Obligation de communication et documents obtenus auprès de tiers
Le Conseil d’État précise les obligations de l’administration fiscale vis-à-vis du contribuable vérifié lorsque son redressement est fondé sur les déclarations de revenus remplies par des tiers.
Arme très efficace dans les mains de l’Administration, le droit de communication s’accompagne pour le contribuable d’un certain nombre de droits et garanties. La jurisprudence du Conseil d’État encadre ce droit et fait progresser les garanties du contribuable. Le Conseil d’État vient ainsi de juger, de façon inédite, que l’administration fiscale ne peut se fonder sur des renseignements ou documents obtenus auprès de tiers pour procéder au redressement des bases d’imposition d’un contribuable sans l’avoir informé, préalablement à sa mise en recouvrement, de l’origine et de la teneur de ces renseignements1. Le Conseil d’État précise que cette obligation ne se limite pas aux renseignements et documents obtenus de tiers par l’exercice du droit de communication mais qu’elle concerne également les informations fournies à titre déclaratif à l’Administration par des contribuables tiers, dont elle tire les conséquences pour reconstituer la situation du contribuable vérifié.
Le droit de communication, un droit encadré
Dans le cadre de son droit de contrôle, l’administration fiscale peut se faire communiquer des documents ou des informations par des tiers qu’il s’agisse d’entreprises privées, d’administrations, d’établissements et d’organismes divers, voire par le contribuable lui-même pour vérifier l’exactitude des déclarations souscrites. Afin que le principe du contradictoire soit respecté, l’Administration est tenue d’informer le contribuable de la teneur et de l’origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s’est fondée pour établir l’imposition faisant l’objet de la proposition de rectification, avant la mise en recouvrement, de l’origine et de la teneur de ces renseignements, conformément à l’article L. 76 B du Livre des procédures fiscales (LPF). Cette obligation d’information a reçu un grand nombre de précisions jurisprudentielles. Elle a pour but, en quelque sorte, de rétablir l’égalité des armes et de permettre au contribuable, de discuter utilement la provenance des informations le concernant ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contenaient ces renseignements, soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. L’article L. 76 B du LPF ne comporte pas de précision sur la date à laquelle doit intervenir l’information du contribuable sur l’origine et la teneur des renseignements et documents recueillis auprès de tiers. Cet article précise seulement que l’Administration doit communiquer, avant la mise en recouvrement, une copie des documents concernés au contribuable qui en fait la demande. Le Conseil d’État a précisé cette garantie du contribuable, affirmant dans une solution protectrice que le droit à l’information du contribuable s’applique tout au long de la procédure d’imposition2.
Un redressement fondé sur des déclarations déposées par des tiers
Quels sont les documents qui sont concernés par cette obligation de transmission ? Le Conseil d’État a précisé que cette obligation de transmission ne s’étend pas aux informations fournies annuellement par des tiers conformément aux dispositions du CGI3. Les informations fournies annuellement à l’Administration par les employeurs, ou les établissements procédant à des versements de revenus de capitaux mobiliers, par exemple, ne sont pas concernées par cette obligation d’information. Cette obligation ne s’applique pas non plus aux informations nécessairement détenues par les différents services de l’administration fiscale en application de dispositions législatives ou réglementaires, a encore précisé le juge administratif4. Ainsi les informations contenues dans le fichier immobilier, qui proviennent des actes déposés au service des impôts par des professionnels du droit ou des autorités administratives n’entrent pas dans le champ de cette obligation. En revanche, l’obligation d’information s’étend aux informations fournies à titre déclaratif à l’Administration par des contribuables tiers, comme celles issues de leurs déclarations de revenus, dont elle tire les conséquences pour reconstituer la situation du contribuable vérifié. Le Conseil d’État complète ici sa jurisprudence dans une affaire où l’administration fiscale a procédé à la rectification du quotient familial d’un contribuable et du montant de ses revenus imposables dans la catégorie des revenus fonciers. Des suppléments d’impôt sur le revenu et de contributions sociales ont été mis à la charge de l’intéressé, au titre de l’année 2001, du chef de ces rectifications et assortis de la majoration prévue à l’article 1729 du Code général des impôts pour mauvaise foi. En effet, l’administration fiscale a remis en cause la déclaration d’impôt sur le revenu déposée par le contribuable dans laquelle il mentionnait que son frère et ses sœurs, invalides, vivaient sous son toit et se trouvaient à sa charge, au sens de l’article 196 A bis du Code général des impôts (CGI). Précisons qu’aux termes de l’article 196 A bis du CGI, tout contribuable peut considérer comme étant à sa charge, au sens de l’article 196, à la condition qu’elles vivent sous son toit, les personnes titulaires de la carte d’invalidité prévue à l’article L. 241-3 du Code de l’action sociale et des familles.
