Niches fiscales : peut mieux faire

Publié le 20/07/2017

L’objectif de maîtrise des niches fiscales n’est pas atteint, constate la Cour des comptes.

À chaque collectif budgétaire le gouvernement affiche son objectif de réduire les niches fiscales. Dans les faits, ces dépenses fiscales continuent de croître. La Cour des comptes critique le défaut de maîtrise des dépenses générées par les quelque 451 niches fiscales dans son dernier rapport sur le budget de l’État1.

La notion de niche fiscale

Si tout dispositif qui porte atteinte à l’assiette et au taux de l’impôt ou au résultat de cette arithmétique est a priori considéré comme une niche fiscale, il n’existe pas de définition juridique précise du concept de niche fiscale. A contrario, il existe une définition de la notion de dépense fiscale. La notion de dépense fiscale a été introduite en droit français par l’article 32, alinéa IV, de la loi de finances pour 1980. D’origine administrative, le concept de dépense fiscale recouvre les dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en œuvre entraîne pour l’État une perte de recettes et donc, pour les contribuables, un allégement de charge fiscale par rapport à la situation qui aurait été la leur au regard du droit commun. Précisons que les critères des dépenses fiscales ont varié dans le temps. Ainsi, depuis 2009, seuls sont considérés comme des dépenses fiscales les avantages accordés à une catégorie particulière de contribuables ou d’opérations. Il n’existe pas de définition harmonisée de la notion de dépense fiscale dans les différents pays de l’OCDE. Et certains États ont introduit des critères supplémentaires. La Belgique intègre ainsi la notion de portée incitative pour les caractériser. L’Allemagne les définit, quant à elle, par équivalence avec des subventions budgétaires. Au Royaume-Uni, leur qualification repose sur la possibilité, théorique, de les remplacer par une dépense directe.

Des dépenses fiscales en hausse

Premier constat, les dépenses occasionnées par les niches fiscales sont en augmentation. Pour 2016, le projet de loi de finances pour 2016 estimait à 83,4 Md€ le coût total des niches fiscales en 2016. Dans le projet de loi de finances 2017, ces dépenses fiscales sont réévaluées à 85,8 Md€, soit une hausse de 2,4 Md€. En 2010, le coût des dépenses fiscales était de 72,7 Md€. Après une stabilisation entre 2010 et 2013, il a recommencé à augmenter en 2014 et 2015 (+ 13 Md€ en deux ans), principalement en raison de la montée en charge du CICE (+ 12,4 Md€ sur la même période). La révision à la hausse du chiffrage des dépenses fiscales en 2016 résulte, pour l’essentiel, de mesures adoptées après le dépôt du PLF pour 2016. Le coût de ces nouvelles mesures est estimé à 1,7 Md€. De mesures nouvelles ont également été introduites en cours de gestion, hors évolutions de périmètre. La principale mesure nouvelle est le dispositif en faveur de l’investissement dans les entreprises, dit « suramortissement Macron », créé par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Ce dispositif a été prorogé et renforcé par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, qui a porté son coût pour l’année 2016 à 0,9 Md€, soit 0,4 Md€ de plus que l’estimation du PLF 2016. Cependant, l’augmentation du coût des dépenses fiscales en 2016 ne s’explique pas uniquement par l’adjonction de nouvelles niches fiscales. En l’absence de tout nouveau dispositif, ce coût progresse de 0,7 Md€ entre le PLF pour 2016 et le PLF pour 2017. Cette augmentation s’explique, pour 0,3 Md€, par un changement de méthode de chiffrage de vingt dispositifs et, pour 0,3 Md€ également, par des écarts de prévisions de l’évolution spontanée de certaines dépenses. Certains dispositifs ont évolué comme les nouveaux critères mis en place pour l’exonération de la taxe d’habitation en raison de la suppression de la demi-part des veuves pour le calcul de l’impôt sur le revenu ou ont été prolongés comme le crédit d’impôt transition énergétique désormais chiffré comme la 11e dépense fiscale la plus coûteuse.

