’actions (COA) donnent à leurs détenteurs le droit, sans obligation, d’acheter ultérieurement un actif sous-jacent, dans un délai et à un prix fixés à l’avance.

La fiscalité des gains

Le régime d’imposition des gains tirés des BSA et des COA n’a pas été défini par la loi. Dans l’affaire qui a donné lieu aux trois arrêts de la haute juridiction administrative le 11 juillet dernier, deux contribuables contestaient l’assujettissement à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires des gains qu’ils avaient réalisés après la cession de leurs BSA. Ils estimaient que ces gains auraient dû être considérés comme des plus-values des particuliers et donc être taxés selon des modalités plus favorables. Un troisième contribuable avait cédé les actions acquises en exécution d’un COA, les avait déclarés dans la catégorie des plus-values des particuliers, ce que contestait l’administration fiscale.

Salaire ou gain en capital ?

Ces gains doivent-ils être imposés au rang des traitements et salaires au nom de l’article 79 du Code général des impôtsen vertu duquel « les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l’impôt sur le revenu », comme le soutient l’administration fiscale ? L’article 82 du même code (CGI, art. 82) liste les éléments à prendre en compte : « Pour la détermination des bases d’imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits ». Ou sont-ils des gains de valeurs mobilières visés par l’article 150-0 A et 105-0 D du CGI (CGI, art. 150-0 A et CGI, art. 105-0 D) ?

L’enjeu est de taille : si les traitements et salaires sont imposés à l’impôt sur le revenu barème progressif, les plus-values de cession de titres réalisées par les particuliers étaient, à l’époque des faits, déjà soumises à un taux forfaitaire. Et depuis le 1er janvier 2018, les plus-values de cessions sont soumises au prélèvement forfaitaire unique au taux de 12,80 %, auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux, pour une taxation globale forfaitaire au taux de 30 % ; l’imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu étant optionnelle.

La question soumise à la haute juridiction administrative portait donc sur :

Grille d’analyse : les trois phases

Le Conseil d’État suit les conclusions de son rapporteur public, Émilie Bokdam-Tognetti, qui livre une grille de lecture distinguant trois phases. Lorsque les BSA ont été souscrits ou acquis pour leur valeur de marché, il faut examiner qu’un avantage peut être constaté. Dès lors le bon est acquis dans des conditions préférentielles. S’il est caractérisé et si le caractère préférentiel du prix pratiqué a trouvé sa cause dans la qualité de salarié ou dirigeant du souscripteur, l’avantage relève fiscalement des traitements et salaires.

Lors de l’exercice du bon ou des options, le gain d’exercice d’un BSA ou le gain de levée d’option, gains qui trouvent essentiellement leur source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou de salarié doivent être regardés comme un avantage en argent accordé en sus du salaire, imposable dans la catégorie des traitements et salaires.

Lors de la cession de ces bons ou des actions résultant de l’exercice de ces bons ou options, c’est le principe de l’imposition selon le régime des plus-values qui prime, des exceptions pouvant toutefois être prévues lors de la cession d’un BSA. Selon le rapporteur, « ce n’est pas l’absence de risque en tant que telle, mais l’intervention de la main de l’employeur dans les conditions de réalisation du gain de cession et la fixation de son prix qui peut modifier la nature du gain ».

Un avantage accordé en sus du salaire

Le Conseil d’État raisonne sur le caractère préférentiel de l’outil d’intéressement. « La circonstance que des options d’achat d’actions ou des bons de souscription d’actions ont été acquis ou souscrits à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à la date de cette acquisition ou souscription est de nature à révéler l’existence d’un avantage à concurrence de la différence entre le prix ainsi acquitté et cette valeur ».

Ensuite, il en déduit qu’ « un tel avantage, lorsqu’il trouve essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié, a le caractère d’un avantage accordé en sus du salaire, imposable au titre de l’année d’acquisition ou de souscription des options ou des bons dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du CGI ».

Un frein au private equity ?

« La solution risque d’impacter très négativement le private equity et précisément les opérations de LBO, pourtant essentielles au financement et au développement de nos entreprises », anticipe Stéphane de Lassus, avocat associé auprès de Charles Russell Speechlys. « La position adoptée par le Conseil d’État fait fi du risque pris par les managers, lequel, à mon sens, ne peut rattacher le gain qu’à une opération d’investissement. Cet investissement des managers en capital risque peut pourtant être très élevé, et peut représenter jusqu’à plusieurs années de salaires dans certains LBO », ajoute-t-il.

Dès lors, dans ce nouveau contexte, comment la pratique peut-elle s’adapter ? « Les conclusions du rapporteur public invitent les entreprises à délaisser les instruments contractuels et à se tourner vers les instruments d’intéressement légaux, principalement les attributions gratuites d’actions, indique Stéphane de Lassus. Mais c’est mal connaître les AGA, lesquelles en pratique ne peuvent pas remplir tous les objectifs de l’alignement des intérêts entre managers et fonds d’investissements dans un LBO. Par exemple, leurs recours est limité à 10 % du capital et ils ne permettent pas aux top managers d’investir aux côtés de investisseurs. Si l’on veut maintenir une industrie du private equity en France, il est essentiel que le législateur se saisisse de la question et comprenne que la rémunération du risque n’est pas un salaire ».

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