Le contribuable concerné a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre de l’année 2001, ainsi que des pénalités correspondantes. Le tribunal administratif de Melun, faisant partiellement droit à sa demande, a prononcé la décharge des seules pénalités pour mauvaise foi dont ces cotisations ont été assorties et rejeté le surplus des conclusions que lui avait présentées le contribuable5. La cour administrative d’appel de Paris a rejeté les appels formés respectivement par le contribuable, M. B. et par le ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’État contre ce jugement6. Le contribuable s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris.
Violation de l’obligation de transmission ?
En l’espèce, M. B. faisait valoir, devant les juges d’appel, que la procédure d’imposition était irrégulière au motif qu’il n’avait pas été suffisamment informé, avant la mise en recouvrement des impositions mises à sa charge, de l’origine et de la teneur des informations relatives aux situations de son frère, M. D. B., et de ses sœurs, Mmes E. et C. B., que l’Administration détenait et dont elle se prévalait pour refuser leur rattachement à son foyer fiscal en tant que personnes à charge, en application des dispositions combinées des articles 196 et 196 A bis du CGI. Pour remettre en cause le quotient familial déclaré au titre de l’année 2001, l’administration fiscale s’est fondée sur la circonstance que son frère et ses deux sœurs étaient domiciliés à une autre adresse que la sienne. Il ressort de la proposition de rectification adressée au contribuable le 9 décembre 2004 ainsi que de la réponse à ses observations, qui lui a été adressée le 10 mai 2005, que l’administration fiscale a informé le contribuable que, pour remettre en cause le quotient familial qu’il avait déclaré au titre de l’année 2001, elle s’était fondée, d’une part, sur les adresses figurant sur les cartes d’invalidité délivrées à sa sœur Mme C. B. et à son frère M. D. B. par les départements des Alpes de Haute-Provence et des Hautes-Alpes, fournies par le centre des impôts de Fontainebleau (Seine-et-Marne), et, d’autre part, sur les déclarations de revenus de sa sœur Mme E. B., obtenues auprès du centre des impôts de Guise (Aisne).
L’Administration ne peut en principe fonder le redressement des bases d’imposition d’un contribuable sur des renseignements ou documents qu’elle a obtenus de tiers sans l’avoir informé, avant la mise en recouvrement, de l’origine et de la teneur de ces renseignements. L’obligation d’information de l’administration fiscale ne se limite pas aux renseignements et documents obtenus de tiers par l’exercice du droit de communication. Elle s’applique aux informations fournies à titre déclaratif à l’Administration par des contribuables tiers, dont elle tire les conséquences pour reconstituer la situation du contribuable vérifié. L’administration fiscale est donc tenue d’informer les contribuables de l’origine et de la teneur des renseignements sur lesquels elle se fonde pour établir un redressement qui sont issus des déclarations de revenus souscrites auprès d’elle par des tiers en application des articles 170 et suivants du CGI ainsi que des pièces justificatives dont ces déclarations doivent, le cas échéant, être assorties. La cour administrative d’appel de Paris a jugé que M. B. ne pouvait utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 76 B du LPF au motif que les informations utilisées par l’administration fiscale pour procéder aux rectifications en litige n’avaient pas été obtenues dans l’exercice de son droit de communication. La cour a donc entaché son arrêt d’erreur de droit. Et M. B. est fondé à demander l’annulation de l’article 1er de l’arrêt qu’il attaque en tant qu’il porte sur les impositions mises à sa charge à la suite de la rectification de son quotient familial pour l’année 2001, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi relatif à ces redressements.