Une multitude de dispositifs

Le coût des dépenses fiscales apparaît particulièrement concentré puisque les 15 premiers dispositifs représentent plus de la moitié du total estimé pour 2016, soit 45,8 Md€. L’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés concentrent 64 % du montant des dépenses fiscales. Les dispositifs associés à la TVA participent à hauteur de 21 % des coûts. Les dépenses associées à tous les autres impôts représentent, pour leur part, 15 % du coût total des dépenses fiscales pour 2016 chiffrées dans le PLF pour 2017. Cependant, souligne la Cour des comptes, « la concentration du coût des dépenses fiscales ne doit pas occulter la multitude de petits dispositifs, dont l’efficacité n’est pas établie. 131 dispositifs ont un coût inférieur à un million d’euros ou un coût non chiffré ». Les dépenses fiscales non chiffrées correspondent soit à des dépenses fiscales dont le coût est supposé ne pas excéder 0,5 M€ par an, soit à des dépenses impossibles à chiffrer, notamment parce que le nombre de leurs bénéficiaires ne fait pas l’objet d’un suivi par l’administration fiscale. En outre, 187 dépenses fiscales recensées par le PLF 2017 ont été créées avant 1996. 37 d’entre elles n’ont pas connu de modification depuis plus de vingt ans. Elles représentent un coût de 2 Md€ en 2016. De même, 39 mesures ont été instaurées avant 1958. « Le statut de ces dépenses fiscales anciennes mériterait un réexamen par la direction de la législation fiscale », avancent les sages de la rue Cambon. Dans certains cas, ces régimes dérogatoires sont devenus, avec le temps, la norme de calcul de l’impôt, ce qui justifierait leur déclassement.

Comment mieux maîtriser ces dépenses fiscales ?

La maîtrise des dépenses fiscales repose sur des règles de gouvernance fixées par deux circulaires du Premier ministre de 2010 et 2013 et un plafond prévu par la LPFP 2014-2019. Des conférences fiscales introduites en 2013 doivent permettre de décliner par ministère les orientations résultant des circulaires et de la LPFP. Pour la Cour des comptes, « ces instruments restent cependant largement inopérants ». Une circulaire du Premier ministre du 4 juin 2010 demande à l’ensemble des ministres « de ne plus insérer de dispositions fiscales ou qui affectent les recettes de la sécurité sociale dans les projets de lois ordinaires ». La circulaire du Premier ministre du 14 janvier 2013 dispose, quant à elle, que le recours aux dépenses fiscales ne doit pas venir en substitution d’une dépense budgétaire et doit être compensé par la diminution d’une autre dépense fiscale. La nouvelle mesure de suramortissement a néanmoins été créée dans le cadre d’une loi ordinaire, la loi du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, et prorogée et étendue par une autre loi ordinaire, la loi du 7 octobre 2016, pour une République numérique, dans les deux cas sans réduction en contrepartie d’une autre dépense fiscale.

Sur la période 2015-2016, le coût estimé des dépenses fiscales est supérieur au plafond des dépenses fiscales établi en LPFP. Mais, souligne la Cour des comptes, ce calcul présenté par l’administration fiscale sous-estime ce dépassement, en raison de la méthode appliquée. En réintégrant la prime pour l’emploi, le plafond des dépenses fiscales pour 2016 est dépassé de 3,5 Md€. « Cette situation illustre la nécessité de mettre en place une charte d’évaluation des dépenses fiscales et crédits d’impôt, analogue à la charte de budgétisation », concluent les sages de la rue Cambon. À cet égard, la Cour des comptes renouvelle sa recommandation faite dans le rapport sur le budget de l’État 2015. S’agissant du plafond des crédits d’impôt, celui-ci paraît respecté en 2016 dans la présentation de l’administration fiscale, qui ne traite pas la suppression de la PPE en mesure de périmètre. En effectuant le même retraitement que pour le plafond des dépenses fiscales, la Cour des comptes constate qu’il n’en est rien, puisque ce plafond est alors dépassé de 1,7 Md€. « Aucun des deux plafonds n’est donc respecté, pas plus en 2015 qu’en 2016. Le dépassement observé en 2015 n’a donné lieu à aucune mesure correctrice en 2016, ce qui pose la question de l’effectivité de ces deux plafonds », soulignent les sages de la rue Cambon.

