Pacte Dutreil et entreprise individuelle : les actifs non nécessaires à l’activité sont exclus

Publié le 16/05/2022
Héritage, succession
tiquitaca/AdobeStock

Dans un arrêt du 9 février 2022, la Cour de cassation rappelle un élément du fonctionnement du pacte Dutreil aux entreprises individuelles. L’administration fiscale peut toujours apporter la preuve que les biens inscrits au bilan ne sont pas nécessaires à l’activité de l’entreprise. En l’espèce, le montant des liquidités transmises ne doit pas dépasser les besoins normaux de trésorerie.

Plus connu pour les sociétés que les entreprises individuelles, le pacte Dutreil permet d’exonérer de droits d’enregistrement à hauteur de 75 % de la valeur de l’entreprise individuelle transmise à titre gratuit, par donation ou suite à un décès. La transmission porte sur l’ensemble des biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle. Elle peut également porter sur la totalité ou sur une quote-part indivise des biens. Enfin, en cas de donation, celle-ci peut porter uniquement sur l’usufruit ou la nue-propriété de l’entreprise (CGI, art. 787 C).

Un récent arrêt de la Cour de cassation rappelle que l’inscription de biens au bilan de l’entreprise les font présumer nécessaires à l’activité de l’entreprise. Cependant l’administration fiscale peut toujours apporter la preuve contraire (Cass. com., 9 févr. 2022, n° 20-10753).

Exploitation agricole sous forme d’entreprise individuelle

Dans cette affaire, Monsieur B., exploitant agricole est décédé laissant pour légataires universels ses neveu et nièce, Monsieur et Madame T., qui ont demandé le bénéfice de l’article 787 C du CGI. Ce texte prévoit pour les entreprises individuelles éligibles au dispositif Dutreil (ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale) une exonération partielle de 75 % des droits de mutation à titre gratuit, sur la totalité ou une quote-part indivise de l’ensemble des biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels affectés à l’exploitation.

Pour en bénéficier, l’entreprise individuelle doit avoir été détenue depuis plus de deux ans par le défunt ou le donateur lorsqu’elle a été acquise à titre onéreux. Aussi, chaque héritier, donataire ou légataire doit prendre l’engagement dans la déclaration de succession ou l’acte de donation, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver l’ensemble des biens affectés à l’exploitation de l’entreprise pendant une durée de quatre ans à compter de la date de la transmission. Enfin, l’un d’eux doit poursuivre l’exploitation de l’entreprise pendant les trois années qui suivent la date de la transmission. En l’espèce, les légataires avaient bien pris l’engagement de conserver, pendant une durée de quatre ans, l’ensemble des biens affectés à l’exploitation agricole du défunt. Et l’un d’eux, le neveu, s’était engagé à poursuivre l’activité pendant trois ans. L’exploitation a été évaluée sur la déclaration de succession à 920 265,59 € (182 700 € de matériel d’exploitation, 451 000 € de patrimoine foncier bâti et non bâti, 286 565,59 € d’actif circulant du bilan).

Réintégration de biens dans le champ des droits de succession

Les légataires ont bénéficié d’une exonération totale de 690 199,17 € mais l’administration fiscale a refusé le bénéfice de l’exonération pour certains biens au motif qu’ils ne constituaient pas des biens nécessaires à l’exercice de la profession : trois bien immobiliers (160 070 €), des valeurs mobilières de placement (90 121,52 €) et des sommes provenant de la succession de Madame B., décédée quelques mois avant son mari (115 192,79 €). En conséquence, l’administration fiscale a réévalué la valeur des biens exonérés à 554 881,28 € et réclamé un surplus de droits de succession (84 692 € de droits et 9 486 € d’intérêts de retard).

Les légataires ont contesté cette proposition de rectification. Au sujet des immeubles, ils ont fait valoir que l’un abrite le cheptel vif ainsi que le logement quasi-permanent du chef d’exploitation et que les deux autres servent au stockage de matériel et de fourrage. Au sujet des valeurs mobilières, ils ont indiqué qu’elles correspondent à l’actif circulant du bilan de cessation d’activité et qu’elles étaient affectées à l’actif de l’activité professionnelle afin d’en assurer le fonctionnement. L’administration fiscale a entendu les arguments relatifs aux locaux mais a maintenu la rectification pour les fonds provenant de la succession et les valeurs de placement. Les légataires ont contesté cette décision, estimant que l’administration ne rapporte pas la preuve du caractère non nécessaire à l’exploitation des sommes résultant de l’héritage de Madame B. et de l’apport d’une assurance-vie perçue lors du décès de cette dernière.

Une présomption simple d’utilité

Le TGI de Tarbes (TGI Tarbes, 13 sept. 2016, n° 16/00022) et la cour d’appel de Pau (CA Pau, 19 nov. 2019, n° 16/03456) ont confirmé la position de l’administration fiscale, jugeant que la preuve du caractère nécessaire des biens à l’exploitation n’était pas rapportée par les légataires.

La cour d’appel a rappelé que conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, s’agissant d’une entreprise individuelle, l’inscription au bilan fait présumer le caractère professionnel, et que l’administration peut combattre cette présomption en démontrant que ce bien n’est pas réellement nécessaire à l’exploitation. « Ainsi, les liquidités et les placements financiers assimilés sont pris en compte au titre des biens professionnels, lorsqu’ils sont inscrits au bilan de l’entreprise, dans la mesure où leur montant ne dépasse pas les besoins normaux de trésorerie de celle-ci et où ils sont nécessaires à l’activité de l’entreprise ».

La Cour de cassation rappelle que si l’inscription des biens meubles et immeubles, corporels ou incorporels (ici les liquidités) au bilan en font présumer le caractère affecté à l’exploitation de l’entreprise, l’administration a la faculté de rapporter la preuve qu’ils ne sont pas nécessairement et effectivement affectés à celle-ci.

En l’espèce, la cour d’appel avait fait valoir que les sommes litigieuses, provenant de la succession de son épouse, ont été déposées par Monsieur sur un compte personnel et qu’aucun élément ne démontre que ce dernier, âgé de 86 ans, avait prévu, à ce moment-là, des modifications dans la gestion de l’entreprise ; que les sommes litigieuses n’ont été mentionnées à l’actif du bilan de l’entreprise que postérieurement au décès de Monsieur B, de même que les valeurs mobilières de placement, qui n’apparaissent pas au bilan de l’exercice clos le 31 décembre 2010. Après avoir évalué la moyenne des besoins de trésorerie de l’entreprise sur les trois derniers exercices complets, celle-ci disposait de liquidités très supérieures à ses charges courantes d’exploitation. En outre, si les légataires justifient avoir, postérieurement au décès de Monsieur B investi dans du matériel et des travaux, les liquidités de l’entreprise, hors les sommes litigieuses, suffisaient à financer ces investissements. Enfin, la cour d’appel a considéré que les légataires ne produisaient aucun élément contraire de nature à leur permettre de bénéficier de l’exonération prévue par l’article 787 C du CGI et la Cour de cassation a rappelé que la cour d’appel n’était pas tenue de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’elle décidait d’écarter.