Peu de résultats tangibles pour les conférences fiscales

Dans le cadre du budget 2014, conformément à l’engagement de retour à l’équilibre des finances publiques, la loi de programmation des finances publiques a prévu une maîtrise accrue des dépenses fiscales, dont le coût total doit être stabilisé en valeur. Pour respecter cet objectif de stabilisation en valeur des dépenses fiscales, il est nécessaire de compenser la hausse spontanée du coût des dépenses fiscales, comme les éventuelles créations ou extensions de dépenses fiscales, par des suppressions ou des réductions de niches. Cet effort concernant les dépenses fiscales, demandé à tous les ministères, commande donc des mesures garantissant globalement une réduction de 5 % du montant total des dépenses fiscales au-delà des arbitrages déjà intervenus. Pour parvenir à cet objectif, des conférences fiscales ont été mises en place. Elles se déroulent parallèlement aux conférences de sécurisation du budget triennal pour les dépenses dans un cadre associant chaque ministère responsable d’une politique publique et les services du MINEFI. L’organisation de ces conférences est assurée par la DLF. Tout comme en 2015, le bilan des conférences fiscales organisées en 2016 est modeste. Le document de cadrage de la direction de la législation fiscale et de la direction du budget proposait de supprimer huit dépenses fiscales, pour un coût estimé de 80 M€ et d’en modifier environ 30 autres. Seules trois dépenses fiscales ont été supprimées. Il s’agit de l’amortissement exceptionnel des logiciels acquis par les entreprises pour un coût chiffré à 13 M€ de la déduction d’impôts liée aux travaux de grosses réparations dans le cadre de démembrements de propriété consécutifs à une succession ou une donation estimée à 30 M€ pour 2016 et du crédit d’impôt relatif à la prime d’assurance contre les loyers impayés, une dépense estimée à 5 M€ en 2016. La conférence fiscale du ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social a permis de parvenir à un consensus sur la non-réactivation de deux dépenses fiscales en cours d’extinction, la réduction d’impôt pour les tuteurs de chômeurs qui créent ou reprennent une entreprise et le crédit d’impôt en faveur de l’intéressement, dont les faits générateurs ont pris fin respectivement en 2014 et 2011. Leur coût estimé pour 2016 était d’environ 20 M€. À l’inverse, les conférences fiscales ont abouti dans certains cas à la prorogation de dépenses fiscales bornées dans le temps, voire à l’extension de certaines dépenses fiscales. Ainsi dans le cadre de la conférence fiscale du ministère du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité, la mesure Pinel, dont le coût est évalué à 1,6 Md€ ainsi que la dépense dite « Censi-Bouvard » relative à la réduction d’impôt sur le revenu au titre des investissements locatifs, dont le coût était chiffré à 0,2 Md€ en 2016 ont été reconduites pour un an. « L’amélioration des résultats des conférences fiscales supposerait que les responsables de programmes et la direction de la législation fiscale soient en position de porter une appréciation sur l’efficacité des dépenses fiscales », préconise la Cour des comptes. Une ambition qui n’est réalisable que si les objectifs poursuivis par ces dépenses sont précisément définis et leurs résultats évalués. La faible articulation entre les dépenses fiscales et les objectifs des programmes auxquels elles se rattachent est relevée depuis plusieurs années par la Cour des comptes. Cette difficulté perdure en 2016, ce qui conduit la Cour à maintenir sa recommandation de rattacher les dépenses fiscales en fonction des objectifs de leur programme budgétaire. La mission Écologie, développement et mobilité durables recense ainsi 38 dépenses fiscales relatives essentiellement à l’énergie, au climat, aux transports, au logement ou à la préservation des ressources naturelles. Néanmoins, la volonté de soutenir économiquement les secteurs concernés entre souvent en contradiction avec les objectifs de politiques publiques sous-jacents. En particulier les dépenses fiscales liées aux remboursements ou aux taux réduits de TICPE pour certains utilisateurs de carburants sont souvent contraires à l’objectif de minimiser les émissions de CO2 porté par le ministère ou à l’objectif de « développer la part des modes alternatifs à la route dans les déplacements des personnes et le transport de marchandises » du programme 203 – Infrastructures et services de transport, auxquelles elles sont pourtant majoritairement rattachées. S’agissant de la mission Outre-mer pour laquelle le montant des dépenses fiscales est supérieur aux crédits budgétaires, 24 des 26 dépenses fiscales ont le même objectif, formulé de manière relativement peu précise, d’aider certains espaces géographiques.

Des dépenses fiscales encore trop peu évaluées

À l’exception du CICE pour lequel une évaluation annuelle a été mise en place, les évaluations de dépenses fiscales demeurent rares. En effet, lors de l’entrée en vigueur du dispositif CICE, un comité chargé du suivi et de l’évaluation du CICE a été mis en place, regroupant des parlementaires, les partenaires sociaux, des experts ainsi que des représentants de l’Administration. Ce comité rend un avis annuel, étayé par un rapport d’analyse. Contrairement aux précédents exercices, qui reposaient sur des enquêtes déclaratives, l’évaluation 2016 a été fondée pour la première fois sur l’exploitation de données individuelles d’entreprises portant sur les années 2013 et 2014. Trois équipes de chercheurs ont conduit les analyses sur lesquelles se sont appuyés l’avis et le rapport du comité. Dans son avis publié le 28 septembre 2016, le comité d’évaluation a retenu quatre conclusions principales. Le CICE a permis d’améliorer sensiblement les marges des entreprises. Il n’a pas eu d’impact de court terme sur l’investissement, la recherche et développement ou les exportations. Il a probablement eu un effet direct de l’ordre de 50 000 à 100 000 emplois créés ou sauvegardés sur la période 2013-2014. Il n’a eu que peu d’effets sur les salaires par tête. Cet avis a fait l’objet d’une actualisation en mars 2017 qui ne modifie pas les conclusions ci-dessus. L’article 23 de la LPFP 2014-2019 prévoit que, pour toute mesure de création ou d’extension d’une dépense fiscale entrée en vigueur pour une durée limitée à partir du 1er janvier 2015, le gouvernement présente au Parlement, au plus tard six mois avant l’expiration du délai pour lequel la mesure a été adoptée, une évaluation de celle-ci et, le cas échéant, justifie son maintien pour une durée supplémentaire de trois années. Cette disposition a succédé à une autre plus ambitieuse qui prévoyait une évaluation intégrale des dépenses fiscales sur cinq ans entre 2013 et 2017. La Cour a continué à recommander de réaliser cette évaluation exhaustive après l’abrogation de cette disposition par l’article LPFP 2014-2019. Ni l’évaluation du stock des dépenses fiscales prévue par la LPFP 2012-2017 et recommandée par la Cour, ni l’évaluation des nouvelles dépenses fiscales, telle qu’elle est conçue par la LPFP 2014-2019, n’ont été pleinement appliquées. Ainsi, le crédit d’impôt recherche (CIR), une dépense fiscale de l’ordre de 5,4 Md€ n’a jamais fait l’objet d’une évaluation dans le cadre de l’article 18 de la LPFP 2012-2017. Il en est de même, de l’exonération des plus-values immobilières au titre des cessions d’immeubles au profit d’organismes chargés du logement social qui a été prorogée en 2016 par voie d’amendement, sans que l’évaluation prévue par l’article 21 de la LPFP 2014-2019 n’ait été réalisée. Si les dépenses fiscales sont formellement incluses dans le champ des revues de dépenses instaurées par l’article 22 de la LPFP pour 2014-2019, aucun objectif en termes de nombre de dépenses fiscales à examiner chaque année n’a été fixé. En 2016, une revue de dépenses a examiné les dispositifs associés aux zones franches d’activité (ZFA) outre-mer, qui représentent un enjeu de 90 M€. La mission a estimé qu’il pourrait être envisagé de proroger le dispositif, tout en en réexaminant les modalités et en réorientant les contreparties vers des actions de formation adaptées.

La Cour des comptes recommande donc de « relancer un programme ambitieux d’évaluation des dépenses fiscales dans le cadre de la prochaine programmation pluriannuelle ». L’exercice 2016 constitue une étape supplémentaire dans le desserrement progressif des contraintes sur l’évolution des dépenses fiscales. Après une stabilisation entre 2010 et 2013, la montée en charge du CICE a provoqué une forte augmentation en 2014 et 2015 qui était cependant pratiquement concentrée sur ce seul dispositif. L’exercice 2016 enregistre, au contraire, une pause dans l’augmentation du CICE, mais une reprise de l’augmentation des autres dépenses fiscales, signant l’échec des instruments actuels de maîtrise de ces dépenses.

Notes de bas de pages

  • 1.
    https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20170531-rapport-budget-Etat-2016-resultats-gestion.pdf.
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